par Whitney Webb.
Un mécanisme financier peu connu, mis en place par la Banque Mondiale, pourrait être à l'origine de la décision de ne pas déclarer le coronavirus comme pandémie.
Une obligation spécialisée peu connue, créée en 2017 par la Banque Mondiale, pourrait expliquer pourquoi les autorités sanitaires américaines et mondiales ont refusé de qualifier de « pandémie » la propagation mondiale du nouveau coronavirus. Ces obligations, aujourd'hui souvent appelées « obligations pandémiques », étaient apparemment destinées à transférer le risque de pandémies potentielles dans les pays à faible revenu vers les marchés financiers.
Pourtant, à la lumière de l'épidémie croissante de coronavirus, les investisseurs qui ont acheté ces produits pourraient perdre des millions si les autorités sanitaires mondiales utilisaient ce label à cause de la recrudescence des cas de coronavirus dans le monde.
Mardi, les responsables fédéraux de la santé au Centre de Contrôle et de Prévention des Maladies (CDC) ont annoncé qu'ils se préparaient à une « pandémie potentielle » du nouveau coronavirus apparu en Chine à la fin de l'année dernière. L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a déclaré qu'environ 80 000 personnes dans le monde ont contracté la maladie, la plupart en Chine, et que plus de 2 700 en sont mortes.
Toutefois, certains ont fait valoir que les préoccupations du CDC concernant une probable pandémie sont arrivées trop tard et que des mesures auraient dû être prises bien plus tôt. Par exemple, début février, le Dr Anthony Fauci, Directeur de l'Institut National Américain des Allergies et des Maladies Infectieuses, avait déclaré au New York Times que le nouveau coronavirus est « hautement transmissible, et qu'il s'agira presque certainement d'une pandémie », tandis que l'ancien Directeur du CDC, le Dr Thomas R. Frieden, avait fait écho à ces préoccupations à l'époque, en déclarant qu'il est « de plus en plus improbable que le virus puisse être contenu ».
Malgré ces avertissements, parmi beaucoup d'autres, le CDC a attendu pour annoncer ses craintes que le virus puisse se propager à travers les États-Unis. Leur annonce de mardi a mis les marchés en émoi, balayant 1,7 billion de dollars de valeur boursière en deux jours seulement. L'avertissement du CDC aurait mis en colère le Président Trump, qui a accusé l'agence d'effrayer inutilement les marchés financiers.
Les responsables de l'OMS ont adopté une approche encore plus prudente que celle du CDC dans leurs récents commentaires, déclarant qu'il est encore « trop tôt » pour déclarer l'épidémie de coronavirus comme « pandémie » tout en affirmant également « qu'il est temps de faire tout ce que vous feriez pour vous préparer à une pandémie ».
Le refus de qualifier l'épidémie de pandémie est étrange, car il s'agit d'une maladie épidémique ou à propagation active qui touche deux ou plusieurs régions du monde. Cela décrit actuellement la propagation géographique du nouveau coronavirus hautement contagieux, qui a maintenant entraîné d'importantes regroupements de cas loin de la Chine, à savoir en Italie et en Iran. Des pays plus proches de la Chine, comme la Corée du Sud, ont également connu récemment une explosion des infections par ce nouveau coronavirus.
Il est possible que les inquiétudes liées à l'utilisation du mot « pandémie » puissent perturber les marchés mondiaux et entraîner des troubles économiques, comme ce qui est arrivé à la bourse américaine à la suite de l'annonce faite mardi par le CDC. Bien que ces craintes soient fondées, il est également prouvé qu'une catégorie particulière d'obligations émises par la Banque Mondiale et étroitement liées aux déclarations officielles de pandémie pourrait également être responsable d'avoir dissuadé les responsables de l'OMS et du CDC d'utiliser ce terme, même si les conséquences de cette utilisation pourraient avoir un impact négatif sur la santé publique mondiale.
Obligations pandémiques : un « système pas comme les autres »
En juin 2017, la Banque Mondiale a annoncé la création « d'obligations spécialisées » qui seraient utilisées pour financer le Mécanisme de Financement d'Urgence en cas de Pandémie (PEF) créé précédemment, en cas de pandémie officiellement reconnue (c'est-à-dire reconnue par l'OMS).
