Bob Maroilles
L'assassinat de l'activiste d'extrême-droite Charlie Kirk en dit long sur l'état actuel de la société étasunienne.
Les faits
Charlie Kirk, figure prédominante du trumpisme, a été assassiné ce 10 septembre d'une balle dans la gorge sur le campus de l'université de l'Utah Valley, à Orem dans l'état de l'Utah, alors qu'il prenait part à l'un de ces débats publics dont il s'était fait une spécialité en répondant aux questions des étudiants et qui l'avaient rendu populaire sur les réseaux sociaux. « Populaire » ici ne signifiant pas « aimé de tous ».
Charlie Kirk, héraut de la jeunesse trumpiste, a fait fortune dans les pas du magnat de l'immobilier et de son retour aux affaires en prenant en charge l'endoctrinement d'une partie de la jeunesse des EU, majoritairement masculine et blanche, notamment au sein des campus universitaires, réputés de gauche.
Derrière le portrait de bon père de famille peint par les médias conservateurs de la MAGAsphère, c'est une réalité moins idyllique. Il cochait plutôt toutes les cases du bon petit fasciste.
Embrassant la totalité du spectre raciste, il prônait le suprémacisme blanc, dénigrait l'histoire de l'esclavage et de la ségrégation raciale, était à la fois antisémite et zélote sioniste (ce qui n'est pas du tout incompatible, au contraire), avait développé des tendances sinophobes avec le covid et était favorable à l'internement et à la déportation des migrants latino-américains.
Misogyne et anti-féministe, il était bien sûr opposé au droit d'avorter et partisan du retour des femmes au fourneaux ainsi qu'à leur fonction exclusive de reproductrices.
Homophobe et transphobe, cela va de soi.
Inutile de dire qu'il était aussi anticommuniste.
Naturellement, et c'est un comble, il était radicalement contre toute forme de réglementation sur les armes à feu. Bien mal lui en a pris.
L'ironie d'ailleurs, c'est qu'il s'apprêtait à répondre à une question portant sur le sujet des armes à feu quand la balle lui a explosé la carotide. Du coup, on pourra suggérer de graver sur sa tombe cette épitaphe tirée d'une de ses nombreuses citations :
Quelques morts par armes à feu chaque année valent la peine pour protéger le Deuxième Amendement et nos autres droits fondamentaux.
« Quelques », c'est approximativement 50 000 par an en moyenne. Dont un bon paquet d'enfants.
Les suites
C'est une rengaine ennuyeuse : quand un tel acte a lieu, les ultra-conservateurs pro-armes se précipitent pour accuser le camp d'en face. Si le tueur s'avère être trans, ce qui est extrêmement rare tant l'écrasante majorité des auteurs de tueries sont des hommes blancs cisgenres, c'est toute la communauté transgenre qui devient suspecte. Quand par extraordinaire la victime est une figure de l'ultra-droite étasunienne, le coupable tout désigné est forcément un gauchiste.
Cette fois, cependant, les déclarations ont atteint des niveaux de violence jamais vus.
Le pire étant celle de Donald J. Trump lui-même. On attendrait d'un président des EU des mots d'apaisement et d'appels au calme. Balpeau. C'est à une véritable déclaration de guerre qu'il s'est laissé aller. Avant même que l'auteur des faits soit appréhendé ou que son profil et ses mobiles soient déterminés.
De l'attentat dont j'ai été la cible à Butler, en Pennsylvannie, l'année dernière et qui a tué un mari et un père, aux agressions des agents I.C.E ("In Case of Emergency"), en passant par le meurtre cruel d'un cadre des assurances dans les rues de New-York, ou les tirs contre le membre du Congrès, Steve Calise et trois autres personnes, la violence de la gauche radicale a blessé trop d'innocents et ôté trop de vies. Ce soir, je demande à tous les Américains de défendre les valeurs américaines pour lesquelles Charlie Kirk a vécu et péri.
Trump ment et sélectionne les faits parmi une multitude qui contredit sa rhétorique.
L'auteur de l'attentat de Butler contre le candidat Trump soutenait le Parti Républicain. Les attentats ou tueries de masse commis par des membres ou des sympathisants de la mouvance gauchiste états-unienne sont extrêmement rares au regard de ceux perpétrés par leurs alter ego d'extrême-droite. Et soit leurs actes ont rencontré une popularité exceptionnelle, comme l'assassinat d'un cadre des assurances étasuniennes dont les méfaits sont notoirement réputés pour provoquer ou précipiter le décès de milliers de malades aux États-Unis, soit il est nécessaire de reculer jusqu'en 2017 pour en trouver une occurrence.
La MAGAsphère politico-médiatique n'est pas en reste.
