11/11/2024 arretsurinfo.ch  11min #260627

Un conflit rentable

Par  Marc Jean

Boris Eltsine transmet la constitution à Vladimir Poutine le 31 décembre 1999 au Kremlin. (Wikimedia Commons)

Le conflit en Ukraine est le résultat d'une opération planifiée de longue date et organisée dans le temps et de main de maître. Ce n'est pas la conséquence de la paranoïa d'un dirigeant, le Président Poutine, aspirant à reconstituer l'empire soviétique, comme les médias de désinformation l'ont prétendue. Cette machination a parfaitement réussi et procuré, à moindre coût, des gains considérables à ses commanditaires.

Une machination patiemment élaborée

Après la chute du mur de Berlin et l'effondrement de l'empire soviétique, les ennemis de la Russie ont bénéficié d'une période propice à la mise en application de leur projet de découpe de la Russie leur permettant de faire main basse sur les richesses du pays. Des oligarques ont pillé sans vergogne le patrimoine industriel et pétrolier, se bâtissant des empires. La mise à l'écart du Président Gorbatchev remplacé par Boris Elsine, a permis à une horde d'affairistes sans scrupules de s'enrichir. Pendant ce temps, le pays sombrait dans la misère la plus noire. Les médias occidentaux n'avaient qu'éloges pour ces deux dirigeants, exécrés par leur peuple. Ils occultaient soigneusement la réalité de l'économie russe, rabaissée au rang d'une nation du tiers monde.

« La transition vers une économie libérale, qualifiée de « thérapie de choc », est source de frustration pour la majorité des Russes. La première phase de privatisation lancée en 1992 se traduit par la distribution de bons échangeables contre les actions des entreprises privatisables, dont les secteurs stratégiques, comme l'énergie et les télécommunications, sont d'emblée exclus. Cette campagne vise à favoriser l'émergence d'une large classe de propriétaires. Or, elle ne bénéficie qu'à une partie infime de la population et notamment à ceux qui ont connu une ascension financière à la fin de la perestroïka, grâce à l'accès aux réseaux de commerce et d'exportation. La libéralisation des prix, autre mesure emblématique de cette transition économique, provoque une hyperinflation qui atteint 2 500 % en 1992. Le chômage associé à l'incapacité de l'État de pallier les conséquences sociales des réformes conduit à une paupérisation de masse » (1).

Laissons néanmoins au crédit de Boris Eltsine la désignation de Vladimir Poutine pour lui succéder.

C'est sous sa gouvernance que les choses évoluèrent positivement. Mais imaginons un seul instant la tâche colossale devant laquelle était confronté le nouveau dirigeant.

D'abord Poutine va s'attaquer aux oligarques qui avaient accumulé des fortunes scandaleuses, au détriment de la nation. Le film « Poutine et les oligarques«, réalisé par Paul Moreira et diffusé mardi 19 septembre 2023, revient sur l'accession au Kremlin de Vladimir Poutine à l'aube des années 2000.

« Alors qu'ils pensaient avoir mis une marionnette au pouvoir, qu'ils pourraient manipuler à leur guise, les oligarques sont pétrifiés par le personnage. « À ce moment précis, il a compris que c'étaient des pigeons, qu'ils pouvaient les plumer dès le lendemain, qu'il pouvait tout leur prendre à coups de pied dans le derrière », poursuit Sergueï Pougatchev dans le documentaire.

A partir de ce jour-là, Vladimir Poutine se mue en véritable parrain et reprend avec force les rênes économiques du pays. Quelque temps plus tard, le premier oligarque victime du maître du Kremlin sera Mikhaïl Khodorkowski, arrêté en 2003. En 2009, ce sera au tour de Sergueï Pougatchev d'être persécuté par Vladimir Poutine. Il sera dépossédé de ses entreprises, accusé de fraude fiscale et contraint à l'exil » (2).

La reconstruction laborieuse et tenace de l'économie russe n'intéresse guère les médias, qui compatissent plutôt au sort des oligarques dépouillés de leurs richesses et pour certains jetés en prison.

On rappellera en passant que le magazine Le Nouvel Observateur, toujours d'une longueur d'avance dans la hargne anti-Poutine, donnait complaisamment la parole à Mikhaïl Khodorkovski, l'ancien oligarque exilé à Londres depuis 2014 sous le titre : « Une révolution chassera Poutine » (3).

