17/08/2022 medium.com  62 min #213922

Les Ovni et le dilemme de sécurité

Photo DARPA - Vue d'artiste

 Willy Sam
Aug 14

L'idée que le phénomène OVNI soit une menace potentielle est prise au sérieux par les grandes puissances mais elle engendre une plus grande incertitude dans leurs calculs stratégiques

Cet article est la traduction de  celui de Ian Oxnevad intitulé :

"The Truth is Mostly Right Here: The Security Dilemma and the Earthly Logic of an Extraterrestrial Threat"

Avant-propos

L'article de ce professeur du département des sciences politiques à l'Université San Berdino en Californie, titulaire d'une maîtrise en études de sécurité nationale, a été publié le 01/02/2022. D'une part, sa rédaction a donc débuté des semaines, voire des mois, avant la guerre en Ukraine et les dernières tensions entre Taiwan et la Chine et d'autre part, l'auteur n'avait pas connaissance des toutes les dernières actualités sur le sujet OVNI (audition publique au congrès américain le 01/05/2022, projet de loi protégeant les lanceurs d'alerte qui dévoileraient d'anciens programmes secrets sur les OVNI...)

Cette  théorie de Ian Oxnevad a été publiée dans la revue  Journal of Military and Strategic Studies (Revue d'études militaires et stratégiques) (VOLUME 21, numéro 2), "une publication en libre accès et évaluée par des pairs qui vise à diffuser des connaissances originales en études stratégiques et militaire..."

Ian OXnevad explique que les OVNI sont une réalité incontestable qui incite/oblige les Etats à augmenter leur capacité militaire, qui complexifie la tâche des agences de renseignement et qui pourrait gravement déstabiliser le fragile équilibre des puissances.

Il me semblait important que  la commission de la défense nationale et des forces armées puisse prendre connaissance de l'avis de cet expert en sécurité nationale, si elle ne l'avait pas déjà fait. J'espère ainsi, qu'à la lumière de cet article, l'un de des membres de la commission osera poser une question au ministre des armées, à un expert ou a tout autre responsable au ministère afin de connaître la position officielle de la France sur le sujet OVNI qui est devenu l'une des priorités du gouvernement américain.

La stigmatisation toujours en cours en France pourrait, en effet, empêcher les responsables de la défense, experts, que consulte régulièrement cette commission, d'aborder le sujet des phénomènes aériens non identifiés ouvertement avec  les élus qui en sont membres , y compris lors d'audiences privées.

Précisions avant de lire l'article de Ian Oxnevad :

1 J'ai remplacé l'acronyme UAP (unidentified Aerial Phenomena - phénomène aérien non identifié) employé par l'auteur, par OVNI (objet volant non identifié).

2 Quelques précisions de mon crue parsèment l'article; ils sont en italique et entre. En gras les éléments que je souhaitais plus particulièrement mettre en avant

3 L'auteur, dans son article original à inséré des notes de bas de page numérotées pour citer ses sources. Je les ai reprises et mises à la fin de la traduction. J'ai, pour ma part, ajouté dans le texte des sources en français accessibles en cliquant sur les mots soulignés

4 Un rappel indispensable sur le concept du dilemme de sécurité , thème central de la théorie de Ian Oxnevad :

"Le concept de dilemme de sécurité est un concept utilisé en théorie des relations internationales. Un État accroît sa puissance militaire pour garantir sa sécurité, ce qui est perçu comme une menace par un autre État, qui va à son tour renforcer sa puissance militaire. Le niveau de conflictualité global et d'insécurité globale augmente donc, alors que chaque État renforce sa propre sécurité. Tout État qui augmente sa propre sécurité contribue dans le même temps à augmenter l'insécurité globale et donc à diminuer sa propre sécurité. Ce dilemme peut conduire à une course à l'armement [et à une guerre]. L'exemple typique étant la course à l'armement nucléaire pendant la Guerre Froide." (Source : Wikipédia )

La vérité est en grande partie ici : le dilemme de sécurité et la logique terrestre d'une menace extraterrestre

de Ian Oxnevad (01/02/2022)

Introduction

Au milieu de la polarisation politique intérieure dans de multiples pays à la suite de la pandémie de Covid-19, de l'insécurité économique et des flux géopolitiques, peu de choses semblent désormais farfelues dans l'actualité. Comme si l'esprit de l'époque de l'ère Trump n'était pas assez désorientant, de véritables discussions ont émergé dans les cercles militaires et politiques qui mettent en avant l'existence possible de phénomènes aériens non identifiés (OVNI), et de la vie extraterrestre. La création aux États-Unis de la Space Force, première nouvelle branche militaire depuis 1947, les  révélations sur les dépenses gouvernementales consacrées à des projets d'exploration des OVNI, et les  rencontres révélées entre des pilotes de la marine américaine et des objets mystérieux, ont fait passer les idées sur les extraterrestres des théories du complot des tabloïds au discours dominant (1). Loin d'une dynamique purement américaine, l'astronaute britannique Helen Sherman a ajouté de l'intrigue à la notion de vie extraterrestre en janvier 2020 en  déclarant que "les extraterrestres existent", tandis que l'ancien chef de l'agence spatiale israélienne, Haim Eshed, a  déclaré dans une interview que l'humanité avait conclu un accord avec une "fédération galactique" d'extraterrestres à des fins scientifiques (2). En juin 2020, Donald Trump a indiqué qu'il savait des choses "  très intéressantes" sur le célèbre incident de Roswell en 1947, qui a suscité l'intérêt moderne pour la possibilité d'une vie extraterrestre, mais il a refusé de s'étendre sur le sujet en public. Cet article ne porte pas sur les extraterrestres ; il aborde plutôt les implications des États qui développent des capacités militaires comme s'il existait une menace extraterrestre et l'impact de ce développement sur le dilemme de la sécurité.

