par Christelle Néant.
Le 7 février 2022, le Président français, Emmanuel Macron, s'est rendu à Moscou pour y rencontrer son homologue, Vladimir Poutine, avant de se rendre à Kiev le lendemain, pour discuter avec Volodymyr Zelensky, essayant manifestement de jouer les médiateurs de paix, comme Nicolas Sarkozy en 2008, lors de la guerre d'Ossétie du Sud. Si ces discussions se sont éternisées pendant plus de six heures, le moins que l'on puisse dire est que le résultat concret de ces rencontres est très loin d'être flatteur pour Emmanuel Macron.
Les images de l'arrivée d'Emmanuel Macron en Russie, puis au Kremlin, sans officiel sur le tarmac de l'aéroport de Moscou pour l'accueillir, ni entrée par la grande porte, ont déjà assez fait jaser sur la place que Vladimir Poutine accordait à son homologue français, je ne vais donc pas m'appesantir dessus, et plutôt me concentrer sur les déclarations qui ont été faites à l'issue de cette réunion, et les résultats concrets et réels qui en découlent.
Darmanin aurait envoyé un message au Président...
"Calme-toi, Manu, ça va bien se passer"!
La conférence de presse tenue à l'issue des près de six heures de discussion montre déjà que les deux présidents semblent ne pas avoir retenu la même chose de leur longue discussion commune.
Alors que Vladimir Poutine démonte les arguments selon lesquels l'OTAN ne serait pas une menace pour la Russie, car ce serait une organisation pacifique et purement défensive, et a rappelé que l'alliance n'a pas d'obligation d'accepter tous les pays qui souhaitent y entrer, Emmanuel Macron a insisté sur le principe de la politique de la « porte ouverte » de l'organisation.
« Mais je voudrais également souligner que l'on tente toujours de rassurer la Russie par l'argument selon lequel l'OTAN est une organisation pacifique et purement défensive, que c'est une alliance purement défensive. Les citoyens de nombreuses nations en ont fait l'expérience, je veux parler de l'Irak, de la Libye, de l'Afghanistan et, en effet, l'opération militaire à grande échelle menée contre Belgrade sans l'autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies est certainement très éloignée de ce que ferait une organisation pacifique.
Entre autres choses, nous ne pouvons pas passer outre, la stratégie militaire 2019 de l'OTAN identifie explicitement la Russie comme une menace sécuritaire majeure et un adversaire. L'OTAN nous a désigné comme un adversaire. De plus, ayant déplacé ses infrastructures militaires à proximité de nos frontières, l'OTAN et ses États membres se sentent autorisés à nous donner quelques leçons sur le lieu et la manière de stationner nos forces militaires, et considèrent qu'il est possible d'exiger de ne pas effectuer les manœuvres et exercices prévus, alors que le déplacement de nos troupes sur notre propre territoire, je tiens à le souligner, est présenté comme une menace d'invasion russe - dans ce cas, de l'Ukraine », a déclaré Vladimir Poutine.
D'après les dires du Président russe, ce thème a occupé une grande partie des nombreuses heures qu'ils ont passées à discuter.
« En effet, la politique de porte ouverte de l'OTAN a été actée, en ce qu'elle est aussi essentielle, existentielle, pour des pays comme la Suède ou la Finlande. Et il serait d'ailleurs surprenant de leur dire soudainement que l'OTAN change de ligne. Par contre, nous devons considérer ce que vous avez exprimé avec vos mots, qui sont les incompréhensions successives, les traumatismes à coup sûr, qui se sont construits durant les trois dernières décennies, et la nécessité de bâtir les termes nouveaux qui permettront seul la sécurité et la stabilité dans la région. Mais je ne pense pas que bâtir ces termes nouveaux, passe par la révision partielle des trente dernières années d'accords, ni de nos principes fondamentaux, ni en limitant le droit de certains européens, qui ne sont pas partie prenante des désaccords actuels », a Conférence de presse du Président Emmanuel Macron et du Président Vladimir Poutine. .
En clair, Emmanuel Macron espère arriver à un compromis avec Vladimir Poutine tout en soutenant une position contraire aux demandes majeures de la Russie en matière d'expansion de l'OTAN. Malheureusement pour lui, la méthode typiquement macronesque du « en même temps » ne marche pas des masses avec le Président russe, si on en juge par la déclaration, répétée, de Vladimir Poutine, sur les dangers que représente cette politique de la « porte ouverte ».
