
Ils sont morts au beau milieu du désert. En trois semaines, au moins 25 migrants ont perdu la vie à la frontière avec la Libye, après avoir été abandonnés par les autorités tunisiennes. Ce décompte, établi par InfoMigrants, inclut les tout derniers cadavres retrouvés mercredi 2 août par les garde-frontières libyens : deux, en état de décomposition, ont été découverts dans la soirée, un autre dans la journée.
Trois jours plus tôt, le 31 juillet, les autorités libyennes avaient déjà récupéré deux migrants décédés.
Les jours précédents, entre le 24 et le 29 juillet, 18 autres migrants ont été retrouvés morts, selon le ministère de l'Intérieur et l'armée libyenne. Rien que pour la journée du 29, six cadavres ont été récupérés. L'un dans le lac Sebkhet el Martha qui chevauche la frontière, deux près de Ras Jdir, et trois derniers corps dans la région d'Al Assah.
Des organisations humanitaires en Libye contactées par l'AFP, évoquent, elles, le chiffre global de 24 morts. Deux corps ont également été retrouvés à la frontière entre l'Algérie et la Tunisie.
Des "allégations infondées" pour Tunis
Parmi les personnes retrouvées mortes se trouvent des femmes et des enfants. Sur une vidéo des garde-frontières libyens relayée par le compte Twitter Refugees in Libya, on peut voir un homme mort allongé par terre, contre un enfant. Tous les deux gisent l'un contre l'autre, sur le sable, le désert tout autour d'eux. Deux autres personnes, décédées, figurent aussi dans la vidéo. "Aujourd'hui c'est encore un père sans visage, son fils et deux autres compagnons dont la vie a été injustement volée", commente le compte.
La photo d'une femme et de sa petite fille a, elle, fait le tour des réseaux sociaux. Identifiées par Refugees in Libya, Fati, 30 ans, et Marie, 6 ans, sont mortes de soif après leur abandon à cet endroit par les autorités tunisiennes. Ce "crime" est "commis contre des gens qui cherchent une meilleure vie, une deuxième chance". "Comment pouvons-nous détourner le regard ?", s'est insurgé le porte-parole du compte, David Yambio.
Jeudi 3 août, Tunis a eu une nouvelle fois réfuté ces expulsions. "Ce qui a été publié par certaines organisations internationales et surtout la déclaration du porte-parole de l'ONU est caractérisé par des imprécisions, voire des contrevérités", a indiqué le ministre Kamel Feki à l'agence locale Tap, via un communiqué. Le 1er août, le porte-parole adjoint des Nations unies, Farhan Haq, a en effet déploré les "expulsions" de migrants et confirmé "plusieurs morts à la frontière avec la Libye". Des "allégations infondées", a martelé le ministre tunisien, qui a appelé par ailleurs à "vérifier l'authenticité des informations avant de les publier, compte-tenu des retombées négatives" sur les forces de sécurité.
Kamel Feki a aussi tenu à rappelé "le respect et l'engagement total" de la Tunisie sur le plan des droits humains, en mettant en avant le travail d'organisations comme le Croissant rouge tunisien (CRT) pour assister les migrants.
À Ras Jdir, un corps en état de décomposition
Depuis trois semaines maintenant, dans l'indifférence la plus totale des Vingt-Sept et de l'Union africaine, des images de migrants subsahariens abandonnés en plein désert, à bout de force sous un soleil de plomb, sont diffusées sur les réseaux sociaux. Ces personnes ont été abandonnées là par les autorités tunisiennes, après des rafles opérées dans les villes de Sfax, Ben Guardane et d'autres villes du pays. En ce moment même, des centaines d'exilés attendent toujours de l'aide, dont au moins 150 aux environs de Ras Jdir.
InfoMigrants est en contact avec l'un d'eux, Kelvin, un migrant nigérian arrêté à Sfax, depuis sa déportation dans le désert. Lui, comme les membres de son groupe, dont des femmes et des enfants, survivent à la frontière sous trois tentes données par le Croissant-Rouge libyen. À leurs côtés gît depuis trois semaines l'un des leurs, mort sous les coups des autorités tunisiennes, d'après Kelvin. Le corps, en état de décomposition, n'a toujours pas été récupéré par les autorités compétentes.

Dans cette zone aride où la chaleur est extrême, la santé des migrants est mise à rude épreuve. D'après l'ingénieur Thibault Laconde, cité par Atlantico, "la limite extrême au-delà de laquelle on ne peut plus survivre dépend de la température et de l'humidité [...] et elle est au-delà de 50°C dans des environnements très secs", comme les déserts. Cela, si la personne a bien entendu accès à l'eau. Par ailleurs, tous les individus n'ont pas la même résistance à la chaleur. Les enfants, par exemple, n'ont pas les mêmes capacités d'autorégulation et peuvent mourir bien avant que les températures aient dépassé les limites du vivable.
D'après le Centre canadien d'hygiène et de sécurité au travail ( CCHST), l'exposition à la chaleur peut aussi entraîner affections et malaises graves, telles que crampes de chaleur, épuisement, syncopes, ou pire, coups de chaleur. Ce dernier survient lorsque la température du corps, qui ne parvient plus à se réguler, dépasse les 41°C. "Le coup de chaleur nécessite des premiers soins et un examen médical immédiats, indique le CCHST, qui rappelle "qu'un délai trop long" de traitement "peut causer la mort".