07/04/2021 les-crises.fr  5 min #187917

États-Unis : La diabolisation de la Chine ne peut qu'amener davantage de tensions

Source :  Responsible Statecraft, Michael D. Swaine

Traduit par les lecteurs du site Les Crises

L'amiral Philip S. Davidson, USN, commandant du Commandement indo-pacifique des États-Unis comparaît devant un comité sénatorial des forces armées. Mardi 9 mars 2021. Photo par Rod Lamkey / CNP / ABACAPRESS.COM

Les défis sécuritaires dans la région indo-pacifique ont été le sujet dominant des récentes audiences au Capitole. Sans surprise, la discussion s'est concentrée sur la Chine et la Corée du Nord. Cependant, pour une nouvelle administration ostensiblement vouée à servir les classes moyennes et ouvrières américaines et à corriger les faux pas politiques de l'administration Trump, la plupart des remarques des législateurs et des témoins suggèrent que peu de choses ont changé depuis l'investiture le 20 janvier.

À son crédit, dans sa déclaration d'ouverture à la Commission des forces armées de la Chambre des représentants le 10 mars, le président Adam Smith (Démocrate-Etat de Washington) a insisté sur le fait que les États-Unis doivent éviter de tomber dans une guerre froide avec la Chine, et être suffisamment forts pour dissuader, et non dominer, Pékin militairement. Il a également affirmé que les États-Unis doivent être plus stratégiques dans l'utilisation de moyens de défense limités pour assurer la stabilité en Asie.

On pourrait penser que cela aurait conduit à une discussion sur la manière de mieux doser la politique américaine en Asie afin de réduire la concurrence sécuritaire avec Pékin et d'inciter toutes les parties à s'engager militairement d'une manière plus productive et rassurante, tout en conservant la dissuasion nécessaire là où elle est requise. Malheureusement, le commentaire de Smith était une exception.

Au lieu de cela, les échanges impliquant l'amiral Philip S. Davidson, le général Robert B. Abrams et David Helvey, le secrétaire adjoint à la Défense par intérim pour l'Indo-Pacifique, tout au long de ces auditions, ont constitué une chambre d'écho à une inflation de menaces ouvertes et des pires observations sur la Chine.

Invariablement, Pékin a été présenté comme une puissance agressive prête à saper la région et l'ensemble de l'ordre international « réglementaire », si elle en avait l'occasion. Et ce, en dépit du fait que 99 % des affirmations ou des agressions militaires de la Chine sont liées à des conflits de souveraineté, que ce soit avec l'Inde, le gouvernement actuel de Taïwan, les Philippines ou le Japon. À écouter bon nombre de ces politiciens et fonctionnaires de Washington, on pourrait penser que la Chine prépare son armée à traverser l'Asie au pas de charge pour s'emparer de tous les territoires qu'elle rencontre, qu'ils soient contestés ou non.

Dans presque tous les commentaires ou réponses, la dissuasion militaire est considérée comme le seul outil dont dispose Washington, tandis que l'apaisement n'est mentionné que dans le contexte des alliés ou amis des États-Unis, comme un moyen de les renforcer contre la Chine. Même le plus haut diplomate américain, le secrétaire d'État Antony Blinken, s'est contenté d'évoquer l'étude de « domaines potentiels de coopération » avec la Chine (la formule habituelle de l'administration), tout en soulignant que la Chine devrait faire des progrès tangibles sur les préoccupations américaines avant d'envisager d'autres discussions au-delà de celle prévue en Alaska la semaine prochaine.

Donc, oubliez le dialogue permanent sur les efforts pour parvenir à une compréhension mutuelle. La diplomatie doit apparemment consister à émettre des exigences et à attendre qu'elles soient respectées, probablement avec une certaine persuasion fournie par l'armée américaine.

Apparemment, personne dans les délibérations des commissions des services armés du Sénat et de la Chambre, ainsi que de la commission des affaires étrangères de la Chambre, n'avait entendu parler du dilemme de la sécurité. Il s'agit de la notion selon laquelle les actions prétendument défensives et axées sur la dissuasion d'un pays sont interprétées par le pays cible comme étant agressives et menaçantes, suscitant ainsi ses propres actions militaires prétendument axées sur la dissuasion, et créant un cercle vicieux sans fin. Le résultat, en l'absence d'un effort sérieux pour modérer le processus, est une augmentation constante des tensions, une course aux armements sans fin et une augmentation des risques de conflit.

Sans certaines mesures de garanties significatives et crédibles à l'égard de Pékin, par exemple en ce qui concerne Taïwan, tous les grands plans américains visant à dissuader la Chine seront simplement interprétés par Pékin comme des préparatifs destinés à séparer définitivement Taïwan de la Chine continentale, couper les voies commerciales maritimes de la Chine ou soutenir militairement les revendications contestées des adversaires de Pékin dans les mers de Chine orientale et méridionale. La perception de telles menaces n'incitera pas Pékin à faire marche arrière, mais plutôt à redoubler d'efforts pour empêcher ces résultats potentiels.

En outre, une telle approche unilatérale des États-Unis suscitera très probablement aussi une plus grande anxiété chez les alliés et amis de Washington, qui cherchent une approche plus équilibrée de l'Asie après les politiques désastreuses de Trump. En effet, les dirigeants américains semblent sourds à l'affirmation forte et répétée des dirigeants asiatiques selon laquelle ils ne veulent pas être contraints de choisir entre Pékin et Washington.

Cela indique clairement qu'il faut à la fois dissuader et rassurer toutes les parties. Mais Washington semble incapable d'envisager de donner des garanties significatives à Pékin, du moins tant qu'il n'aura pas fini de dépeindre la Chine comme un ennemi implacable. D'ailleurs, comment donner des garanties crédibles (qui impliquent inévitablement un certain niveau de confiance) tout en disant à Pékin et au monde entier que la Chine est rapace et qu'on ne peut pas lui faire confiance ?

Espérons qu'à un moment donné, les responsables américains cesseront cette gesticulation belliqueuse et s'attelleront à l'élaboration d'une stratégie sérieuse vis-à-vis de Pékin. Une telle stratégie doit être basée sur un ensemble d'objectifs mixtes qui reflètent un sens plus réaliste des défis et des opportunités que représente la Chine, des forces et des limites auxquelles Pékin et Washington sont confrontés, ainsi que des opinions et des croyances réelles des alliés et des amis des États-Unis.

Source :  Responsible Statecraft, Michael D. Swaine, 15-03-2021

Traduit par les lecteurs du site Les Crises

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