« Nous sommes catégoriquement contre l'élargissement de l'OTAN à de nouveaux membres à l'Est, car cela représente pour nous la menace commune d'une nouvelle expansion de l'OTAN à nos frontières. Nous ne nous dirigeons pas vers l'OTAN, l'OTAN se dirige vers nous. Ainsi, dire que la Russie est pour le moins agressive ne suit pas une logique saine. Sommes-nous venus quelque part à la frontière [de l'OTAN - note de la traductrice] ? L'infrastructure de l'OTAN vient vers nous. C'est la première chose.
Deuxièmement. Pourquoi l'admission éventuelle de l'Ukraine à l'OTAN est-elle si dangereuse ? Il y a un problème. Les pays européens, dont la France, estiment que la Crimée, disons, fait partie de l'Ukraine, tandis que nous considérons qu'elle fait partie de la fédération de Russie. Et si des tentatives sont faites pour changer cette situation militairement, et que les documents doctrinaux de l'Ukraine indiquent que la Russie est l'ennemi et qu'il est possible de rendre la Crimée militairement.
Imaginez que l'Ukraine soit membre de l'OTAN. L'article 5 n'a pas été abrogé, au contraire, M. Biden, le président des États-Unis, a récemment déclaré que l'article 5 est un impératif absolu et qu'il sera appliqué. Il y aura donc une confrontation militaire entre la Russie et l'OTAN. Et j'ai posé la question lors de la conférence de presse de la dernière fois : devons-nous entrer en guerre avec l'OTAN ? Mais je veux aussi vous demander, voici la deuxième partie de cette question : voulez-vous entrer en guerre avec la Russie ? Demandez à vos lecteurs, téléspectateurs, internautes : voulez-vous que la France entre en guerre avec la Russie ? Mais c'est ainsi que les choses vont se passer », a rappelé Vladimir Poutine.
« Il n'y aura pas de vainqueurs, et vous serez entraînés dans ce conflit contre votre gré. Avant que vous ne le sachiez, vous exécuterez le point cinq du Traité de Rome. M. le Président ne souhaite certainement pas cette évolution, et moi non plus, c'est pourquoi il est ici et me torture depuis six heures d'affilée avec des questions, des garanties, des options », ajoute-t-il plus tard suite à une autre question sur le même sujet.
Un danger auquel Emmanuel Macron n'apporte aucune réponse au cours de la conférence de presse. Ce qui montre clairement que les demandes russes ne sont toujours pas entendues comme elles le devraient, à savoir comme des lignes rouges à ne pas franchir.
L'autre point majeur qui montre le gouffre qui séparent les visions russes et françaises, fut la question des accords de Minsk. Vladimir Poutine a rappelé les déclarations récentes des officiels ukrainiens disant qu'ils n'appliqueront pas les accords de Minsk.
« Quant au Donbass, les dirigeants ukrainiens disent qu'ils appliqueront les accords de Minsk, puis ils leur jettent l'anathème, affirmant qu'ils ne le feront jamais, car « cela détruira l'État ukrainien ». Je viens de le dire. Alors, le feront-ils ou non ? Voici la question.
Ils parlent de garanties de sécurité de notre part. Et qui nous donnera des garanties de sécurité ? Par deux fois déjà, les autorités ukrainiennes ont tenté de résoudre la question du Donbass par la voie militaire. Après un nouvel échec, les accords de Minsk, soutenus par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, ont vu le jour.
Les mettront-ils en œuvre ou non ? Ou vont-ils réessayer [militairement - note de la traductrice] ? Que devons-nous penser de cette question ? Après tout, ils ont déjà essayé deux fois. Et qui se portera garant contre une troisième tentative ? », a déclaré le Président russe.
Vladimir Poutine a précisé dans une réponse à la question d'un journaliste, en quoi l'Ukraine ne respecte pas les accords de Minsk.
« Quant aux accords de Minsk, s'ils sont vivants et s'ils ont une perspective ou non. Je pense qu'il n'y a tout simplement pas d'autre alternative. Encore une fois, à Kiev, ils disent qu'ils vont les respecter, puis ils disent que cela va détruire leur pays. Le président actuel a récemment déclaré qu'il n'aimait pas un seul point de ces accords de Minsk. « J'aime, je n'aime pas - patience, ma beauté ». Nous devons les mettre en œuvre. Il n'y a pas d'autre moyen.
