par Marc Barnovi.
Mercredi 15 janvier 2020, s'est tenue comme traditionnellement « l'adresse de Vladimir Poutine » devant l'Assemblée Fédérale de la Fédération de Russie 1. D'une tradition de messages indiquant les principales directives de la politique russe à suivre, cette année, le message du Président Poutine, pour la première fois depuis qu'existe ce rassemblement, marque la décision de la Russie de passer à une nouvelle étape de son développement, d'où son importance.
Ci-après vous trouvez la traduction que j'ai faite de l'interview d'un analyste politique russe éminent 2, absolument pas pro-Poutine, donnée hier en fin d'après-midi après le discours de Poutine qui analyse rapidement et précisément le message de Vladimir Vladimirovitch.
Vous pouvez voir l'interview en langue russe ci-après traduite sur :
« Nikolaï Starikov à propos de la démission du gouvernement Medvedev et du Message du Président Poutine », 15/02.2020.
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« Bonjour chers collègues ;
On peut effectivement nommer ce jour de bon sans aucune ironie. Aujourd'hui, le gouvernement de Dmitri Anatolievitch Medvedev a démissionné. Il est arrivé ce que les citoyens russes attendaient depuis déjà très longtemps. Je veux congratuler tout le monde pour cet événement. Dans tous les cas, la démission du gouvernement marque la possibilité d'initier un nouveau cours de la politique économique [russe].
Comme tout groupe de personnes ou tout type d'organisations, le gouvernement ne forme pas un ensemble uniforme. Il existe des ministres que l'on respecte, dont on approuve l'activité. C'est par exemple le cas du Ministre de la Défense 3, du Ministre des Affaires Étrangères 4, mais il y a également des ministres à qui nous ne serions pas tentés de serrer la main et il s'agit de ce que l'on nomme le « bloc économique », c'est-à-dire ceux qui répondent au développement économique [du pays]. On pourrait penser que le gouvernement forme une entité unique mais la situation est totalement différente. La sphère militaire, la sphère de la défense, notre puissance ont fortement évolué. Notre armée s'est très bien comportée sur le front militaire syrien, Mais que se passe-t-il au niveau économique ?
Au niveau économique, la tendance est inverse. Notre économie est morne. À vrai dire, la démission du gouvernement est provoquée par la situation économique à l'intérieur du pays. Ce n'est pas un hasard si, la veille de l'adresse du Président dont nous parlons maintenant, la principale fuite d'information indiquait que le Président allait parler de questions sociales. Le Président est inquiet de la chute des revenus du peuple. En d'autres termes, de l'économie. Si on ajoute à la population les personnalités juridiques, on se retrouve avec toute la sphère économique. Ainsi, le versant extérieur de la politique russe se développe plus ou moins bien, je dirais d'ailleurs mieux que moins bien. En ce qui concerne la sphère militaire, tout est également très positif, mais en économie, les choses ne veulent apparemment pas avancer. C'est pourquoi je vous congratule à propos de la démission du gouvernement de Medvedev. On va attendre des changements du gouvernement en premier lieu dans la sphère économique.
Maintenant, j'aimerais dire quelques mots sur le discours même du Président, à propos de son adresse et du message qu'il a envoyé. Quels ont été les principaux signaux ? D'après moi, il y a deux signaux principaux.
Le Président a dit que la Russie n'avait pas besoin d'un nouvelle Constitution mais il a dans le même temps proposé une réforme de cette Constitution qui, dans le fond, modifierait des paramètres-clefs dont beaucoup de gens, dont nous et nos collègues, ont souvent parlé. Qu'a donc proposé Poutine ?
Il a proposé de retirer de la Constitution l'Article qui ne s'accorde pas avec la souveraineté de l'État, à savoir l'Article 15 qui indique [jusque-là] que le droit international est prioritaire sur les lois internes russes, pour le dire simplement. Évidemment, vous ne trouverez pas d'article de la sorte dans la Constitution des États-Unis, ni dans celle de la République fédérale d'Allemagne, ni en France non plus. En Grande-Bretagne, il n'y a pas de Constitution, donc évidemment, pas de tel article. On trouve ce genre d'articles seulement dans les Constitutions des États post-soviétiques, à savoir, des pays qui se sont recréés sur les ruines de l'Union Soviétique. C'est évident qu'on a affaire ici aux restes du colonialisme pour dire autrement les choses. C'est à dire que les articles faisant référence aux lois issues d'accords extérieurs ont la priorité sur la jurisprudence intérieure.
