11/05/2023 lesakerfrancophone.fr  9min #228315

 L'ancien premier ministre pakistanais, Imran Khan, vient d'être arrêté

Voici pourquoi les Pakistanais se soulèvent contre l'Establishment

Par Andrew Korybko - Le 10 mai 2023 -  Son Blog

Des manifestations ont éclaté mardi dans tout le Pakistan après que les forces paramilitaires du  régime putschiste, soutenu par les États-Unis, ont  enlevé l'ancien Premier ministre Imran Khan (IK), évincé en avril 2022 en raison de sa politique étrangère  multipolaire, sur la base d'accusations forgées de toutes pièces dans le cadre de la "guerre juridique" menée à son encontre. Cette évolution a été longuement préparée mais semble avoir été déclenchée par le fait qu'il a une nouvelle fois accusé "l'Establishment" d'être à l'origine de la tentative  d'assassinat contre lui de novembre dernier.

Dans le jargon pakistanais, l'Establishment désigne les puissantes structures militaires et de renseignement du pays, qui exercent depuis toujours une influence disproportionnée sur les décisions politiques et la société. Bien que ce rôle ait toujours été controversé, la grande majorité de la population l'avait accepté, car elle avait jusqu'à présent la certitude que ces forces avaient les intérêts de leur pays à l'esprit. Il s'agit de ce que l'on peut appeler la "Trinité" de l'État pakistanais : la sécurité nationale, le patriotisme et l'islam.

Cette confiance a toutefois été ébranlée après le changement de régime d'avril dernier, puis réduite en poussière au cours de l'année qui a suivi. Au lieu d'encourager de manière responsable ceux qui ont remplacé Imran Khan à organiser des élections libres et équitables dès que possible afin que le peuple pakistanais décide lui-même de qui doit gérer ses affaires, ils ont feint de manière peu convaincante une soi-disant "neutralité" et ont ainsi laissé cette clique importée extrêmement impopulaire conserver le pouvoir jusqu'à aujourd'hui.

Pire encore, cette même clique a travaillé main dans la main avec l'Establishment pour imposer au pays un système de loi martiale dans lequel les droits civils étaient officieusement suspendus. Des dissidents ont été enlevés, d'autres, comme le journaliste Arshad Sharif, ont été assassinés à l'étranger, les médias ont été censurés, les manifestations ont été violemment réprimées et Imran Khan a été victime d'une tentative  d'assassinat à la fin de l'année dernière. A cause de cette crise politique, l'économie s'est effondrée et la sécurité s'est radicalement  détériorée.

La seule raison pour laquelle les élites de l'establishment et leurs laquais du coup d'État post-moderne ont refusé de résoudre la dimension politique de leur pire série de crises nationales depuis la guerre de 1971, qui a abouti à l'indépendance du Bangladesh, c'est qu'ils savaient que l'opposition gagnerait. Des élections nationales libres et équitables auraient permis au PTI d'Imran Khan de revenir au pouvoir avec une majorité sans précédent, comme en témoignent les résultats impressionnants obtenus lors d'une série d'élections partielles au cours de l'année écoulée.

Ils ont donc eu recours à ce qu'ils pensaient savoir faire le mieux, l'"ingénierie politique", pour tenter de conserver le pouvoir. Cette approche repose sur l'hypothèse erronée que l'establishment reste maître de la dynamique sociopolitique du pays ("sa sécurité douce"), en particulier en ce qui concerne le maintien du rôle qu'il s'est arrogé en matière de trinité, comme nous l'avons décrit précédemment. Les vieux routiers qui tirent les ficelles en coulisses n'ont toutefois pas remarqué que tout avait totalement changé ces dernières années.

Imran Khan a supervisé le retour du Pakistan sur la scène internationale en tant que puissance régionale confiante qui accordait la priorité à la réforme, attendue depuis longtemps, de ses politiques intérieure et extérieure dans le cadre de la grande stratégie visionnaire de son équipe pour devenir un  acteur sérieux dans  l'ordre mondial multipolaire qui se met en place. Rien de tout cela n'était dû à son prétendu "anti-américanisme", comme l'ont prétendu à tort les États-Unis et ses ennemis à l'intérieur du pays, mais à sa ferveur patriotique de faire enfin passer les intérêts nationaux du Pakistan  en premier, au lieu de continuer à les vendre à d'autres comme auparavant.

Au cours des années de son mandat, les gens ont commencé à voir la Trinité sous un jour plus moderne, en phase avec les véritables désirs de la société. Ils ont été inspirés par l'objectif du gouvernement d'Imran Khan de construire le "Naya Pakistan" (nouveau Pakistan), qui est essentiellement un projet démocratique de "reconstruction de la nation" visant à actualiser les rôles que la sécurité nationale, le patriotisme et l'islam jouent dans la société, à réformer la relation de l'État avec ces trois concepts et, en fin de compte, à renforcer l'identité nationale des Pakistanais.

Les éléments de l'élite de l'establishment qui sont pour la plupart des anciens déconnectés de la majorité de leurs jeunes compatriotes, semblent, avec le recul, avoir eu une vision très cynique du Naya Pakistan et ont apparemment pensé qu'il ne s'agissait que d'un slogan destiné à faciliter leur ingénierie politique, à l'époque. De leur point de vue dépassé, ils étaient heureux qu'Imran Khan canalise le sentiment populaire, mais ne se rendaient pas compte qu'il faisait des progrès tangibles en remodelant la notion même de Pakistan.

