19/01/2022 reseauinternational.net  24 min #200837

« Le jour où la Chine va gagner - La fin de la suprématie américaine »

par Dr. rer. publ. Werner Wüthrich.

À propos du livre de Kishore Mahbubani

À la fin de l'année dernière, le Président américain Joe Biden a convoqué un certain « sommet pour la démocratie » avec des pays sélectionnés, dont Taïwan. Le gouvernement chinois avait vivement réagi. Selon lui, l'organisation de ce sommet constituait une tentative dangereuse de faire renaître la « mentalité de la Guerre froide ». Par ailleurs, les États-Unis, le Canada et l'Australie ont annoncé qu'ils n'enverraient pas de représentants politiques aux Jeux olympiques d'hiver de Pékin en février. La Chine a alors publié un livre blanc intitulé « China : Democracy That Works », dont le message principal est le suivant : le parti communiste, le PCC, détient certes le monopole du pouvoir (avec pour mission principale de maintenir la cohésion de ce pays géant de 1,4 milliard d'habitants). Mais dans les communes, les districts, les villes, les nombreuses régions autonomes, les nombreux congrès populaires avec leurs comités, chaque citoyen individuel a une multitude de possibilités (bel et bien utilisées) de s'impliquer, d'avoir son mot à dire, d'élire lui-même les autorités et de participer aux décisions sur les questions de fond. Les idées et propositions sont recueillies et sont prises en compte dans les décisions des autorités. Sur cette base, le gouvernement peut prendre des décisions judicieuses et le pays reste stable. - La Chine a réagi aux provocations des États-Unis en publiant un document critique à leur égard intitulé « L'état de la démocratie aux États-Unis » (Radio China International des 4 et 5 décembre 2021). - Cela permettra sans doute de lancer un grand débat mondial sur la démocratie. - Je l'espère.

Le livre de Kishore Mahbubani « Le jour où la Chine va gagner - La fin de la suprématie américaine » montre parfaitement les dessous de la nouvelle et dangereuse aggravation des relations entre les deux pays. La Chine a connu un développement économique considérable au cours des 30 dernières années et a sorti près de 800 millions de ses concitoyens de l'extrême pauvreté. Des millions d'entrepreneurs ont émergé. Des milliers d'entreprises sont créées chaque année, et fournissent au monde des biens de qualité. - Sans liberté, rien de tout cela n'est possible. Une grande classe moyenne a vu le jour, si bien que le pays vit aujourd'hui dans une modeste prospérité. Il est toutefois surprenant de constater que les journaux occidentaux, et notamment américains, regorgent de commentaires critiques vis-à-vis de la Chine, et d'articles unilatéralement négatifs.

Kishore Mahbubani cite en exemple dans son livre le discours du vice-président américain Mike Pence du 4 octobre 2018, consacré à la Chine. Il estime qu'il s'agit d'un nouveau point bas dans les relations sino-américaines. Mahbubani : « C'était un discours malveillant et condescendant, un discours qu'aucun de ses prédécesseurs récents n'aurait pu prononcer » (p. 269). Il constate que du point de vue américain, « étant donné l'atmosphère empoisonnée entourant la Chine, il serait peu judicieux pour n'importe quel politicien ou intellectuel américain de préconiser des approches plus raisonnables » (p. 266). Mahbubani compare la situation à celle de la Guerre froide dans les années cinquante.

Kishore Mahbubani voit beaucoup de choses différemment. Son livre « Le jour où la Chine va gagner - La fin de la suprématie américaine » a paru en français il y a quelques mois. Au vu du martèlement critique à l'égard de la Chine dans les médias occidentaux, ce livre offre un précieux point de vue divergent. Il incite le lecteur à ne pas se contenter de la vision unilatérale qui domine dans la politique et les médias, mais à considérer également l'autre côté de la médaille. Mon compte rendu du livre sera donc différent d'un compte rendu « normal ». Je partirai des principaux points de la critique occidentale envers la Chine, et leur opposerai surtout quelques passages textuels du livre de Mahbubani (la plupart des citations et numéros de pages correspondent à l'édition française, les autres sont tirées de lédition allemande traduites par Horizons et débats).