Ce n'est évidemment pas acceptable. C'est pourquoi il est important que le Président ait mentionné de manière précise et claire la nécessité des changements à opérer à ce niveau.
Qu'a encore proposé Poutine ? Et là ce n'est pas moins important. Je voudrais attirer votre attention sur ce qu'il a proposé au niveau constitutionnel et j'insiste en citant Poutine lui-même : fixer certains impératifs, les impératifs les plus importants que le bon sens suscite à l'égard des personnes occupant un poste-clef dans notre gouvernement. On parle ici du Président, du Premier Ministre, des Députés de la Douma d'État, des sénateurs et des autres personnes occupant des postes importants, par exemple les gouverneurs. Ils ne peuvent pas avoir une autre nationalité en même temps que la nationalité russe ou de carte de résident d'autres États. C'est l'évidence même. Comment une personne qui a une deuxième nationalité peut diriger la Russie. Quelle patrie 5 va-t-il servir ? La première, la deuxième, peut-être une troisième ou bien une quatrième ou encore une autre ? Évidemment, cela n'est absolument pas acceptable. Mais, du fait que l'on continue à vivre dans cette « démocratie de marché », nous ne pouvons ou ne voulons pas nous limiter en interdisant la deuxième nationalité. Très bien, on va alors juste limiter l'accès aux postes-clefs que certaines personnes s'apprêtent à occuper. On va mettre des filtres. C'est tout à fait logique et juste.
Il est important que le Président ait signalé l'obligation de servir l'État. Alors on entend souvent dire : « Mais comment peut-on comme ça nous limiter ? ». Vous voulez être Député, vous voulez devenir Ministre, si vous planifiez cela dans votre carrière, si vous en faites l'objectif de votre vie, alors vous n'aurez par la citoyenneté d'un autre pays ou de carte de résident d'un autre État. Où est le problème ? Si vous voulez avoir le passeport d'un autre État ou un titre de propriété étranger, on vous en prie. Avec un autre passeport, vous ne pouvez pas occuper un poste important en Russie. C'est une décision totalement juste et, encore une fois, je souligne qu'il est très important que ce soit notifié dans la Constitution. Cela indique donc que l'on va introduire des changements constitutionnels.
Une question se pose : de quelle manière sont introduites les modifications dans la Constitution ? Là, au regard de toutes les discussions qui apparaissent sur la toile internet, il est à noter que le Conseil constitutionnel ne doit pas être réuni pour pouvoir introduire les modifications de l'Article 15. Je vous rappelle que l'on peut modifier la Constitution de la Fédération russe de deux façons.
D'abord le plus simple. Une certaine quantité de Députés de la Douma d'État vote selon une procédure définie, ensuite vote le Conseil de la Fédération puis le Président signe le décret. C'est tout. On a introduit la modification.
Il existe quelques chapitres de la Constitution portant sur les modifications des textes de celle-ci pour lesquelles il faut réunir le Conseil constitutionnel. Cette loi qui indique depuis 1993 6 comment il est nécessaire de réunir ce Conseil n'a jamais été jusqu'aujourd'hui appliquée. Mais, autant que j'ai compris la proposition de Vladimir Poutine, d'après moi, il n'est pas nécessaire de réunir ce Conseil. De la sorte, la procédure de modification de la Constitution sera relativement simple. On l'a observé en particulier avec la modification de l'échéance du pouvoir présidentiel en Russie et avec la modification de la Constitution liée à l'entrée dans la Fédération de Russie de la Crimée et de Sébastopol.
Voilà, ce sont les changements importants selon moi vers lesquels je voulais attirer votre attention.
Quels sont pour moi les autres messages importants envoyés par le Président ? La démographie. Poutine a justement commencé son adresse par cette problématique. Il a à ce propos dit beaucoup de choses très clairement, avec précision et scrupuleusement. S'il faut résumer simplement... Regardez, que cela nous plaise ou non, nous vivons dans les conditions d'une économie de marché. Cela veut dire que cette « économie de marché » fonctionne selon un principe. Si les gens ont de quoi acheter quelque chose, cette économie fonctionne, elle crée des emplois, elle crée la demande qui fait naître l'offre, elle peut quelques fois créer l'offre qui entraîne par la suite la demande. Au bout du compte, c'est l'argent qui fait office d'appareil circulatoire de cette économie de marché.
