Le vrai bilan du CAC40
3 octobre 2019 par Olivier Petitjean
Un peu partout sur la planète, des leaders autoritaires allient une rhétorique chauvine, nationaliste et masculiniste à une politique économique basée entre autres sur l'exploitation décomplexée des ressources naturelles. Ce qui n'empêche pas les multinationales françaises de nouer des liens parfois étroits avec ces régimes, voire de collaborer à leurs projets destructeurs. Nouvel extrait de notre publication CAC40 : le véritable bilan annuel.
Donald Trump
Le président américain est devenu le symbole de ces nouveaux leaders populistes de droite qui ont pris le pouvoir dans de nombreux pays. Certains groupes français présents aux États-Unis se sont démarqués publiquement, à l'occasion, des déclarations ou des mesures les plus controversées du président Trump contre les migrants ou les minorités sexuelles. D'autres, comme le PDG de LVMH Bernard Arnault ou celui de Total Patrick Pouyanné, se sont affichés à ses côtés en promettant emplois et investissements dans la foulée de son élection. Surtout, les géants du CAC40 ont sauté sur l'opportunité que représentait la politique de dérégulation massive initiée par son administration.
Des multinationales françaises se sont également associées à certaines des politiques les plus controversées de la présidence Trump. Les dirigeants de Lafarge avaient ouvertement envisagé, avant de se rétracter, de participer à la construction du mur voulu par le nouveau président à la frontière avec le Mexique. Plus récemment, BNP Paribas a été mise en cause pour ses financements au groupe GEO, spécialisé dans la détention des migrants et grand bénéficiaire de la politique actuelle. Même constat en ce qui concerne l'exploitation massive du gaz de schiste et son exportation : Total a réalisé de gros investissements dans le secteur (lire notre article), et les banques françaises, à commencer par la Société générale, figurent parmi les principaux financeurs de cette industrie.
Mohammed Ben Salman
Le prince dirigeant de l'Arabie saoudite Mohammed Ben Salman (« MBS ») a failli se retrouver au ban de la communauté internationale suite à l'assassinat dans des conditions sordides du journaliste Jamal Khashoggi en octobre 2018. Plusieurs patrons de grandes multinationales, dont EDF et BNP Paribas, ont annoncé qu'ils renonçaient à participer au « Davos du désert », le Forum économique international organisé par Riyad au même moment. Mais généralement ces firmes ont refusé de couper leurs liens économiques avec le royaume. D'autres ont carrément résisté aux appels au boycott, comme dans les secteurs de l'armement et du pétrole (lire notre article).
Parmi les PDG tricolores qui ont refusé de répondre à l'appel au boycott, Sébastien Bazin d'AccorHotels, qui a de gros projets en Arabie saoudite, ou encore Patrick Pouyanné, PDG de Total. Le groupe pétrolier a fait d'importants investissements dans le pays, dont la construction de la raffinerie géante de Jubail, au moment où Total fermait celle de Dunkerque en France, et d'un complexe pétrochimique associé. Un autre poids lourd du CAC40 sur lequel « MBS » peut compter est Publicis. L'entreprise apparaît comme l'un des principaux chefs d'orchestre, via sa filiale MSL (à Bruxelles et à Paris) et Qorvis (à Washington), de la stratégie d'influence du royaume saoudien et de son prince dirigeant (lire notre article).
Jair Bolsonaro
Nouveau venu dans la galerie déjà bien fournie des leaders autoritaires de la planète : le président brésilien Jair Bolsonaro, élu en octobre 2018. Nostalgique de la dictature, défenseur des armes à feu, pourfendeur des féministes, des homosexuels et des écologistes... Le personnage n'est pas très recommandable. Mais son programme d'ouverture de l'Amazonie à l'industrie, de démantèlement du droit du travail et de relance du nucléaire pourrait bien profiter aux entreprises françaises, de Carrefour à EDF. L'un des principaux actionnaires de Carrefour, le milliardaire brésilien Abílio Diniz, a d'ailleurs financé la campagne de plusieurs candidats du PSL, le parti d'extrême-droite de Bolsonaro.
Un autre domaine sur lequel les multinationales françaises se positionnent est celui des privatisations. Jair Bolsonaro et ses conseillers économiques, formés à l'école de Chicago, comptent bien mettre en œuvre un programme de privatisations tous azimuts, notamment dans le secteur de l'énergie. Total a noué un partenariat stratégique avec l'entreprise pétrolière nationale Petrobras (promise à la privatisation) et lui a raflé plusieurs gisements. Engie a mis la main sur l'entreprise TAG, qui gère une partie des gazoducs brésiliens. Pour ne pas s'arrêter en si bon chemin, le Medef et Bercy ont organisé un grand rendez-vous en juin 2019 avec des responsables brésiliens pour étudier les opportunités futures pour les firmes françaises. Rebelote la semaine dernière à l'occasion de la visite du ministre brésilien de l'Environnement (en réalité, un défenseur de l'industrie et de l'agrobusiness) à Paris, où il a rencontré plusieurs groupes du CAC dont Total.
Vladimir Poutine
Le leader russe a été réélu pour un quatrième mandat présidentiel en 2018. Ni la main de fer qu'il maintient sur le pays ni son alliance avec l'extrême-droite européenne n'empêchent les multinationales tricolores de faire des affaires en Russie, souvent grâce à leurs relations privilégiées avec des oligarques proches du Kremlin. Beaucoup de ces dirigeants économiques français se font ensuite les défenseurs du gouvernement russe sur des dossiers comme la crise ukrainienne (lire notre enquête).
Parmi les géants du CAC40 les plus investis en Russie, le groupe pétrolier Total figure en bonne place, à travers ses projets d'exploitation et d'exportation de gaz dans la péninsule de Yamal, dans l'Arctique russe, dont Technip est également partie prenante (lire notre enquête). EDF et Engie ne sont pas en reste, à travers l'achat de gaz russe ou la participation à des projets de gazoducs voulus par le Kremlin, comme le très controversé Nord Stream 2 destiné à contourner l'Ukraine. Auchan, Vinci, Bouygues et quelques autres sont également des partenaires privilégiés du régime russe.
Abdel Fattah al-Sissi
Le général al-Sissi, leader de l'Égypte depuis le coup d'État de 2013, est à la tête d'un régime accusé de multiples violations des droits humains, qui emprisonne et torture ses opposants. C'est aussi devenu un partenaire privilégié de la France, d'un point de vue politique comme économique. Plusieurs entreprises françaises ont fourni au régime égyptien des armes ou des équipements qui ont ensuite servi à réprimer les critiques et les opposants (lire ici et là).
Mais il n'y a pas que le secteur de la défense et de la sécurité. Les firmes françaises sont également très investies dans les secteurs de l'énergie et des grands projets urbains, lorgnant en particulier sur la nouvelle capitale administrative que souhaite construire le gouvernement égyptien. Présentes sur place, les entreprises françaises se font aussi parfois les complices de la répression des travailleurs dans une économie de plus en plus dominée par l'armée, comme l'a dénoncé un rapport de l'ONG Frontline Defenders à propos d'un sous-traitant de Naval Group à Alexandrie. Des ouvriers qui ont osé protester contre leurs conditions de travail se sont retrouvé licenciés en masse et pour certains d'entre eux emprisonnés.
À lire : CAC40 : le véritable bilan annuel, édition 2019 (pdf, 100 pages)
Olivier Petitjean
Photo : Isac Nóbrega/PR CC via Wikimedia Commons