Autant dire d'emblée que l'espoir, largement répandu en Occident, que la Chine se rapprocherait politiquement des États-Unis et de l'Occident grâce à son développement et à son ouverture économique, s'est révélé faux. Selon M. Mahbubani, l'essor économique de l'Asie a pour conséquence que d'autres nations doivent apprendre à accepter des systèmes sociaux et politiques différents afin d'éviter des conflits majeurs.

Mais tout d'abord, quelques mots sur l'auteur Kishore Mahbubani : il a grandi à Singapour. Sa famille a des racines indiennes. « Dans ma jeunesse, ma mère m'emmenait prier dans des temples bouddhistes aussi bien qu'hindouistes » (p. 31). Mahbubani a travaillé de nombreuses années pour le ministère des Affaires étrangères de Singapour. Il a notamment été ambassadeur au Cambodge, en Malaisie, aux États-Unis, et a passé dix ans aux Nations unies. Il est actuellement professeur de sciences politiques à la Lee Kuan Yew School of Public Policy de l'Université nationale de Singapour. Il a écrit son livre en collaboration avec des politologues de prestigieuses universités américaines et britanniques.

Le livre est agréable à lire parce que M. Mahbubani est familier des deux mondes et ne prend pas position de manière unilatérale. Il écrit en tant qu'ami de l'Amérique et de la Chine. Ainsi, après l'introduction, le texte commence par deux chapitres détaillés intitulés « La plus grave erreur stratégique de la Chine » (p. 41-63) et « La plus grave erreur stratégique des États-Unis » (p. 65-94). Il écrit que l'Amérique manque d'une stratégie globale pour traiter avec la Chine et que, pour diverses raisons, il y a souvent eu des malentendus dans les relations avec le monde américain des affaires, contre lesquels les fonctionnaires chinois n'ont rien entrepris, et dont les causes sont inhérentes au système. En tant que partisan de la mondialisation, M. Mahbubani analyse ces deux aspects en profondeur et en montre les conséquences. Il y revient régulièrement par la suite.

Le parti communiste est-il également un modèle en voie de disparition en Chine ?

Kishore Mahbubani :

« Loin d'être dirigé par de vieux apparatchiks, il est devenu un système de gouvernance méritocratique, qui ne promeut au plus haut niveau que les meilleurs et les plus brillants. La machine du parti n'est certes pas parfaite. Aucune institution humaine ne l'est.... Malgré cela, la classe dirigeante chinoise peut se comparer sans rougir à ses homologues du reste du monde. Elle produit aujourd'hui plus de résultats dans l'amélioration du bien-être de la population que pratiquement tout autre gouvernement. Comme le PCC est constamment vilipendé dans les médias occidentaux, très peu de gens sont conscients, à l'Ouest, que les membres du parti assurent la meilleure gouvernance que la Chine ait connue de toute son histoire » (p. 160).

« La plus grande source de malentendus sur le PCC vient de ce que l'Occident se focalise sur le premier C (‹communiste›) du sigle au lieu du second (‹chinois›). Sans être parfait, le système de gouvernance chinois reflète des milliers d'années de traditions et de sagesse politique. L'État pèse globalement assez peu sur le peuple, et le PCC ne s'immisce pas activement dans la vie quotidienne des citoyens. De fait, le peuple chinois bénéficie d'une plus grande liberté personnelle sous son règne que sous celui de tout autre gouvernement précédent » (p. 191).

« [Considérer le PCC comme un ‹parti communiste chinois›] impliquerait que l'âme du PCC soit ancrée dans ses origines marxistes-léninistes, alors que la plupart des observateurs asiatiques objectifs estiment qu'elle s'enracine dans l'histoire de la Chine. Le PCC fonctionne en fait comme un "parti de la civilisation chinoise" » (p. 26).