Dixit la membre du Congrès républicaine Nancy Mace avant même l'annonce du décès de Kirk :
Les Démocrates sont responsables de ce qui s'est passé aujourd'hui. Je suis anéantie. Mes enfants m'ont appelée paniqués, et probablement tous les enfants des conservateurs du pays ont appelé paniqués. Juste parce qu'on donne son opinion sur un sujet, ça ne signifie pas qu'on doive être abattu pour ça...
Un journaliste, pointilleux, relève l'hypocrisie : « selon votre logique, est-ce que les Républicains sont responsables du meurtre des deux députés démocrates dans le Minnesota ? »
« Vous plaisantez ? », lui répond-elle outrée. « On ne sait pas dans quel état se trouve Charlie Kirk, un cinglé gauchiste lui a mis une balle dans la gorge et vous voulez parler des Républicains maintenant ? »
Le 14 juin 2025, la sénatrice démocrate du Minnesota, Melissa Hortman et son mari Mark ont été abattus sur le seuil de leur maison. Plus tôt dans la matinée, le sénateur démocrate John Hoffmann et son épouse avaient été blessés par les tirs du même auteur, Vance Luther Boelter, un ultra-conservateur chrétien.
À la suite de ces évènements, un sénateur républicain de l'Utah avait ironisé sur les meurtres des Démocrates.
Sur FoxNews, média pro-Trump équivalent de CNews outre-Atlantique, le présentateur Jesse Waters se lance dans une diatribe :
Charlie était l'un des nôtres. Trump a été touché il y a un an. Charlie est abattu. Ils sont venus pour s'en prendre à Kavanaugh avec un fusil, ils s'en sont pris aux voitures de Musk, ils ont abattus deux juifs devant l'ambassade. Pensez-y. Scalise a été visé. Il s'en est sorti in extremis. C'est la réalité. Des tireurs trans. Des émeutes à LA. Ils sont en guerre contre nous !
Même mode opératoire que Trump, fait de petits arrangements avec la réalité : l'agresseur du juge de la Cour Suprême Kavanaugh, pris de remords, s'est rendu à la police avant de mettre à exécution son projet, des dommages aux biens ne sont en rien comparables à des meurtres, la plupart des auteurs de tueries sont hétérosexuels et il n'y a pas eu d'émeutes à LA mais des manifestations.
L'indignation des ultra-conservateurs pro-armes étasuniens à l'annonce de l'assassinat de Kirk, grand défenseur du droit à posséder et se servir d'un flingue quel que soit son calibre est inversement proportionnelle à leur minimisation de tueries de masse ayant eu lieu seulement quelques jours avant : le 27 août, dans l'église de l'Annonciation de Minneapolis, 2 enfants de 8 et 10 ans ont été abattus et 20 autres blessés. La veille, le 26, aux alentours du lycée jésuite de Cristo Rey, également à Minneapolis, des tirs ont fait un mort et 6 blessés.
C'est le quotidien des citoyens des EU. Un cocktail dans lequel haine, armes et ruine du système de santé sont les ingrédients principaux.
Épilogue
Tyler Robinson, l'assassin de Charlie Kirk, s'est rendu à la police le lendemain de son crime. Ou plus précisément, il a été dénoncé et remis à la police par son père. Dans l'Utah, il est prédestiné à une condamnation à mort quasi-certaine. En effet, c'est l'un des états les plus conservateurs des États-Unis.
Tyler Robinson n'est pas un gauchiste.
Au contraire. Il a grandi dans une famille conservatrice et amoureuse des armes à feu.
Les médias et réseaux sociaux conservateurs étasuniens, repris par des journalistes français aussi peu scrupuleux que rigoureux, ont répandu la rumeur que des inscriptions à caractères socialistes avaient été inscrites sur les balles tirées par Robinson. Oubliant au passage qu'un seul projectile a été tiré. Comme si on pouvait écrire des tonnes de trucs sur une balle à peine plus grosse que l'ongle de l'auriculaire.
Entre autres inscriptions, Bella Ciao, l'hymne des partisans antifascistes italiens.
Le hic, c'est qu'il s'agit aussi d'une référence à un jeu vidéo, Hearts Of Iron IV, populaire parmi les Groypers, un groupuscule d'extrême-droite liée à l'influenceur Nick Fuentes, rival de Charlie Kirk.
On insiste : une rumeur.
Quoi qu'il en soit, on peut être sûrs que les faits qui contredisent déjà Trump et sa clique de courtisans seront ignorés par eux.
Alors, pas de toast à sa mort, mais pas de larmes non plus pour Charlie Kirk.
Faire commerce de la haine rapporte de la haine.
Post-scriptum
Certains plaideront sans doute pour Kirk et Trump en arguant de leur soutien au processus de paix en Ukraine. La réponse sera claire et nette : arrêtez de croire au Père Noël. Trump est un bonimenteur qui vendrait sa femme et ses gosses pour un petit peu d'attention.