Par Patrick Cockburn
Paru sur Counterpunch sous le titre Attacking Hodeidah is a Deliberate Act of Cruelty by the Trump Administration
L'administration Trump est coupable de nombreux cas de cruauté gratuite, par exemple séparer les enfants migrants de leurs parents à la frontière. Mais alors que le monde avait les yeux fixés sur la préparation du sommet Trump-Kim Jong-un à Singapour lundi dernier, les USA ont fait quelque chose d'encore pire en annonçant discrètement une décision qui menace des millions de gens de famine et d'épidémies.
La sentence de mort potentielle est intervenue au cours d'un court communiqué de presse du Secrétaire d'État américain Mike Pompeo,qui donnait le feu vert aux EAU pour le lancement d'une offensive contre le Yémen destinée à prendre le port d'Hodeida sur la Mer rouge. La ville portuaire est le point d'entrée de 70% de la nourriture et des fournitures médicales pour les huit millions de yéménites dont l'ONU dit qu'ils sont en danger immédiat de famine sur les 22 millions qui ont besoin d'aides humanitaires.
Le soin que mettent les officiels américains à éviter toute accusation de complicité dans l'attaque contre Hodeida signale leur certitude d'un dénouement calamiteux. Pompeo a été délibérément discret dans ses trois phrases sur Hodeida : « J'ai parlé avec des leaders émiratis et éclairci notre désir de prendre en compte leurs inquiétudes sur leur sécurité tout en préservant le libre passage des aides humanitaires et des importations commerciales qui sauvent des vies ».
Ce qui était absent de ce message pour la première fois était toute demande à l'Arabie Saoudite et aux EAU de ne pas attaquer Hodeida, un ville de 600 000 habitants. Les USA et les EAU ont travaillé dur pour créer un rideau de fumée de désinformation sur ce qui se passe et sur les raisons de leur offensive actuelle.
Les 25 000 combattants yéménites qui avancent sur Hodeida ne sont pas une force indépendante, mais sont payés et contrôlés par les EAU. « Nous prenons nos ordres des Emiratis, bien sûr, » a dit un chef militaire yéménite à Iona Craig, de l'Intercept, ce mois-ci, alors qu'il appelait des frappes aériennes de soutien sur une ligne de front. Ce soutien aérien est fourni par les Saoudiens et les EAU avec l'aide logistique des USA, qui se chargent aussi des renseignements sur les cibles à bombarder. Les USA nient avoir un rôle central dans l'assaut contre Hodeida, mais il ne pourrait pas se produire sans son accord.
Les EAU ont éclairci auprès d'officiels américains qu'ils n'attaqueraient pas Hodeida sans la permission et le soutien de l'administration Trump. La Maison-Blanche a décidé de durcir la campagne saoudienne et émiratie contre les Houthis, qu'elle dénonce comme force iranienne par procuration sans en fournir de preuve formelle. Une des justifications de l'attaque d'Hodeida par les EAU est qu'elle est utilisée par les Houthis pour faire entrer des missiles iraniens et d'autres armes. « Est-ce que nous devons laisser les Houthis faire de la contrebande de missiles ? » a demandé un ambassadeur des EAU. Mais un panel d'experts de l'ONU a conclu plus tôt cette année qu'aucune armes n'entrait par le port parce que les bateaux sont inspectés de façon aléatoire et doivent être autorisés par l'ONU.
Les EAU ont fait quelques tentatives grossières pour faire croire qu'ils n'agissent pas de concert avec les USA, par exemple en annonçant publiquement que leur requête d'images satellites, de reconnaissance et de déminage avait été refusée par les USA. Étant donné que les pays n'étalent pas publiquement ce genre de refus, c'était clairement pour tenter de minimiser le rôle des USA.
Note de la traduction : L'opération de déminage du port d'Hodeida dont les USA ont refusé de prendre la responsabilité directe pour se protéger de toute accusation future de complicité de génocide a été reprise par un pays de l'OTAN moins soucieux de sa réputation internationale, la France.|#e5e4e4
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Pourquoi les USA font-ils cela ? Trump est plus proche de l'Arabie Saoudite et des EAU que n'importe lequel de ses prédécesseurs et ils ont fait de gros efforts pour cultiver son amitié. La Maison-Blanche voit le Yémen comme l'un des fronts d'une campagne de pressions contre l'Iran. Mais le principal motif de l'escalade de l'Arabie Saoudite, des EAU et de leurs soutiens étrangers comme les USA, le Royaume-Uni et la France est que leur guerre ne va pas bien pour eux.