La Chine menace-t-elle vraiment le monde libre ?

Kishore Mahbubani :

« La peur latente du péril jaune refait surface de temps à autre dans la littérature et l'art. Enfant, je vivais dans une colonie britannique et lisais les romans populaires sur le docteur Fu Manchu. Ils m'ont laissé une profonde impression. Inconsciemment, j'ai commencé à croire que la personnification du mal dans la société humaine se présentait sous la forme d'un homme jaune aux yeux bridés dépourvu de scrupules moraux » (p. 272).

«... la peur d'un "péril jaune" est enfouie au plus profond de la psyché occidentale. Lorsque de hauts responsables politiques américains prennent des décisions sur la Chine, ils peuvent bien croire en toute sincérité être guidés par des considérations rationnelles et non émotionnelles. Mais pour un observateur extérieur, il apparaît clairement que les réactions des Américains à la montée en puissance de la Chine sont également influencées par des réactions émotionnelles profondes » (p. 270).

« Les Américains ne peuvent imaginer qu'une société aussi libre et ouverte que la leur, la démocratie la plus robuste de la planète, puisse perdre la bataille contre un régime communiste fermé tel que celui de la Chine. Ils sont enclins à penser que le bien triomphe toujours du mal et qu'aucun système politique ne peut rivaliser avec celui conçu par les pères fondateurs de leur république. Cela peut expliquer, au moins en partie, la diabolisation croissante des Chinois à laquelle nous assistons depuis quelques années. Plus les Américains les perçoivent comme des agents du mal - en raison notamment de leur incapacité persistante à s'éveiller à la démocratie -, plus il leur est facile de croire qu'ils finiront par en venir à bout, quelle qu'en soit la probabilité » (p. 27).

Les libertés politiques et personnelles font-elles défaut en Chine ?

KishoreMahbubani :

«... au cours des trente dernières années, la société américaine est la seule du monde développé où le revenu moyen de la moitié inférieure de la population a diminué. Au cours de la même période, le peuple chinois a connu la plus grande hausse de son niveau de vie de toute son histoire. Une réponse évidente des Américains à un tel constat pourrait consister à dire que les Chinois ne jouissent toujours pas des mêmes droits politiques que les Américains. C'est vrai. Mais il est non moins vrai que les Chinois révèrent l'harmonie et le bien-être social plus que les droits individuels » (p. 172).

« Étant donné l'absence de libertés politiques en Chine, où le peuple n'a la possibilité ni de créer des partis politiques, ni de s'exprimer dans des médias libres, ni d'élire ses dirigeants, l'Occident s'imagine qu'il doit se sentir opprimé. Mais lorsque ce même peuple compare son sort, ce n'est pas avec les autres sociétés, mais avec ce qu'il a lui-même vécu dans le passé ; il voit alors qu'il jouit de la plus grande éruption de libertés personnelles de son histoire. Lorsque j'ai visité la Chine pour la première fois, en 1980, les Chinois ne pouvaient pas choisir où ils voulaient vivre, comment s'habiller, où étudier, quel travail prendre » (p. 173).

Pour l'auteur, la Chine d'aujourd'hui est une société heureuse. C'est aussi la raison pour laquelle les 130 millions de touristes qui se sont rendus à l'étranger en 2019 seraient rentrés chez eux de leur plein gré et avec un sentiment de bien-être. Mais en Amérique, les relations politiques vis-à-vis de la Chine seraient dominées par une vision sombre, où la Chine apparaît comme un oppresseur.

Il est frappant que « le risque d'être incarcéré aux États-Unis est au moins cinq fois plus élevé qu'en Chine... » (p. 181).

L'Occident doit-il enseigner la démocratie et les droits de l'homme à la Chine ?

