20/04/2021 tlaxcala-int.org  6 min #188542

Égypte-Italie : Amour, Armes et Affaires La violation massive des droits humains par le régime du maréchal laisse Draghi & Co. de marbre

 Antonio Mazzeo

La citoyenneté italienne pour Patrick Zaki, l'étudiant égyptien de l'université de Bologne emprisonné depuis 14 mois par le régime Al Sissi ? « Il s'agit d'une initiative parlementaire dans laquelle le gouvernement n'est pas impliqué pour le moment ». C'est ce que pense et dit le Premier ministre Mario Draghi, en mettant au congélateur l'opinion publique italienne et les forces politiques qui ont voté ces derniers jours un ordre du jour visant à accorder la citoyenneté au jeune homme injustement détenu au Caire. Pour Draghi, évidemment, Erdogan est un dictateur, tandis qu'Al Sissi doit être soutenu et vénéré parce qu'il est un généreux bienfaiteur du système Italia, notamment des géants pétroliers et militaro-industriels.

Ce n'est pas une coïncidence si le niet cynique à l'appel en faveur de Zaki pour la défense des droits humains est intervenu quelques heures après le énième face-à-face (le troisième en moins d'un an) entre le maréchal-dictateur d'Égypte et le PDG d'ENI, Claudio Descalzi, au sujet de l'expansion des investissements et des activités minières de la transnationale détenue à 30% par l'État italien. La visite dans la capitale égyptienne n'est pas mentionnée dans les communiqués de presse publiés en continu par le bureau de presse d'ENI, mais nous l'apprenons directement de la présidence de la République d'Égypte. « Le 15 avril, le président Abdel Fattah Al Sissi a reçu le PDG de la compagnie énergétique italienne, Claudio Descalzi, en présence du ministre du Pétrole et des Ressources minérales, Tarek El-Molla et de plusieurs cadres de l'ENI », rapporte la note du gouvernement égyptien.

« Le président a exprimé son soutien à l'intention d'ENI de renforcer ses activités dans le secteur de l'exploration pétrolière et gazière, dans le prolongement de la coopération fructueuse entre le groupe italien et l'Égypte. Pour sa part, M. Descalzi a expliqué qu'ENI cherche à développer davantage ses activités, notamment en raison de la position stratégique de l'Égypte et de la qualité de ses infrastructures, qui lui permettent de jouer un rôle central dans la région, soutenu par des facteurs tels que la sécurité, la stabilité et la direction avisée du président ». Au cours de la réunion, Al Sissi et Descalzi ont discuté de la possibilité pour ENI de commencer la production d'hydrogène dans certaines usines égyptiennes et ils se sont également concentrés sur la réouverture dans la ville portuaire de Damiette du pôle pour la production de gaz naturel liquéfié (GNL) pour l'exportation. L'usine de Damiette, dans le delta du Nil, a été remise en service suite à l'accord signé le 1er décembre 2020 entre le géant italien des hydrocarbures et deux entreprises publiques égyptiennes (l'Egyptian General Petroleum Corporation et l'Egyptian Natural Gas Holding Company) après un arrêt de huit ans.

Autre preuve de la relation d'amour et d'affaires bien établie entre Rome et Le Caire, la semaine dernière, la holding Fincantieri S.p.A., qui est également contrôlée à 71,6 % par l'État italien par l'intermédiaire de la Caisse des Dépôts et Consignations, a livré la deuxième frégate multi-missions FREMM de classe Bergamini à la marine égyptienne (la première était arrivée à Alexandrie, en Égypte, fin décembre 2020). Les deux navires de guerre ont été construits dans les chantiers navals liguriens de Riva Trigoso. En réalité, il s'agissait d'un travail de reprofilages, car les frégates avaient été construites pour la marine italienne, mais après la signature d'un contrat entre Fincantieri et le régime Al Sissi et un changement de nom et d'immatriculation, elles ont été détournées vers le pays d'Afrique du Nord.