Quand le prince héritier Mohammed Ben Salmane a commencé sa guerre aérienne contre les Houthis en mars 2015, elle avait été nommée, avec une grande confiance, « Opération orage décisif ». Elle s'est révélée tout sauf décisive, et piétine depuis trois ans. Les Houthis, une secte chiite minoritaire, contrôlent la capitale Sanaa et presque tout le nord densément peuplé du Yémen, et restent capables de lancer occasionnellement des missiles contre l'Arabie Saoudite.
Les USA encouragent les EAU et leurs alliés à prendre Hodeida pour sortir de l'impasse en encerclant les Houthis. Mais encore leur faudrait-t-il prendre Sanaa et forcer les Houthis à capituler.
Ce que l'opération d'Hodeida peut faire, en revanche, est de transformer un désastre humanitaire que l'ONU appelle déjà la pire crise humanitaire dans le monde en catastrophe intégrale. Trois-quarts des Yéménites dépendent déjà d'aides pour survivre et elles peuvent être coupées dans les jours qui viennent, quand les combats entreront dans Hodeida et fermeront le port.
Les Saoudiens et les EAU tentent de calmer les inquiétudes internationales, notamment dans le Congrès des USA, sur une famine imminente en disant qu'ils sont prêts et attendent pour envoyer une assistance dès qu'ils auront pris Hodeida. Cela a l'air correct, mais l'année dernière, l'Arabie Saoudite a bloqué l'envoi de pastilles de chlore au Yémen, alors que le pays souffrait d'une épidémie de choléra qui, selon l'OMS, a infecté 500 000 personnes et tué 2000 enfants. L'épidémie avait débuté parce que la coalition menée par l'Arabie Saoudite avait bombardé la principale centrale électrique et que l'électricité n'était plus suffisante pour alimenter les stations d'épuration d'eau et les systèmes d'évacuation des déchets et eaux usées.
Même si Hodeida tombe, les forces yéménites soutenues par les Saoudiens et les Emiratis seront incapables de combattre sur les hauts plateaux escarpés du Yémen, où la nature du terrain favorise les forces défensives.
Les affectations d'inquiétude humanitaire pour le Yémen des USA, de la Grande-Bretagne et de la France exhalent une épouvantable puanteur d'hypocrisie, alors qu'ils versent de copieuses larmes sur les victimes de la guerre tout en fournissant les armes et les conseillers avec lesquels cette guerre est menée. Les quelques missiles houthis lancés sans grand effet contre Riyad sont furieusement dénoncés, mais presque rien n'émerge des bombardements implacables de Sanaa et des autres centres urbains yéménites. Les USA et la Grande-Bretagne se sont opposés à une demande de cessez-le-feu immédiat de la Suède devant le Conseil de Sécurité des Nations-Unies, mardi dernier. Quelques cyniques soupçonnent que le moment de l'offensive des Saoudiens-EAU a été choisi pour couler les efforts de paix de l'envoyé spécial de l'ONU Martin Griffiths, qui demande le retrait des Houthis d'Hodeida et une prise de contrôle du port par l'ONU.
Demander une solution politique, comme l'a fait la Grande-Bretagne, fait meilleur effet que demander plus de guerre, mais le dénouement sera en gros le même tant que l'Arabie Saoudite et les EAU continueront à demander par la diplomatie ce qu'ils n'ont pas réussi à obtenir sur le terrain des combats en trois ans. Si les Houthis ne se retirent pas, alors il est probable que la coalition menée par l'Arabie Saoudite s'appuiera sur une poursuite des bombardements pour forcer le passage. La ville finira par ressembler à Raqqa, Mossoul ou Alep-Est où les troupes au sol ont fait du nettoyage après que les frappes aériennes aient tout oblitéré devant elles. Ce ne sera que quand les USA, la Grande-Bretagne et la France feront payer le prix politique de cette désastreuse aventure meurtrière à l'Arabie Saoudite et aux EAU que la fin de la guerre sera en vue.
Traduction Entelekheia