19/02/2021 reporterre.net  8 min #185788

Inquiétantes découvertes scientifiques sur les microplastiques dans les océans

La pollution générée par le plastique est plus complexe qu'elle n'y paraît. Saviez-vous que les microplastiques voguant sur l'eau déplacent des espèces invasives ? Qu'en absorbant les antibiotiques ils favorisent l'antibiorésistance ? Des chercheurs au CNRS font le bilan de leurs inquiétantes découvertes. Des solutions naissent, doucement.

Faut-il encore le rappeler ? De l'Antarctique aux grands fonds méditerranéens, les plastiques sont partout. Et les conséquences de leur dissémination aussi exponentielles que la courbe de leur utilisation.

Le sujet occupe et préoccupe de plus en plus de chercheurs, a rappelé le  CNRS lors d'une présentation en ligne des travaux du  groupement de recherche polymères et océans - créé en 2019, il rassemble plus de deux cents chercheurs. Plusieurs d'entre eux ont ainsi fait le point mercredi 10 février sur la recherche concernant cette matière  omniprésente dans notre quotidien.

L'occasion de préciser l'ampleur de la pollution, et sa répartition.  La mer est sa principale victime : quatre cents millions de tonnes de plastique sont produites chaque année et environ dix millions d'entre elles aboutissent dans les océans, a chiffré François Galgani, océanographe et écotoxicologue à l'  Ifremer en Corse. Le rapport d'experts d'une ONG étasunienne prédit même un triplement à  trente millions de tonnes par an en 2040, si rien n'est fait.

Parmi ces déchets, « 30 à 40 % sont des emballages », a précisé le chercheur. « La mer Méditerranée est la plus polluée au monde, en raison du grand nombre d'habitants, du fait qu'elle est fermée, de la densité de trafic maritime et des grands fleuves qui s'y déversent », a-t-il poursuivi. L'embouchure du Nil ou celle du canal de Suez sont notamment des points noirs.

« La pollution croît significativement dans les zones les plus lointaines, comme l'Antarctique ou les grands fonds »

Surtout, ces déchets ne restent pas forcément là où ils sont produits. « Ils circulent sur de longues distances, explique le chercheur. Par exemple, les déchets produits sur la côte atlantique européenne peuvent être transportés de l'autre côté de l'Atlantique. Ils s'accumulent aussi dans les zones de convergence, ce que les ONG ont appelé les continents de plastique. La pollution n'augmente pas partout de la même manière. Désormais, elle croît significativement dans les zones les plus lointaines, comme l'Antarctique ou les grands fonds. »

L'étendue des conséquences de cette pollution commence à peine à être explorée. « On connaît les effets sur la macrofaune via les piégeages, les étranglements, les blessures, a expliqué Ika Paul-Pont, chercheuse au CNRS en écotoxicologie marine. Mais il y a une pollution plus insidieuse. Les plastiques sont ingérés par toute la chaîne alimentaire marine. Ils peuvent s'accumuler dans le tube digestif des animaux, voire passer la barrière intestinale et aller dans d'autres organes. Ils ont des effets toxiques avérés. »

« Les déchets s'accumulent aussi dans les zones de convergence, ce que les ONG ont appelé les continents de plastique. »

Car, au-delà de la perturbation mécanique que crée la présence d'un morceau de plastique dans le corps, cette matière a aussi des effets chimiques. Les plastiques contiennent, pour environ 5 % de leur composition, des additifs parfois problématiques, tels que les phtalates et le  bisphénol A. Et en plus de cela « le plastique a une très forte capacité d'absorption des contaminants du milieu environnant », poursuit Mme Paul-Pont. Un concentré de polluants, en somme, ingéré par les habitants des mers. « On a observé en laboratoire que cela a des effets sur la capacité des animaux à se nourrir, crée du stress, perturbe leurs défenses immunitaires, leur croissance, leur reproduction et leur comportement. »

Des micro-organismes - dont des espèces invasives - voyagent sur des microplastiques