Selon Ilfattoquotidiano.it, la vente des deux navires à l'Égypte était tout sauf une bonne affaire pour les caisses italiennes. Alors que la marine italienne avait payé 1,2 milliard d'euros pour la paire de FREMM, le Caire n'a déboursé « que » 990 millions d'euros. « Si l'on y ajoute les coûts de démantèlement des systèmes de l'OTAN, les intérêts des prêts contractés pour l'achat et la maintenance, la différence entre le coût pour l'État et celui pour l'Égypte peut atteindre 556 millions d'euros », note le Réseau italien pour la paix et le désarmement. Et tout cela avec la circonstance aggravante de favoriser un client mis à l'index pour violations des droits humains et complicité avérée dans la disparition et l'assassinat du jeune chercheur italien Giulio Regeni. « La fourniture des FREMM n'a jamais été soumise à l'examen des Chambres », a également relevé Giorgio Beretta, de l'Observatoire permanent des armes légères (Opal). « Une étape fondamentale exigée par la législation en vigueur, la loi 185 de 1990, et aujourd'hui encore plus nécessaire compte tenu des négociations en cours avec l'Égypte pour d'autres frégates, patrouilleurs, chasseurs multirôles et avions d'entraînement qui consolideraient la position du régime Al Sissi en tant que principal acheteur de systèmes militaires italiens ». Au cours de l'année 2019, l'Égypte a été le premier pays de destination des ventes militaires autorisées, pour une valeur de plus de 870 millions d'euros.

Fincantieri S.p.A. espère conclure dès que possible les négociations en cours avec les forces armées égyptiennes. Selon le journal anglophone Egypt Today, le 25 février 2021, le ministre de la Défense et de la Production militaire Mohamed Zaki (également commandant en chef des forces armées égyptiennes), a visité l'exposition internationale des industries de l'armement IDEX 2021 aux Émirats arabes unis, où il a eu l'occasion de rencontrer les dirigeants de la holding italienne de construction navale. Fincantieri sera également l'un des principaux sponsors de l'Egypt Defence Expo - EDEX, le salon international des industries de guerre qui se tiendra au Caire du 29 novembre au 2 décembre 2021 sous le patronage du président de la République et du commandement suprême des forces armées égyptiennes. Parmi les sponsors d'EDEX 2021 figurera le géant européen des missiles MBDA, contrôlé à 25 % par Leonardo, anciennement Finmeccanica, principal fournisseur de missiles pour les unités terrestres, aériennes et maritimes du régime égyptien.

« Les autorités de la République d'Égypte ont continué de sanctionner toute forme de dissidence, réelle ou supposée, et ont durement réprimé l'exercice des droits à la liberté de réunion pacifique, d'expression et d'association », dénonce Amnesty International dans son dernier rapport annuel sur les droits humains. « Les forces de sécurité ont fait un usage illégal de la force pour disperser de rares manifestations et ont détenu arbitrairement des centaines de manifestants et de passants, dans l'attente d'enquêtes sur le terrorisme et d'autres accusations liées aux manifestations. Des milliers de personnes restaient en détention provisoire prolongée, notamment des défenseurs des droits humains, des journalistes, des hommes politiques, des avocats et des personnes influentes sur les médias sociaux. Les conditions de détention sont restées cruelles et inhumaines et les prisonniers ont été privés de soins médicaux adéquats, une situation qui a entraîné ou contribué à entraîner au moins 35 décès en détention ou peu après la libération. De nouvelles condamnations à mort ont été prononcées et des exécutions ont eu lieu ». Ce rapport d'Amnesty ne permet pas davantage de trous de mémoire ou d'opportunisme commercial cynique. Nous en recommandons la lecture intégrale à Draghi, Guerini (ministre de la Défense), ENI, Fincantieri et Leonardo. Au nom et à la mémoire de Giulio Regeni et des milliers de Patrick Zaki pourrissant dans les prisons égyptiennes.

-Patrick, on est en train de faire tout notre possible pour toi...comme on a fait pour Regeni
-Alors, on est bien barrés

Courtesy of  Tlaxcala
Source:  antoniomazzeoblog.blogspot.com
Publication date of original article: 18/04/2021

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