Le plan va se mettre en œuvre

C'est à partir de ce moment que les cercles dirigeants anglo-saxons décidèrent d'abattre Poutine qui osait se mettre en travers de leurs projets. Cela prendra le temps qu'il faudra, mais le but est fixé, et tout sera mis en œuvre pour y parvenir.

Subitement, comme dirigés par un chef d'orchestre invisible, tous les médias d'Occident seront sur la même longueur d'onde, à quelques rares exceptions, attaquant sans répit le Président russe, et désinformant complètement l'opinion publique (4).

En même temps, au mépris des engagements pris, l'OTAN va s'étendre insidieusement vers l'Est, venant flirter dangereusement avec les frontières de la Russie. Il restait l'Ukraine à faire tomber, ce qui se produisit avec «la révolution de Maïdan », présentée par les médias occidentaux comme une révolution du peuple, mais, en réalité, commanditée par dirigeants anglo-saxons. « Récemment, un journaliste suisse se vantait de ne pas connaître Victoria Nuland, ancienne secrétaire d'Etat adjointe et ex-No 2 du Département d'État américain en charge de l'Europe et de l'Eurasie, qui a quitté ses fonctions le printemps dernier. Reconnaître Victoria Nuland eût été admettre que celle-ci avait été la cheville ouvrière du coup d'État qui a renversé le président ukrainien légitime Viktor Yanoukovitch en février 2014 et qu'elle était l'auteur de la fameuse phrase « Fuck the EU ! » quand on lui avait objecté que les Européens, qui venaient de signer un accord avec Yanoukovitch, auraient pu désapprouver cette manière de faire » (5).

Les accords de Minsk, censés ouvrir la voie à un règlement pacifique du conflit qui avait opposé les populations russophones du Donbass au régime issu du coup d'état du Maïdan, ont été utilisés par l'Ukraine, avec l'appui de l'Otan, comme un rideau de fumée pour se réarmer, et préparer la reprise par la force de la région sécessionniste (6).

Le professeur Alfred de Zayas, professeur à l'École de Diplomatie de Genève, relève toutes les erreurs commises durant les 30 années précédant la guerre en Ukraine et l'indifférence de la communauté internationale et des Européens envers les minorités russophones des régions orientales, ainsi que des échecs à tenir l'Ukraine responsable de la mise en œuvre des Accords de Minsk (7).

On connaît la suite : les préparatifs d'une attaque ukrainienne de plus en plus manifestes, contrés par l'attaque préventive russe appelée Opération Militaire Spéciale. Selon une maxime du roi Frédéric II de Prusse, le véritable agresseur c'est celui qui oblige son adversaire à recourir aux armes (8).

Une opération gagnante à tous les coups

Ce conflit fera l'objet, dans le futur, des commentaires perplexes des historiens, puisqu'il constitue, sans doute, le seul exemple d'un conflit militaire de haute intensité ne causant aucune perte humaine au pays commanditaire. Mais, bien au contraire, permettant d'atteindre des objectifs économiques sans coup férir. Ces buts de guerre sont multiples:

Objectifs atteints:

  • Détacher définitivement l'Occident de la Russie en l'obligeant à quitter le marché lucratif eurasien
  • Enterrer pour longtemps le projet d'une Europe de l'Atlantique à l'Oural, cher au Général de Gaulle.
  • Obliger les pays occidentaux à renoncer à l'énergie bon marché russe, et à devoir s'approvisionner sur d'autres marchés, états-uniens surtout
  • Affaiblir les industries occidentales, et les obliger à se réimplanter sur le territoire états-unien
  • Saigner la Russie par un conflit de longue durée, par proxy interposés, en évitant les pertes humaines américaines

Objectifs pour l'instant non atteints:

  • affaiblir l'économie russe par une avalanche de sanctions massives. En réalité, ces sanctions ont souvent eu l'effet inverse, en appauvrissant les pays occidentaux, alors que la Russie a trouvé les moyens d'y parer,(9) sans aucun effet sur son économie.
  • susciter des révoltes et des sécessions dans les régions marginales de la Russie
  • dans l'hypothèse la plus favorable, provoquer, par une révolution orange, la chute du Président Poutine et son remplacement par un dirigeant marionnette

Un conflit qui génère pour son commanditaire des profits considérables

Deux secteurs vont tirer profit de ce conflit, essentiellement les industries du secteur militaire, et également les producteurs d'énergie (gaz, pétrole de schiste...).