Ils ne veulent pas parler directement aux représentants du Donbass. I l est écrit directement au x points 12, 9, et 11, que telles et telles questions seront « discutées et convenues avec les représentants de ces territoires ». À discuter et à convenir avec eux. Comment pouvons-nous travailler autrement ? C'est impossible », a-t-il ajouté.
De son côté, Emmanuel Macron botte en touche avec une déclaration surréaliste mettant en lien les accords de Minsk et le nombre de soldats russes qui se trouvent près de la frontière ukrainienne, puis en mettant en avant le Format Normandie comme le bon format de négociation et de mise en œuvre de ces accords, alors que c'est le groupe de contact trilatéral qui est la plateforme de discussion principale.
« La première chose, c'est qu'aujourd'hui le Président Zelensky est le Président d'un pays aux frontières desquelles il y a 125 000 soldats russes. Donc, oserais-je dire, ça rend nerveux. Et c'est un fait nouveau de ces derniers mois, ça n'était pas tout à fait la réalité du début de l'année 2021. Donc je veux ici saluer malgré tout, puisque vous avez eu l'esprit de citer ici une remarque récente, je trouve que dans le concert des commentaires politiques internationaux, le Président Zelensky fait partie de celles et ceux qui ont un grand sang froid, qu'il faut saluer. La deuxième chose, c'est que quand les accords de Minsk ont été signés, il n'y avait pas cette intensité de présence militaire russe aux frontières », a déclaré le Président français.
Sauf qu'Emmanuel Macron prend encore une fois les causes et les conséquences à l'envers. C'est parce que la Russie a un conflit à sa porte depuis bientôt huit ans, que ses troupes mènent des exercices régulièrement près de sa frontière avec l'Ukraine ! C'est parce que les accords de Minsk ne sont pas appliqués que l'on a abouti à la situation actuelle et non l'inverse. Et comme le rappelle Vladimir Poutine, l'Ukraine elle-même a accumulé entre 100 000 et 125 000 soldats sur la ligne de front dans le Donbass !
De plus avec cette déclaration, Emmanuel Macron a atomisé totalement la propagande ukrainienne et occidentale de la guerre russo-ukrainienne dans le Donbass. Car si lors de la signature des accords de Minsk, il n'y avait pas autant de soldats russes près de la frontière ukrainienne, cela veut dire aussi qu'il n'y avait pas non plus d'invasion russe du Donbass, puisqu'on n'envoie pas des troupes envahir un territoire sans des renforts à l'arrière, la logistique etc ! D'ailleurs plus loin, lorsqu'il parle des accords de Minsk, il dit très clairement qu'ils sont la seule solution à « la crise ukrainienne », pas à la guerre russo-ukrainienne !
« Ensuite, de manière très claire, la solution à la crise ukrainienne ne peut-être que politique. Et les bases ne sont que les accords de Minsk. Et le bon format, le Format Normandie, où je vous le rappelle il y a autour de la table l'Ukraine, la Russie, la France, l'Allemagne », a-t-il ajouté.
Ces propos sapent totalement le processus de négociation qui se déroule au sein du groupe de contact trilatéral, car cela soutient la vision ukrainienne qui est que seul le Format Normandie compte. Et cela encourage Kiev à continuer d'insister pour avoir une réunion au Format Normandie, qui ne se justifie pas en l'état au vu de l'absence totale de progrès réel. En effet, le cessez-le-feu obtenu lors de la réunion récente à Paris, dont se gargarise Emmanuel Macron lors de la conférence de presse comme un progrès important, est en réalité un échec, puisqu'il est violé quotidiennement par l'armée ukrainienne.
Encore une fois, le Président français essaye de faire du « en même temps » avec Moscou, en allant un peu dans le sens de Vladimir Poutine, en réaffirmant qu'il n'y a pas d'alternative aux accords de Minsk, mais aussi un peu dans le sens de Volodymyr Zelensky, en mettant en avant le Format Normandie comme seule plateforme de négociation. Sauf qu'une telle attitude ne peut mener à aucun progrès concret, puisque cela encourage l'Ukraine dans son sabotage des négociations. Zelensky peut bien déclarer après sa rencontre avec Macron que l'Ukraine appliquera les accords de Minsk, cette déclaration ne vaut rien face aux faits.