Ces obligations ont été essentiellement vendues en partant du principe que ceux qui ont investi dans ces obligations perdraient leur argent si l'une des six pandémies mortelles frappait, y compris le coronavirus. Or, si une pandémie ne se produisait pas avant l'échéance des obligations le 15 juillet 2020, les investisseurs auraient dû récupérer ce qu'ils avaient payé à l'origine pour les obligations, en plus des intérêts et des primes qu'ils ont reçus entre la date d'achat et la date d'échéance de l'obligation.
Le PEF, que ces obligations pandémiques financent, a été créé par la Banque Mondiale « pour canaliser les financements d'appoint vers les pays en développement confrontés au risque de pandémie » et la création de ces « obligations pandémiques » visait à transférer le risque de pandémie dans les pays à faible revenu vers les marchés financiers mondiaux. Selon un communiqué de presse de la Banque Mondiale sur le lancement de ces obligations, l'OMS a soutenu l'initiative de la Banque Mondiale.
Toutefois, ces « obligations pandémiques » ne se limitent pas à ce qui est visible. Par exemple, le PEF a une « structure de financement unique qui combine le financement des obligations émises aujourd'hui avec des produits dérivés de gré à gré qui transfèrent le risque d'épidémie pandémique aux contreparties des produits dérivés ». La Banque Mondiale a affirmé que cette structure était utilisée afin « d'attirer un ensemble d'investisseurs plus large et plus diversifié ».
Les critiques ont toutefois qualifié le système inutilement alambiqué de « pillage actif de la Banque Mondiale » qui enrichit les intermédiaires et les investisseurs au lieu des cibles prévues par les fonds, en l'occurrence les pays à faible revenu qui luttent contre une pandémie. Ces critiques ont demandé pourquoi ne pas simplement donner ces fonds à un organisme comme le Fonds d'Urgence de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), où les fonds pourraient être directement versés aux pays touchés dans le besoin.
L'OMS détermine notamment si une pandémie répond aux critères qui permettraient de canaliser l'argent des investisseurs vers le PEF plutôt que vers leurs propres poches, ce qui se produirait si aucune pandémie n'était déclarée d'ici à l'échéance des obligations en juillet prochain.
En 2017, le site d'information Quartz a décrit le mécanisme des « obligations pandémiques » comme suit :
« Les investisseurs achètent les obligations et reçoivent en retour des paiements de coupons réguliers. En cas d'épidémie, les investisseurs ne récupèrent pas leur argent initial. Il existe deux variétés de dettes, toutes deux arrivant à échéance en juillet 2020.
La première obligation a permis de récolter 225 millions de dollars et est assortie d'un taux d'intérêt d'environ 7%. Le paiement de l'obligation est suspendu en cas d'apparition de nouveaux virus de la grippe ou de coronaviridés (SRAS, MERS). La deuxième obligation, plus risquée, a permis de récolter 95 millions de dollars à un taux d'intérêt supérieur à 11%. Cette obligation permet de conserver l'argent des investisseurs en cas d'épidémie de filovirus, de coronavirus, de fièvre de Lassa, de fièvre de la vallée du Rift et/ou de fièvre hémorragique de Crimée-Congo. La Banque Mondiale a également émis pour 105 millions de dollars de produits dérivés swaps qui fonctionnent de manière similaire. (c'est nous qui soulignons) ».
En 2017, la Banque Mondiale a émis pour 425 millions de dollars d'obligations pandémiques et la vente d'obligations aurait été sursouscrite de 200%, « les investisseurs étant impatients de mettre la main sur les rendements élevés offerts », selon les rapports. Les primes que les détenteurs d'obligations ont reçues jusqu'à présent ont été en grande partie financées par les gouvernements du Japon et de l'Allemagne, qui sont également les principaux États nations qui financent l'OMS, derrière les États-Unis et le Royaume-Uni. Selon certains rapports, la plupart des détenteurs d'obligations sont des entreprises et des particuliers basés en Europe.