« Pour les Américains, les idéaux de la liberté d'expression, de la liberté de la presse, de la liberté d'association et de la liberté de religion sont sacrés, et ils estiment que chaque être humain a droit aux mêmes droits fondamentaux. Les Chinois, quant à eux, pensent que les besoins sociaux et l'harmonie sociale sont plus importants que les besoins et les droits individuels, et que la tâche principale du gouvernement est d'éviter le chaos et les turbulences » (p. 274, traduite de la édition allemande par Hd).

« Une contradiction fondamentale n'apparaîtrait dans ce domaine que si la Chine essayait d'exporter ses valeurs vers l'Amérique. Les dirigeants chinois sont réalistes. Ils ne perdraient pas de temps ni de ressources pour une tâche impossible. Malheureusement, on ne peut pas en dire autant de la politique de l'Amérique » (p. 274, édition allemande).

En réalité, la soi-disant promotion de la démocratie par l'Occident peut avoir en pratique « l'effet inverse de ce que suggère la théorie, à savoir la déstabilisation et l'affaiblissement de la société concernée. Dans pareil contexte historique, les dirigeants chinois pensent à bon droit que si les États-Unis essaient de promouvoir la démocratie en Chine, ce n'est pas pour la fortifier, mais plutôt pour y susciter désunion et division et finalement le chaos. S'ils devaient y parvenir, l'Amérique resterait la première puissance incontestée pendant encore un siècle ou davantage. Un objectif aussi machiavélique peut sembler tiré par les cheveux. Pourtant, il ne manque pas de raisons pour qu'une grande puissance imagine que sa suprématie soit remise en question » (p. 186, éditionallemande).

Au sujet des « violations des droits de l'homme » : « La plupart des Américains ignorent que la Chine est elle aussi victime du terrorisme » (p. 278, traduction allemande). De nombreux attentats ont eu lieu au Xinjiang, faisant plusieurs centaines de morts. M. Mahbubani montre en détail que les mesures parfois rigoureuses prises par la Chine sont plus mesurées que la « guerre contre la terreur » menée par les États-Unis, qui mettait la vie de millions de personnes en danger. De nombreux civils innocents ont perdu la vie. L'Amérique n'a aucune raison de faire des reproches à la Chine. Selon M. Mahbubani, il serait plus approprié que les États-Unis eux-mêmes respectent davantage les droits de l'homme et renouvellent et cultivent leur propre démocratie. (p. 276-280, éditionallemande)

Le gouvernement chinois est-il si autoritaire au point de ne pas mériter la confiance ?

Kishore Mahbubani :

« Le rapport du "baromètre de confiance Edelman 2018", qui a étudié les niveaux de confiance de la population nationale envers son gouvernement dans différents pays, indique que la Chine se classe en tête et les États-Unis quinzièmes. Le score de 84 de la Chine dépassait en outre de plus de deux fois le leur (États-Unis), de 33 » (p. 163, édition allemande).

« Au XXIe siècle, le gouvernement chinois avisé sait qu'il doit maintenir l'équilibre entre trois parties parfois contradictoires pour assurer une société saine : la croissance, la stabilité et la liberté individuelle.... Selon une enquête d'opinion réalisée en 2015 par le Pew Research Center, 88% d'entre eux estiment que leurs enfants seront mieux lotis que leurs parents quand ils auront grandi, contre une moyenne de 51% dans les autres pays émergents et de 32% aux États-Unis » (p. 166, édition allemande).

« Chaque gouvernement chinois sait depuis des millénaires que si la majorité du peuple chinois devait choisir de se révolter, aucune répression ne pourrait la contenir » (p. 165, traduite de la édition allemande).