Maintenant, imaginez un marché habituel, de type « kolkhozien » 7, sur lequel il y a des producteurs mais pas d'acheteurs. Pourquoi ? Parce que les gens n'ont pas d'argent. Ils ont de moins en moins d'argent et les producteurs sur ce marché vont petit à petit disparaître. C'est la perte d'emplois. Celui qui a perdu son emploi à son tour ne peut plus acheter. Cette spirale du « non-développement » économique, dans le meilleur des cas, sa stagnation, c'est notre réalité économique aujourd'hui. Le gouvernement vient de donner sa démission et on espère que cela va s'améliorer.
Mais ici, je voulais souligner un principe important. Si dans l'économie, il n'y a pas d'argent, alors il n'y aura pas d'économie. C'est le principe de l'économie de marché, que vous l'aimiez ou pas, qu'on ne peut modifier. Regardez ce que font les États occidentaux lorsque, dans d'autres branches de l'économie que les nôtres et j'insiste là-dessus, apparaissent un déséquilibre et des difficultés. Ils commencent à injecter de toute leur force de l'argent dans l'économie et non à le pomper, non à l'économiser mais à l'injecter. Il y a de nouvelles grosses commandes étatiques, des programmes de réarmement, une baisse des taux d'emprunt. Ils sont d'ailleurs allés déjà loin même jusque l'absurde si l'on regarde ce qui se produit actuellement dans leurs économies. Mais le principe même de réapprovisionner en argent l'économie pour la santé du système fonctionne.
Maintenant, regardons ce qui se passait chez nous jusque maintenant. Nous espérons qu'avec le changement des équipes gouvernementales la situation va changer. On introduit de nouvelles taxes. A quoi cela mène-t-il ? On modifie par exemple le taux de la TVA. Cela mène à ce que plus d'argent est retiré de l'économie. Quoi que l'on fasse, la quantité d'argent dans une économie est limitée. Si vous recueillez l'argent par des taxes ou d'autres moyens, il y aura moins d'argent dans le circuit économique. Si, en même temps, vous commencez à économiser et non à investir et à injecter de l'argent dans l'économie, le revenu des ménages diminue, les personnalités juridiques ont moins d'argent. Le citoyen voit et comprend tout cela. Le problème de l'État est maintenant d'injecter plus d'argent dans l'économie et non d'en prélever plus comme cela s'est fait ces dernières années.
Poutine a parlé de cela aujourd'hui. Il a parlé de projets nationaux, il a parlé de la contribution financière de l'État à la naissance des enfants, je parlerai de cela séparément, il a parlé de ce qu'il fallait faire du budget fédéral. Il a dit qu'il fallait suppléer avec le budget fédéral aux possibles dépenses des budgets régionaux tournées vers le renforcement de l'activité entrepreneuriale, c'est à dire mettre de l'argent dans l'économie. Poutine a prononcé aujourd'hui une phrase très importante, à savoir que l'accumulation financière dans le « Fonds national de bien-être » a atteint 7% du PIB. Il s'agit d'une somme importante, d'un véritable matelas. On a dit beaucoup de bien sur ce matelas pour notre sécurité. Oui, c'est vrai. Mais ensuite, Poutine a dit une autre chose très importante. Il a dit que maintenant, on pouvait injecter plus d'argent dans l'économie, c'est-à-dire cesser, comme peut le conseiller Koudrine 8, de pomper tout l'argent de l'économie et de remplir le matelas de sécurité.
(...) Maintenant, la dernière chose que je voulais aborder. C'est ce que l'on appelle « l'économie familiale ». Il s'agit de l'économie en lien avec la démographie. Le Président a souligné à plusieurs reprises qu'il fallait modifier ou, mieux, renforcer la politique démographique de l'État.
Le fait que le « capital maternel 9 » fonctionne depuis 2006 est une très bonne chose. On en voit les résultats. Cependant, après la réforme des retraites, l'opinion générale de la société en découlant induit une baisse de la natalité. Aujourd'hui, l'indicateur du taux de natalité est à 0,5%. Il faut plus. Ce taux ne donne absolument pas la possibilité de renouveler les générations alors qu'on en a fortement besoin. Nous sommes trop peu, il nous faut nous accroître. C'est pourquoi avec mes collègues « Patriotes de la Grande Patrie » en tant qu'acteurs du programme russe « le milliard russe », nous accueillons les bras grand ouverts toutes mesures de stimulation visant à accroître la natalité en Russie. Le « capital maternel », c'est très bien. Augmenter les montants du capital maternel, c'est super. Ne pas allouer ce capital seulement pour la naissance du deuxième enfant mais pour chaque naissance, en commençant par le premier enfant, c'est très bien. Aider ceux qui ont des faibles revenus à élever les enfants jusque l'âge de trois ans est très bien. (...) Mais le Président demande ce que va faire la famille lorsque l'enfant aura atteint trois ans. A trois ans, il ne requiert plus de dépense ? Évidemment que non. C'est pourquoi Poutine propose de prolonger ce système d'allocations jusque 7 ans. On soutien cela à deux mains.