Mme Paul-Pont nous apprend aussi la découverte récente de ce que les spécialistes ont appelé la « plastisphère », soit l'ensemble des micro-organismes vivant sur les particules de plastique parsemant les océans. « C'est une nouvelle niche écologique », constate-t-elle. Qui pose de sacrées questions : « Les microplastiques sont très durables dans le temps et peuvent parcourir de grandes distances. Cela peut déplacer des espèces invasives voire pathogènes. Par exemple, six ans après le tsunami au Japon de 2011, on a retrouvé près de trois cents espèces nouvelles de micro-organismes arrivées sur la côte américaine via des microplastiques. Ils ont traversé le Pacifique. » Autre inquiétude, cette plastisphère comprend parmi ses habitants des bactéries ayant développé des résistances à un large éventail d'antibiotiques. La chercheuse au CNRS résume :
Les plastiques absorbent aussi les antibiotiques. Ils pourraient donc jouer un rôle dans le développement de l'antibiorésistance. »

Après les microplastiques et leur cortège de micro-organismes, poursuivons la plongée dans l'infiniment petit avec les nanoplastiques, produits de la dégradation du plastique et invisibles à l'œil nu. Ils intéressent les chercheurs depuis 2015. Eux aussi sont partout. « Dans les sols, les plages, les océans, les rivières, détaille Julien Gigault, chargé de recherche au CNRS. Ils sont très contaminants. Leur taille et leur forme leur procurent une capacité de diffusion extraordinaire. Ils traversent les barrières organiques très facilement. » Et apportent donc avec eux leur cortège de polluants et micro-organismes prospérant sur le plastique. Les scientifiques explorent encore les conséquences de ces observations.

Lise Durantou, cofondatrice de l'association la Pagaie sauvage, en pleine capture de microplastiques dans une rivière au Pays basque.

Elles semblent, à première vue, potentiellement catastrophiques pour le monde marin. En revanche, les spécialistes se sont montrés plus rassurants pour les humains. Concernant les nanoplastiques, « l'exposition est limitée et se fait surtout par l'air, puis par les vêtements, les cosmétiques, l'alimentation et de façon volontaire par des actes médicaux, a expliqué Guillaume Duflos, biochimiste à l'Anses (l'agence nationale de sécurité sanitaire). Mais les recherches sur la toxicité pour l'humain ont commencé il y a peu. » En 2019, un rapport de l'ONG Center for international environmental law (Ciel) s'intéressant aux  effets des plastiques sur la santé humaine estimait tout de même que « le plastique est une crise sanitaire globale ignorée bien que sous nos yeux ». On y lisait qu'« une étude a trouvé des microplastiques dans les selles de sujets habitant dans des régions du monde variées et aux régimes alimentaires totalement différents ».

« On est capable de faire des plastiques biodégradés à 90 % au bout de 250 jours »

Alors, que faire face à l'ampleur du désastre annoncé ? « Malheureusement, on ne peut pas nettoyer les océans », a constaté Fabienne Lagarde, maîtresse de conférences à l'Université du Mans. Il faut donc absolument limiter les entrées. » Réduire, donc, la quantité de plastique relarguée dans la nature. En en diminuant notre consommation effrénée par exemple. La  réglementation européenne visant à réduire l'utilisation du plastique à usage unique est un bon début, selon François Galgani : « Il y a également des discussions au niveau mondial pour s'accorder sur la réduction du plastique à usage unique, cela peut fonctionner. »

Mieux récupérer les déchets plastiques pour les recycler davantage fait également partie des pistes évoquées. Enfin, « il faut penser la fin d'usage du matériau dès sa conception », a estimé Fabienne Lagarde. Autrement dit, inventer des plastiques qui se dégradent rapidement dans l'environnement. Un champ de la recherche en plein développement selon Stéphane Bruzaud, professeur à l'Université de Bretagne-Sud : « On est capables de faire des plastiques biodégradés à 90 % au bout de 250 jours », se félicite-t-il. « Ils ne persisteraient dans l'environnement que quelques jours ou semaines plutôt que des dizaines d'années. Mais ils ne représentent que 1 % du plastique aujourd'hui dans le monde. »


Source : Marie Astier pour Reporterre

Photos :
chapô : Des microplastiques de la rivière Patapsco photographiés au laboratoire du département de science environnementale et de technologie de l'Université du Maryland (États-Unis), en 2015. Will Parson/Chesapeake Bay Program
Cofondatrice de l'association la Pagaie sauvage. © Chloé Rebillard/Reporterre
Des microplastiques récoltés dans un vortex, ou tourbillon, de déchets dans l'océan. Will Parson/Chesapeake Bay Program /  Flickr

 reporterre.net

 Commenter