Si une révolte de grande ampleur éclate, l'empereur chinois a perdu le « mandat du ciel ». Mahbubani cite en exemple Menzius, un disciple de Confucius. Menzius a expliqué le concept chinois du mandat du ciel comme suit : « Le souverain ne possédait ce mandat que tant qu'il conservait le soutien du peuple, car c'était par le "cœur" que le Ciel faisait entendre sa volonté. Le peuple, à son tour, pouvait légitimement demander des comptes au souverain, qu'il avait le droit de bannir, s'il se révélait incapable, et même de le tuer, s'il se conduisait en tyran » (p. 165, traduite de la édition allemande).

La Chine menace-t-elle vraiment ses voisins... ?

« Plus la Chine est devenue puissante, moins elle s'est immiscée dans les affaires des autres États » (p. 153, édition allemande).

Kishore Mahbubani :

« Si l'on tient compte de la taille et de l'influence du pays, la Chine est sans doute, parmi les grandes puissances, celle qui se comporte de la manière la moins interventionniste. Parmi les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations unies, la Chine est la seule à n'avoir participé à aucune guerre loin de ses frontières depuis la Seconde Guerre mondiale, contrairement à l'Amérique, la Russie, la Grande-Bretagne et la France. Comme ce livre le démontre à plusieurs reprises, les dirigeants chinois ont pour objectif premier de préserver la paix et l'harmonie entre les 1,4 milliard de personnes vivant en Chine, et ils ne cherchent pas à influencer la vie des six milliards de personnes vivant en dehors de la Chine. C'est la raison principale pour laquelle la Chine se comporte comme une puissance de statu quo et non comme une puissance révolutionnaire. Ce faisant, elle apporte un bien commun mondial au système international » (p. 158, édition allemande).

« Tous les voisins immédiats vivent à côté de la Chine depuis des millénaires et ont développé depuis longtemps des instincts très développés et sensibles sur la manière dont ils doivent traiter avec la Chine émergente. Et l'élite chinoise (contrairement à l'élite américaine) possède une compréhension étendue de la longue histoire avec les pays riverains. Il y aura beaucoup de va-et-vient entre la Chine et ses voisins.... Mais il n'y aura pas de guerres » (p. 104, édition allemande).

... et en particulier Taïwan et le Japon ?

Pour la petite histoire : le XIXe siècle a été un siècle de prédation de l'Occident et aussi du Japon. Quelques mots clés à ce sujet : les troupes britanniques, françaises, allemandes et américaines ont envahi la Chine et ont occupé des parties de la Chine. La Chine, qui s'était repliée sur elle-même pendant des siècles et qui aimait la paix, n'était pas de taille à les affronter. Au cours de deux guerres, les Britanniques ont contraint la Chine à accepter l'opium (en provenance de L'Inde) comme moyen de paiement pour ses importations en provenance de Chine (thé, porcelaine). La Chine a dû céder Hong Kong et l'a ensuite cédé par contrat à la Grande-Bretagne pour 100 ans (jusqu'en 1997). En 1860, 4500 soldats britanniques et français détruisirent, incendièrent et pillèrent entièrement l'immense palais impérial avec ses milliers de sanctuaires et de biens culturels. Le palais était environ huit fois plus grand que le Vatican. (p. 148, édition allemande)

Aucun autre pays n'a cependant une relation aussi tendue avec la Chine que le Japon. Occupation militaire de longue durée et massacres de la population civile en sont les mots-clés. L'annexion de Taïwan en fait également partie. (p. 225, édition allemande)

Kishore Mahbubani :

« Presque tous les vestiges historiques de ce siècle d'humiliation ont entre-temps été éliminés et rayés de la carte, y compris Hong Kong et Macao. Il ne reste qu'un seul vestige. Taïwan était chinoise jusqu'à ce que la Chine soit contrainte de céder Taïwan au Japon après sa défaite dans la première guerre sino-japonaise de 1894/95 » (p. 105, édition allemande). Dans le traité de Versailles conclu après la Première Guerre mondiale, cette annexion a ensuite été reconnue par les Alliés.