(...) Pour terminer notre rencontre aujourd'hui, je vous congratule encore une fois à propos de la démission du gouvernement. On tente actuellement de deviner qui va être nommé Premier Ministre 10. Je propose de ne pas essayer de deviner mais d'être simplement content car dans tous les cas, ce sont des changements qui ne feront qu'améliorer la situation.
Au revoir.
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J'ai jugé important de traduire cette interview afin que, avant d'être totalement recouverts de l'information sur notre sujet venant de nos grands médias et grands spécialistes, tous chantant main dans la main, en tête du cortège des Défenseurs du Monde Libre, vous puissiez mesurer un fait important russe concernant les Russes, analysé par des Russes connaissant très bien la Russie.
Très tôt ce matin, donc, j'ai remarqué cette chose purement malsaine. Nos grands médias, pour la plupart, se servent des données RT et Sputniknews qui connaissent très bien la Russie et signent leurs « articles » en brodant le corps du texte qui a été pompé par des mots et, quelques fois, des propositions comportant un sujet, un verbe et un complément qui s'évertuent à présenter Vladimir Poutine comme le Diable et la Russie comme le danger absolu. C'est inquiétant de pouvoir appliquer à tout un groupe d'États-nations (où je me trouve), réunis autour d'un gibier illusoire, un diagnostic psychologique peu rassurant. Ethnocentrisme, analyses à n'en plus finir autocentrées sur soi, recherche vaine de la puissance, fonctionnements néo-antiques, absence de conscience... Vous me direz, le mal n'est pas nouveau. C'est vrai. A mon humble niveau, j'essaie de participer à la tentative d'essayer de commencer à nous guérir au moins sur les points développés.
Vous remerciant de votre attention.
Marc Barnovi.
------------- 1 L'Assemblée Fédérale de la Fédération de Russie est une structure bicamérale regroupant le Conseil de la Fédération (la Chambre Haute) et la Douma d'État (la Chambre Basse). La première chambre se compose de 2 représentants pour chacun des sujets fédéraux (républiques, provinces, territoires, province autonome, districts autonomes et villes fédérales et c'est tout). La Douma est l'équivalent, pour schématiser, de notre Assemblée parlementaire en France.
2 Nikolaï Viktorovitch STARIKOV : écrivain, journaliste, activiste social et coprésident du Parti de la grande patrie et de l'Union des Citoyens Russes. Il est l'auteur de très nombreux articles et livres, en premier lieu historiques, politiques et de géopolitique. Il s'attache entre autre à détecter les mensonges historiques qui s'ancrent et rongent nos sociétés.
3 Ministre de la Défense à ce jour : Sergueï CHOÏGOU
4 Ministre des Affaires Étrangères à ce jour : Sergueï LAVROV
5 Le mot /patria/ et /patriot/ en russe vient des mots français patrie et patriote. La signification précise et les connotations associées à ces mots sont en revanche très différentes entre le russe et le français. Le mot russe n'a pas de connotation négative et n'est pas associé à des choses négatives.
6 La Constitution de la fédération de Russie actuelle a été adoptée par référendum national le 12 décembre 1993. Elle a remplacé, après la crise constitutionnelle russe de 1993, la constitution soviétique de 1977 en vigueur alors dans la république socialiste fédérative soviétique de Russie.
7 Kolkhoze : un kolkhoze était une coopérative agricole en Union soviétique, où les terres, les outils, le bétail étaient mis en commun.
8 Alexeï Koudrine : Actuellement Président de la Cour des Comptes de la Fédération de Russie, a été auparavant Ministre des Finances de la Fédération de 2000 à 2011. Il est un grand fervent des politiques économiques libérales occidentales.
9 « Capital maternel » : Soutien financier de la part de l'Etat russe aux familles élevant des enfants. Il est effectif depuis le 1er janvier 2007.
10 Nouveau Premier Ministre russe après la démission de Dmitri Medvedev le 15/01, approuvé le 16/01 : Mikhaïl Michoustine. Ancien Directeur des Services Fédéraux des impôts. Homme, considéré comme très efficace pour les activités à mener autour des finances et de l'économie.
Photo : Nikolaï Starikov
envoyé par Bertrand Hedouin