Certains analystes ont fait valoir que ces obligations pandémiques n'ont jamais été destinées à aider les pays à faible revenu frappés par la pandémie, mais plutôt à enrichir les investisseurs de Wall Street. Par exemple, le prévisionniste économique américain Martin Armstrong a qualifié les obligations pandémiques de la Banque Mondiale de « pari géant dans le casino financier mondial » et de « stratagème comme aucun autre », affirmant récemment que ces obligations pourraient présenter une « bombe à retardement structurée de produits dérivés » qui pourrait faire monter les marchés financiers si une pandémie est déclarée par l'OMS. Armstrong a poursuivi en disant qu'il est dans l'intérêt de l'OMS de déclarer l'épidémie de coronavirus comme une pandémie, mais il a fait remarquer que, ce faisant, les détenteurs d'obligations subiraient des pertes importantes.
Même les économistes de l'establishment, comme l'ancien économiste en chef de la Banque Mondiale et Secrétaire au Trésor Larry Summers, ont critiqué le programme de la Banque Mondiale, qualifiant le PEF de « maladresse financière ». Bodo Ellmers, le Directeur du programme de financement du développement durable du Global Policy Forum, a lui aussi qualifié les obligations pandémiques « d'inutiles », tandis qu'Olga Jonas, qui a travaillé à la Banque Mondiale en tant qu'économiste pendant plus de 30 ans, a déclaré que le programme était « conçu pour échouer » car les obligations ont été créées afin de « réduire la probabilité de remboursement ».
L'analyste économique et financier et animateur du podcast « Quoth the Raven », Chris Irons, a déclaré à MintPress News qu'en ce qui concerne les obligations pandémiques, « ce qui est important, c'est de se concentrer sur les personnes qui vont bénéficier du fait que la pandémie n'a pas été déclarée », une tâche difficile étant donné que l'identité de la plupart des détenteurs d'obligations n'est pas actuellement disponible au public.
Irons a également noté que, selon lui, « l'OMS et le CDC ont été pris un peu à la gorge » et que certains gouvernements qui financent l'OMS, en particulier l'administration Trump, semblent « plus préoccupés par le marché boursier que par le fait de donner aux gens des informations qui peuvent être nécessaires et vitales ». Il a ajouté qu'il ne serait pas surprenant que ceux qui risquent de perdre financièrement à cause d'une déclaration officielle de pandémie fassent pression sur l'OMS en coulisses.
Comment déclencher un paiement
À mesure que l'épidémie de coronavirus se développe, l'inquiétude s'est accrue parmi ceux qui ont investi dans des obligations pandémiques dont le versement aux pays touchés par le coronavirus sera déclenché, malgré le retard manifeste de l'OMS à déclarer l'épidémie comme pandémie. Alors que l'OMS pourrait théoriquement modifier les critères qui déclencheraient le paiement et feraient perdre beaucoup aux détenteurs d'obligations, certains rapports récents ont affirmé que les détenteurs d'obligations cherchent à se débarrasser des obligations avant leur date d'échéance de juillet.
Le média allemand Deutsche-Welle a noté que le critère de déclenchement de la première catégorie d'obligations pandémiques, d'une valeur de 225 millions de dollars, aurait normalement déjà été rempli en raison du critère de plus de 2 500 décès dans un « pays en développement ». Cependant, l'OMS a déclaré que cela ne répond pas à ce critère car elle ne considère pas la Chine comme un pays en développement, alors que les critères de la Banque Mondiale considèrent la Chine comme un pays en développement.
Pour la deuxième catégorie d'obligations pandémiques, plus risquée, ces obligations sont déclenchées lorsque la maladie en question franchit une frontière internationale et provoque plus de 20 décès dans le deuxième pays. Au moment de la publication de cet article, l'Iran a enregistré au moins 50 décès, ce qui aurait dû déclencher cette deuxième catégorie d'obligations pandémiques, d'une valeur de 95 millions de dollars. Pourtant, l'OMS n'a pas encore fait de commentaires sur la manière dont ce critère pour les obligations de la deuxième catégorie a été rempli.
La décision de l'OMS de refuser d'utiliser le « mot en p » peut être le résultat de plusieurs facteurs, les obligations pandémiques se profilent par exemple comme une incitation de 425 millions de dollars à ne pas le faire. Bien que le fait d'éviter l'utilisation de ce terme puisse plaire aux détenteurs d'obligations pandémiques, il devrait avoir des conséquences négatives majeures pour la santé publique mondiale, en particulier compte tenu du fait qu'une action précoce contre les épidémies et les pandémies est largement considérée comme un impératif.
source : Is Wall Street Behind the Delay in Declaring the Coronavirus Outbreak a "Pandemic"?
traduit par Réseau International