« L'Amérique ne peut pas prétendre ne pas connaître l'importance de Taïwan. C'était clairement le sujet le plus brûlant lorsque Nixon et Kissinger ont entrepris de mettre en place une réconciliation avec la Chine. L'Amérique et la Chine sont parvenues à de nombreux accords clairs, le plus clair étant que Taïwan et la Chine ne faisaient qu'un. Dans leur déclaration finale commune de 1972, on peut lire : "Les Etats-Unis reconnaissent que tous les Chinois des deux côtés du détroit de Formose déclarent qu'il n'y a qu'une seule Chine et que Taïwan fait partie de la Chine" Le désir de la Chine de réunifier Taïwan avec le continent constitue une restitution, pas une expansion » (p. 106. édition allemande).

L'idée que la Chine actuelle puisse menacer le Japon est absurde - notamment au vu de son étroite intégration dans la structure militaire des États-Unis.

Le monde va-t-il sombrer dans la barbarie et le chaos si l'Amérique se retire ?

Kishore Mahbubani :

« J'ai pu constater, en côtoyant des diplomates chinois depuis le début de ma carrière diplomatique, il y a presque cinquante ans, à quel point la qualité des diplomates chinois s'améliorait décennie après décennie. Pour différentes raisons, celle du personnel diplomatique américain allait dans la direction opposée, hélas » (p. 161).

Une militarisation aussi forte laisse peu de place à la diplomatie. On impose rapidement des sanctions aux pays ne se comportant pas comme des subordonnés. On livre rapidement des armes et on favorise des « solutions » militaires (qui ne font généralement qu'empirer les situations). Cela s'exprime dans les finances du gouvernement américain : « Avec 31,5 milliards, le budget du ministère des Affaires étrangères est carrément minuscule par rapport au budget du ministère de la Défense qui s'élève à 626 milliards de dollars » (p. 142).

Les États-Unis dépensent plus pour l'armée et pour leur énorme industrie de l'armement (complexe militaro-industriel) que tous les autres pays du monde réunis, ce qui - selon M. Mahbubani - n'est pas forcément un avantage sur le plan social et économique : « L'énorme budget d'armement de l'Amérique confère au pays le même avantage qu'un dinosaure tire de son énorme corps - pas un très grand avantage » (p. 10, édition allemande).

« Après s'être consumés en Irak et en Afghanistan, les États-Unis devraient montrer plus de souplesse, de flexibilité et de rationalité et cesser de s'impliquer dans des conflits inutiles avec le monde islamique. Leur incapacité à faire demi-tour démontre au contraire qu'ils sont devenus rigides, inflexibles et doctrinaires, à l'image de l'ex-Union soviétique » (p. 133).

« L'Amérique ne court aucun risque de s'effondrer comme l'ancienne Union soviétique. C'est un pays beaucoup plus fort, qui jouit d'un grand peuple, de solides institutions et de nombreux avantages naturels. Si elle ne s'effondrera pas totalement, elle pourrait néanmoins se trouver considérablement diminuée, au point de devenir l'ombre d'elle-même » (p. 147).

« D'une façon générale, les Américains auront accompli plus de bien que de mal. Cela explique les relations relativement bonnes qu'ils entretiennent avec la plupart des pays du monde. Il n'en est pas moins vrai qu'ils ont commis plusieurs erreurs inutiles et douloureuses, notamment avec le monde islamique et la Russie » (p. 264).

« Si George Kennan était encore en vie, il verrait clairement que son pays a été profondément meurtri, à l'intérieur et à l'extérieur, par son implication dans ces conflits inutiles » (p. 134). (George Kennan, stratège respecté, a conçu dans les années 50 la politique de confinement des États-Unis contre l'Union soviétique pendant la Guerre froide.)

Avec Xi Jinping, la Chine aura-t-elle un dictateur à vie ?

