Dans une lettre envoyée au ministre des Affaires étrangères, 51 parlementaires interrogent le rôle de Total dans la transformation d'un site industriel en prison par les Emirats arabes unis au Yémen. Ils demandent l'intervention du Quai d'Orsay.
51 parlementaires français ont envoyé une lettre au ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, le 11 décembre 2020. Ils lui demandent d'intervenir après la publication dans Le Monde d'articles du journaliste Louis Imbert sur l'utilisation comme prison par les Emirats arabes unis d'un site gazier yéménite appartenant majoritairement au groupe Total.
Dans le texte, ils se disent inquiets «de la récente enquête mettant en évidence l'engagement de l'entreprise Total dans un imbroglio au Yémen avec pour conséquence la transformation par l'armée des Emirats arabes unis de l'un de ses sites en prison secrète». Le lieu concerné est une usine de liquéfaction de gaz située à Balhaf au sud du Yémen. L'entreprise française Total, avec 40% des parts, en est le premier actionnaire. Les parlementaires sont préoccupés par ce «réseau de prisons secrètes», dont celle de Balhaf fait partie, qui constituent des «espaces de non-droit».
Dans un article publié le 12 décembre, Le Monde affirme que «dès 2019, un officiel de la coalition saoudo-émiratie, qui intervient militairement dans le pays depuis 2015, [leur] avait confirmé l'existence d'une "cellule de détention temporaire" à Balhaf». Celle-ci était apparemment «encore active début 2020», selon «le témoignage du directeur du principal hôpital de la province, qui affirmait avoir reçu d'anciens prisonniers portant des marques de torture».
Aucun progrès n'a été constaté
Le Monde raconte qu'en 2019, plusieurs ONG avaient alerté sur les prisons yéménites dans «un rapport de l'Observatoire des armements, SumOfUs et Les Amis de la Terre». Ces rapports avaient donné lieu à des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale. L'affaire préoccupe les parlementaires, car depuis «aucun progrès n'a été constaté» et que la population yéménite souffre, selon eux, de «tortures, traitements inhumains et dégradants».
L'installation de cette prison aurait eu de lourdes conséquences sur la production de l'usine, qui aurait «quasiment été interrompue». L'usine fournissait avant-guerre 45% des recettes fiscales du Yémen. Pour les parlementaires, elle «est instrumentalisée d'une façon contraire au droit international et aux conventions qui régissent le droit de la guerre».
Une offensive menée par l'Arabie saoudite depuis 2015
Les Emirats arabes unis participent aux côtés de l'Arabie saoudite à la guerre au Yémen depuis 2015, année du soulèvement des houtistes, un mouvement de musulmans chiites entrés en rébellion contre le pouvoir de leur pays et le président Abd Rabbo Mansour Hadi - exilé en Arabie saoudite - afin de dénoncer les inégalités et le sous-développement du nord-ouest du pays où se trouve leur bastion, la ville de Saada. L'Arabie saoudite lutte contre ce mouvement qu'elle accuse d'être un relais de l'Iran, son adversaire dans la région.
Les parlementaires français demandent dans leur missive «davantage de volontarisme pour réclamer un arrêt des hostilités». Le Yémen est pour eux la «pire catastrophe humanitaire» actuelle, reprenant le qualificatif de l'ONU. Ils affirment que «les souffrances générées par le désespoir grandissant» «font le lit des groupes terroristes».
Les parlementaires disent avoir accueilli avec «beaucoup d'espoir les recommandations formulées dans le dernier rapport des députés Michèle Tabarot et Jacques Maire prônant «un plus grand contrôle du Parlement sur les exportations d'armes à destination de l'Arabe saoudite et des Emirats arabes unis».
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