C'est précisément parce qu'ils ne comprenaient absolument pas le pouls national tel qu'il existait objectivement, ce qui, en termes stratégiques, peut se résumer à leur ignorance de la dynamique sociopolitique de leur pays, qu'ils pensaient avec arrogance qu'ils pourraient l'évincer sans aucune conséquence. À leurs yeux, la société ne défierait jamais l'Establishment, quoi qu'il arrive, de peur que cela ne constitue une menace existentielle pour le Pakistan, compte tenu de la relation de ces structures avec la Trinité.

Il s'agit d'une erreur de calcul aux proportions épiques qui n'a été surpassée dans l'histoire de leur pays que par les erreurs semblables commises à l'approche de la guerre de 1971, dont Imran Khan  a averti qu'elles étaient sur le point d'être répétées si l'establishment osait franchir la ligne rouge de l'opposition en l'enlevant ou en le tuant. Contrairement aux anciens qui sont restés dans l'illusion de l'hypothèse arrogante évoquée à la fin du paragraphe précédent, il sait très bien comment la société allait réagir à ces pires scénarios.

Imran Khan a correctement évalué que ses compatriotes, majoritairement jeunes, adhéraient avec enthousiasme au concept de reconstruction de la nation du Naya Pakistan et considéraient donc naturellement son éviction par l'establishment comme une menace existentielle, d'où leurs manifestations de soutien et la série de victoires du PTI lors d'élections partielles depuis lors. Le seul facteur qui les a retenus de s'engager dans une action révolutionnaire était l'espoir que des élections libres et équitables puissent être organisées dès que possible et résoudre ainsi pacifiquement la crise politique pakistanaise.

Une fois que l'establishment a fait savoir que rien de tel ne se produirait après avoir franchi la ligne rouge de l'opposition en enlevant Imran Khan mardi, il était prévisible que certaines personnes protesteraient d'une manière que l'on peut qualifier de tapageuse, et que quelques-unes d'entre elles iraient même jusqu'à aller plus loin. En ce qui concerne cette dernière observation, le vice-président du PTI, Shah Mehmood Qureshi, a nié que les partisans de son parti aient endommagé des biens et a  déclaré que "des éléments officiels agissaient de la sorte".

Il ne fait aucun doute que l'establishment est responsable de la provocation des événements nationaux de mardi, qu'il dispose ou non de provocateurs au sein de l'opposition. Ils ont déjà prouvé qu'on ne pouvait pas leur faire confiance lorsqu'il s'agit de tout ce qu'ils disent sur l'élément de sécurité nationale de la Trinité après avoir absurdement inculpé Imran Khan de plus de 140 chefs d'accusation sous une variété de faux prétextes, y compris de "terrorisme". Il ne serait donc pas surprenant qu'ils mènent des attaques sous fausse bannière.

L'objectif de ces attaques est assez évident : il s'agit de justifier l'interdiction du PTI et peut-être même de lancer un coup d'État militaire conventionnel dans la foulée, deux actions qui seraient  soutenues par les parrains américains du régime putschiste. Tout cela est fait par désespoir pour s'accrocher au pouvoir, car ces conspirateurs savent qu'ils seraient démocratiquement destitués par leur propre peuple s'ils organisaient des élections libres et équitables, qu'elles soient anticipées ou qu'elles se déroulent comme prévu en octobre.

Le dernier projet d'ingénierie politique de l'Establishment, qui s'appuie sur les illusions dépassées de ses anciens dirigeants quant à la perception qu'a la majorité des jeunes de la relation de ces institutions avec la Trinité, est le plus imprudent depuis 1971 et risque une fois de plus de mettre en péril l'existence du Pakistan. Ceux qui manifestent en faveur de la libération d' Imran Khan et d'élections anticipées sont des patriotes qui veulent sauver leur pays après que l'élite de l'Establishment l'ont trahi à la demande de puissances étrangères.

Andrew Korybko

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

Note du Saker Francophone : RT rapporte  :

" Le Pakistan déploie l'armée pour réprimer les manifestations

Des affrontements avec les forces de sécurité ont éclaté dans plusieurs villes après l'arrestation de l'ancien Premier ministre Imran Khan

L'armée pakistanaise a été déployée à cause d'une série de violentes manifestations contre l'arrestation de l'ancien Premier ministre Imran Khan plus tôt cette semaine, avec au moins huit personnes tuées et environ 1 000 personnes actuellement en garde à vue.

Les forces armées ont été appelées mercredi pour affronter des manifestants après que Khan a été inculpé d'une nouvelle série d'accusations de corruption. Son arrestation la veille a suscité l'indignation des partisans de Khan, des foules se rassemblant à Islamabad et dans d'autres villes pour bloquer les routes, affronter la police et même attaquer les forces de l'ordre et les installations militaires.

"De telles scènes n'ont jamais été vues par le peuple pakistanais", a déclaré le Premier ministre Shahbaz Sharif dans un discours télévisé, ajoutant qu'il avait déployé des troupes dans plusieurs régions après que les émeutiers "aient endommagé des biens publics et privés sensibles".

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