Kishore Mahbubani :

« Même après que Xi Jing-ping eut supprimé les limites de durée de son mandat présidentiel, il est resté populaire en Chine. La longue Histoire chinoise a donné au peuple une leçon essentielle: quand un pays est dirigé par des faibles, il s'effondre » (p. 200). « La suppression de la limitation des mandats présidentiels, pour laquelle il a été si sévèrement critiqué, pourrait se révéler l'un des plus grands bienfaits que la Chine ait reçus. Et l'on pourrait y voir une des principales raisons pour lesquelles la Chine gagnera la confrontation avec l'Amérique » (p. 201).

M. Mahbubani mentionne Platon (427-347 av. J.-C.), « l'ancêtre de la philosophie occidentale ». En Occident, nombreux sont ceux qui défendent aujourd'hui l'idée que la démocratie est la meilleure forme de gouvernement. Après des expériences mitigées avec le gouvernement populaire en Grèce, Platon est arrivé à la conclusion que « la meilleure forme de gouvernement était celle d'un philosophe-roi ». Mahbubani : « Tout porte à croire que Xi Jinping pourrait apporter à la Chine le type de règne bénéfique d'un roi philosophe » (p. 200).

La politique de développement de la Chine menace-t-elle le monde libre ?

« Aujourd'hui, c'est la Chine, et non plus l'Amérique, qui a pris l'initiative d'une nouvelle architecture multilatérale comprenant la banque BAII et les "nouvelles routes de la soie". Les Américains sont opposés aux deux. Cela n'a pas empêché nombre de leurs principaux amis et alliés d'adhérer aux projets chinois » (p. 68).

« Si les États-Unis veulent répondre efficacement aux nouveaux défis géopolitiques posés par la Chine, ils doivent accomplir des revirements de grande ampleur, notamment en réduisant leurs dépenses militaires, en se retirant du monde islamique et en renforçant leurs capacités diplomatiques. Les puissants intérêts en jeu aux États-Unis les empêcheront malheureusement d'effectuer ces demi-tours raisonnables » (p. 147).

« Le meilleur pays avec lequel s'associer pour cela est la Chine, qui est déjà devenue le plus grand partenaire économique du continent africain » (p. 236). « La montée en puissance de la Chine ne constitue pas une menace pour l'Europe. En fait, il pourrait être bénéfique pour la sécurité à long terme de l'Europe que la Chine accélère le développement de l'Afrique.... Si les conditions économiques et politiques du continent africain ne s'améliorent pas au XXIe siècle, l'Europe peut se préparer à voir des dizaines, voire des centaines de millions d'Africains se presser à sa porte en quête d'une vie meilleure » (p. 254, édition allemande).

Conclusion : « Rendons le monde plus sûr pour la diversité » (John F. Kennedy)

« Ce qui menace la démocratie américaine n'est pas le communisme de la Chine, mais le succès et la compétitivité de son économie et de sa société » (p. 281).

« Le rôle et l'influence de la Chine augmenteront certainement en même temps que la taille de son économie. Mais elle n'utilisera pas son influence pour transformer les idéologies ou pratiques politiques des autres sociétés. Un grand paradoxe de notre monde actuel veut que, même si la Chine s'est montrée traditionnellement une société fermée, tandis que l'Amérique prétend être une société ouverte, les Chinois trouvent plus facile que les Américains de traiter avec un monde diversifié, car ils ne s'attendent pas à ce que les autres deviennent comme eux » (p. 266).

Dans son ouvrage complet, Kishore Mahbubani parvient parfaitement à intégrer dans son analyse « l'âme » de la Chine, marquée par l'histoire et la culture. Il faut souhaiter aux hommes politiques et aux médias américains en particulier - mais aussi au monde occidental dans son ensemble - de lire ce livre et d'en apprendre davantage.