« Le monde s'arme et ce sont les États-Unis qui en profitent le plus. La semaine dernière, le département d'État américain a dévoilé les chiffres des ventes de l'industrie de l'armement à l'international pour 2022. C'est peu dire qu'ils ont explosé : + 49 %. Soit, au total, 205 milliards de dollars contre 138 milliards pour 2021. Cette dynamique s'explique par la guerre en Ukraine, et l'urgence pour certains pays européens de renforcer leur arsenal » (10).

Mais c'est tout le secteur militaro-industriel dans les pays occidentaux qui tire profit de ce conflit. Une véritable frénésie semble contaminer l'ensemble des pays pour une course à l'armement. On reste surpris du silence de l'ensemble du monde ecclésiastique de toute confession devant cette course à la mort. Aucune voix ne s'élève : où se sont le Pape, les cardinaux, évêques, prêtres pasteurs, rabbins, imans, tous gens de religion, prêchant à longueur d'année la paix universelle ?

Pourquoi ne s'unissent-ils pas pour dénoncer cette course folle qui ne peut se terminer qu'en hécatombe, comme la terre ukrainienne nous en offre le triste spectacle.

Un seul gagnant et beaucoup de perdants

Le seul gagnant de ce conflit, ce sont, comme les appelle Chris Hedges, les proxénètes de la guerre.

« La coterie irresponsable des néoconservateurs et des interventionnistes libéraux qui ont orchestré deux décennies de fiascos militaires au Moyen-Orient alimente désormais une guerre suicidaire avec la Russie » (11). En conclusion, on peut espérer que, la plupart des objectifs primaires assignés ayant été atteints, le conflit ukrainien puisse s'apaiser. Le nouveau Président des États-Unis fera-t-il preuve de lucidité ? L'avenir nous le dira...

Mais les perdants dans ce conflit sont nombreux. D'abord, des dizaines de milliers d'Ukrainiens, morts ou handicapés à vie, pour la défense d'intérêts étrangers, alors qu'une coexistence pacifique, entre les deux peuples voisins, était possible. Ensuite les industries européennes gravement impactées. La liste des usines dans les secteurs de la chimie, de l'industrie automobile et beaucoup de PME déposant le bilan s'allonge. Des suppressions d'emplois par dizaines de milliers en Europe sont planifiées. Les grands groupes industriels envisagent de se relocaliser aux États-Unis, où l'énergie est moins chère. L'avenir s'annonce sombre pour l'économie européenne, exception pour les entreprises travaillant dans le secteur de l'armement. Sans compter l'explosion des coûts de l'énergie pour les consommateurs européens. L'Europe se réveillera-t-elle un jour et comprendra-t-elle que ses élites dirigeantes l'ont trahi au profit d'intérêts étrangers ?

 Marc Jean

(1)  Une puissance qui se reconstruit après l'éclatement d'un Empire : la Russie depuis 1991

 (2) Le jour où Vladimir Poutine a brisé la toute-puissance des oligarques russes qui l'avaient mis au pouvoir (francetvinfo.fr)

(3)  Hystérie collective contre les forces qui en Syrie combattent les terroristes

(4)  Pourquoi tant de haine ?

(5)  Victoria Nuland : le crime contre la paix était (presque) parfait

(6) « Minsk II a été conclu pour armer l'Ukraine ». Merkel a-t-elle vraiment dit cela ?

 Merkel et Hollande: la forfaiture des accords de Minsk et le silence des médias français. Pourquoi ?

(7)  La guerre en Ukraine révèle 30 ans de double jeu occidental

(8) arretsurinfo.ch

(9)  Galloway-a-Kazan-ce-que-l-Occident-ne-veut-pas-que-vous-sachiez-76930.html

(10) Guerre en Ukraine, Taïwan... L'armement américain en plein boom

(11)  Chris Hedges : Les proxénètes de la guerre

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