Car, sans surprise le sabotage de ces accords par la délégation ukrainienne au sein du groupe de contact trilatéral (dont la réunion a eu lieu hier et aujourd'hui) s'est poursuivi, et les dernières négociations n'ont abouti à rien de concret. Encore une fois, à cause du sabotage total opéré par la partie ukrainienne, qui refuse de discuter de la feuille de route commune, du mécanisme de coordination du cessez-le-feu et du statut spécial à accorder au Donbass.
Alors quel est le bilan de cette rencontre. Contrairement à ce que certains médias occidentaux ont pu raconter, Emmanuel Macron n'est pas reparti de Moscou avec un accord disant que la Russie ne mènerait pas de nouveau des exercices militaires près de la frontière ukrainienne, ni avec un accord global concernant l'Ukraine.
« Moscou et Paris n'ont pu conclure aucun accord. Ce n'est tout simplement pas possible, car la France est à la fois membre de l'UE et présidente de l'UE. La France est également membre de l'OTAN, où elle n'a pas de pouvoir de décision, le leadership appartient à un tout autre pays dans ce bloc, de quel genre d'accords pouvons nous-parler ? », a souligné le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.
Quant à l' appréciation du résultat de cette réunion par Emmanuel Macron lui-même, on dirait le récit d'une réalité alternative, tant c'est loin de ce qui ressort réellement de cette rencontre à Moscou avec Vladimir Poutine.
« J'ai obtenu qu'il n'y ait pas de dégradation et d'escalade.... Il s'agissait pour moi de bloquer le jeu pour empêcher une escalade et ouvrir des perspectives nouvelles... Cet objectif pour moi est rempli », a-t-il déclaré alors qu'il était en route pour Kiev.
Cette déclaration est totalement surréaliste au vu du fait que le mythe de l'invasion imminente de l'Ukraine par la Russie était un énorme mensonge, et que se vanter d'avoir empêché que survienne un événement qui de toute façon n'aurait pas eu lieu, est au mieux digne des Guignols de l'info, et de l'épisode sur les mouchoirs qui chassent les girafes du bureau.
Et ça l'est d'autant plus quand on voit le gouffre qui sépare les déclarations de Vladimir Poutine et d'Emmanuel Macron à l'issue de ces négociations. L'évaluation du résultat de cette rencontre par les autorités russes est bien plus mesurée et conforme à la réalité.
« Je pense qu'un certain nombre de ses [celles de Macron - note de la traductrice] idées et propositions, dont il est probablement encore trop tôt pour parler, peuvent constituer la base de nos futures démarches communes. Nous verrons comment se déroule la réunion de M. le Président à Kiev », avait déclaré Vladimir Poutine à l'issue de leur rencontre.
« Le président a félicité et remercié M. Macron d'avoir trouvé l'occasion de venir à Moscou et de poursuivre le dialogue avec le président Poutine afin de trouver des solutions pour sortir de la situation. Mais jusqu'à présent, bien sûr, nous ne pouvons pas affirmer que de véritables solutions sont à l'étude. Nous ne sentons ni ne voyons la volonté de nos interlocuteurs occidentaux de prendre en compte nos préoccupations. Quant à la désescalade, elle est très nécessaire, car les tensions augmentent de jour en jour. Nous voyons les pays occidentaux envoyer des troupes en Ukraine, envoyer des avions chargés d'armes. Ces jours-ci, l'Ukraine effectue des manœuvres pour tester les nouvelles pièces d'équipement qu'elle reçoit », a déclaré, pour sa part, Dmitri Peskov.
Or, si on en croit le Daily Mail, certaines propositions d'Emmanuel Macron faites à Moscou, comme celle de faire de l'Ukraine un pays neutre, ce qui l'empêcherait de facto d'entrer dans l'OTAN, n'aurait été coordonnées ni avec l'alliance, ni avec Kiev, qui ne sont pas du tout pour cette solution !
En clair, Emmanuel Macron est très loin d'avoir été à Moscou un médiateur de la paix efficace, comme il plaît à le faire croire, et sa tentative de faire une version 2.0 de la médiation de Nicolas Sarkozy dans le conflit entre la Russie et la Géorgie en 2008, est un échec. Dès lors on voit mal l'intérêt pour Vladimir Poutine de recevoir le chancelier allemand Olaf Scholz, alors que ce dernier a déclaré qu'il tiendra en Russie le même discours qu'Emmanuel Macron. Ce dernier a déjà « torturé » Vladimir Poutine pendant six heures, je pense qu'il n'est nul besoin pour lui de recommencer une telle perte de temps et d'énergie pour un résultat aussi mauvais.
source : Donbass Insider