En ces temps de guerres commerciales et de conflits larvés, le livre de M. Mahbubani est un appel à la raison et un guide indispensable pour mieux comprendre l'émergence de la Chine. M. Mahbubani : « Si l'Amérique et la Chine se concentrent sur l'intérêt central d'améliorer le bien-être de leurs citoyens, elles se rendront également compte qu'il n'y a pas de contradictions fondamentales dans les intérêts nationaux à long terme des deux États ». « Si les deux superpuissances coopèrent, des miracles pourraient se produire ! » (p. 17, édition allemande). « Il y a aussi suffisamment d'espace dans le monde pour que les Etats-Unis et la Chine puissent prospérer ensemble » (p. 291).

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sources :

• Mahbubani, Kishore, « Le jour où la Chine va gagner. La fin de la suprématie américaine ». Préface de Hubert Védrine. Ed. Saint-Simon, Paris 2021
• Mahbubani, Kishore, « Hat China schon gewonnen ? Chinas Aufstieg zur neuen Supermacht ». Ed. Plassenburg, Kulmbach 2021
• Kissinger, Henri, « De la Chine ». Ed. Fayard. Paris 2012
• Nass, Mathias, « Drachentanz. Chinas Aufstieg zur Weltmacht und was er für uns bedeutet ». Ed. C. H. Beck. Munich 2021
• Durant, Will et Ariel, « Histoire de la civilisation ». Ed. Rencontre. Lausanne 1963
• Seitz, Konrad, « China. Eine Weltmacht kehrt zurück ». Munich. Ed. Goldmann 2006

Kishore Mahbubani.

L'importance de la culture confucéenne

Kishore Mahbubani indique à plusieurs endroits que la Chine est la seule des grandes nations culturelles de l'histoire qui existe encore aujourd'hui, même après quatre effondrements. Confucius et son enseignement sont centraux pour notre compréhension.

Confucius était un sage chinois qui a vécu dans la seconde moitié du VIe siècle avant Jésus-Christ. Après de longues lectures et méditations, cet érudit décide d'abandonner son activité officielle pour se consacrer à l'éducation de ses semblables. Sa sagesse et sa philosophie le rendent célèbre dans tout le pays. Son enseignement fondé sur l'observation et le bon sens et toujours axé sur l'application pratique domine la société chinoise aujourd'hui encore. L'enseignement de la décence et du respect envers ses semblables était destiné à développer le caractère et l'ordre social. Les empereurs chinois ont fait graver son enseignement dans la pierre et l'ont déclaré religion d'État. L'américain Will Durant, qui a étudié et comparé en vingt volumes les multiples facettes de l'histoire culturelle de l'humanité, s'exprime en ces termes : « Le conservatisme stoïcien du vieux sage s'est presque incarné dans le peuple et a conféré à la nation et à chacun de ses citoyens une dignité et une profondeur qui n'ont été égalées nulle part ailleurs dans le monde et dans l'histoire ». Une fonction publique hautement éduquée, à laquelle chacun pouvait accéder après des examens longs et exigeants, était responsable de l'administration. Les structures féodales ou une église comme en Occident n'existaient pas et n'existent toujours pas.

« Grâce à cette philosophie, la Chine a développé une vie communautaire harmonieuse, une fervente admiration de l'apprentissage et de la sagesse, et une culture équilibrée et constante qui a rendu la civilisation chinoise suffisamment forte pour survivre à toute invasion et assimiler tout envahisseur » (Durant, tome 2, p. 52). Il est intéressant de noter que le vénitien Marco Polo, qui avait voyagé en Chine 800 ans avant Durant, a rapporté des faits tout à fait similaires.

« Pour Menzius [disciple de Confucius], comme pour tous ses successeurs, le gouvernement est toujours resté le gouvernement pour le peuple, jamais par le peuple. Les vertueux et les éduqués s'occupent du peuple. L'idée que le peuple (non éduqué) puisse s'occuper de lui-même dans un État démocratique n'aurait jamais traversé l'esprit d'un confucéen » (Seitz 2002, p. 46).

source :  zeit-fragen.ch

 reseauinternational.net

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