26/06/2019 cadtm.org  3 min #158301

« Un féminisme décolonial » présenté par Françoise Vergès

Françoise Vergès (Crédits : Joaldo Dominguez)

C'est dans la librairie liégeoise Livre aux Trésors que Françoise Vergès est venue présenter, le 19 juin 2019, son dernier livre, Un féminisme décolonial (sorti le 15 février 2019 aux éditions La Fabrique) et répondre à nos questions. Cette soirée se déroulait dans le cadre d'une invitation conjointe des associations African Vox Project, Afrofeminism in Progress et du CADTM. Malgré la chaleur caniculaire, 105 personnes sont venues écouter la militante féministe antiraciste décoloniale.

« Elles ne luttent pas pour les mêmes choses, mais elles n'ont jamais cessé de lutter »

L'intervention de F. Vergès débute en expliquant le concept-titre du livre : le féminisme décolonial. L'auteure souligne que ce dernier sert avant tout à renverser la perspective, totalement erronée, d'un féminisme qui serait purement européen et blanc. Ce raisonnement (que l'on retrouve dans d'autres champs que celui du féminisme, comme les lettres, les arts ou encore les sciences) est typique d'une vision occidentalo-centrée, que Vergès propose ici de combattre. Cette démarche commence avec la critique du féminisme "blanc", et est à replacer dans un contexte historique bien particulier qui est celui des années 80-90. À ce moment-là, les luttes féministes européennes et nord-américaines ont pour beaucoup payé, avec l'acquisition de nouveaux droits pour les femmes (droit à l'avortement, droit à la contraception...), au point que certaines estiment que leurs buts ont été atteints. À cette même époque, les politiques néolibérales, telles que les plans d'ajustement structurel au Sud s'accélèrent et l'émergence d'une nouvelle division internationale du travail se dessine, dans laquelle les femmes du Sud global vont venir occuper les emplois dits du « care » (ménages, crèche, hôpitaux, prostitution...) dans les pays occidentaux et « remplacer », dans l'espace domestique, les femmes blanches entrant de plus en plus sur le marché du travail.

« Le meilleur-être des femmes blanches se fait sur le dos des femmes racisées »

Le concept-titre du livre : le féminisme décolonial... sert avant tout à renverser la perspective, totalement erronée, d'un féminisme qui serait purement européen et blanc

Non contentes d'avoir - en apparence - tout acquis, et au vu du caractère dictatorial de certains pays d'Afrique nouvellement indépendants, certaines féministes reportent leur attention et leur lutte sur l'Autre : les femmes voilées sont d'abord visées, puis l'islam tout court sera identifié comme le « nouvel ennemi ». « Réveiller » ces femmes musulmanes ou celles des pays du Sud au féminisme fut dès lors le projet de beaucoup et y compris des institutions internationales. Le respect des droits des femmes s'apparente alors comme « la dernière mission civilisatrice » dans les pays du Sud, d'où le terme de « féminisme civilisationnel », qu'emploi F. Vergès. Mais quid, assène l'auteure, en Europe comme en Amérique du Nord, de luttes prenant en compte les réalités des femmes toujours exploitées par le système patriarcal et capitaliste, ces oubliées de la pensée féministe occidentale, qui sont indispensables à nos modes de vie : des femmes de ménages racisées en passant par celles, situées à l'autre bout du monde, qui confectionnent - payées au lance pierre -, nos tee-shirts et jeans ?

« Un travail d'auto-éducation »

La discussion se termine sur les pistes de changement pour « décoloniser les esprits ». Françoise Vergès rappelle qu'il faut avant tout savoir « rester humble » sur nos propres savoirs et convictions, et qu'apprendre par nous-mêmes sur le vécu des femmes racisées, grâce aux divers outils, analyses, matériaux déjà existants, est la meilleure façon d'appréhender leurs réalités.


Le podcast de cette rencontre est disponible ici

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