Cet article soutient que la seule idée d'une menace extraterrestre intelligente affecte gravement les implications du dilemme de la sécurité dans les relations internationales, jusqu'à ce qu'une telle menace soit ouvertement et pleinement confirmée. La perception de la présence d'une menace non humaine technologiquement avancée, dont l'intention et la capacité sont inconnues, élimine effectivement tout obstacle aux États qui cherchent à accroître de manière illimitée leur capacité militaire, tout en créant des défis uniques en matière de renseignement. Dans un dilemme de sécurité normal, les États évaluent les augmentations d'armements et la coopération militaire en fonction des menaces perçues que les autres nations font peser sur leur sécurité. Cependant, la perception des menaces par un État est basée sur des hypothèses existantes concernant la nature humaine, les comportements de politique étrangère des États potentiellement hostiles et la connaissance des capacités militaires des autres États. En bref, les États n'augmentent pas leurs capacités militaires dans le vide. La possibilité d'un autre acteur, extraterrestre, élimine toutes les hypothèses habituelles à l'œuvre dans le dilemme de sécurité normal et soulève la question de savoir comment le dilemme de sécurité fonctionne lorsque toutes les [caractéristiques, capacités],... des menaces les plus existentielles d'un Etat ne peuvent pas être prédites. Cet article soutient que la possibilité d'une menace extraterrestre justifie une accumulation d'armes pratiquement illimitée tout en offrant simultanément une assurance plausible aux autres États que l'accumulation d'armes n'est pas conçue pour être utilisée contre eux. Il s'agit d'une condition unique qui justifie une théorisation plus approfondie si les États commencent à acquérir des armes comme si une telle menace existait. Cet article ne prétend pas que les extraterrestres existent ou ont pris contact ; cependant, des incidents tels que celui impliquant des OVNI et l'  USS Nimitz en 2004 soulèvent la possibilité que ce soit le cas, et que ces technologiques avancées justifient une préparation accrue de la part des grandes puissances qui les rencontrent (4). D'un point de vue politique, il serait plus sûr pour les Etats de supposer que le potentiel d'une rencontre extraterrestre hostile existe. Ignorer une telle possibilité pourrait s'avérer désastreux non seulement pour les États, mais pour l'humanité en tant qu'espèce.

Alors que les grandes puissances recherchent et acquièrent des capacités d'armes jusqu'ici exotiques impliquant l'espace, l'intelligence artificielle et d'autres plates-formes dotées d'une immense capacité de destruction, un État armé est incité à construire une menace nébuleuse et illimitée pour justifier un tel développement. Dans un monde du 21e siècle caractérisé par une multipolarité émergente dans le système international et des tabous contre les démonstrations unilatérales de force par les grandes puissances, l'idée d'une menace extraterrestre offre une justification aux États pour poursuivre des technologies exotiques conçues pour une plus grande létalité.

Tout d'abord, cet article reviendra sur l'acceptation des extraterrestres en tant qu'idée et sa corrélation avec les avancées militaires au cours du siècle dernier. Ensuite, l'idée d'une menace extraterrestre sera examinée dans le contexte de la façon dont elle affecte la dynamique du renseignement dans le dilemme de la sécurité. Je soutiens que le concept d'une menace extraterrestre compense les préoccupations des autres États tout en justifiant l'accumulation quasi illimitée d'un État donné. Enfin, les implications politiques de cette dynamique sont brièvement explorées en ce qui concerne les grandes puissances militaires qui se font concurrence dans l'espace.

Intégration d'une idée dans une ère de compétition entre les grandes puissances pour l'espace

Le concept de la vie extraterrestre interagissant avec les êtres humains est loin d'être nouveau et est antérieur à la guerre froide de plusieurs siècles. Les observations d'objets aériens, de phénomènes célestes et d'histoires entrelacées d'êtres extraterrestres  remontent à l'Antiquité. Souvent, les êtres humains interprétaient ces phénomènes ou prétendaient avoir des visions de phénomènes en termes surnaturels. Par exemple, plusieurs cultures primitives ont vu les aurores boréales à travers une lentille mythologique. À l'inverse, l'idée d'une vie extraterrestre distincte du surnaturel remonte également à l'Antiquité, comme dans l'œuvre de Lucien de Samosate en 200 apr. J. -C  qui dépeint des extraterrestres sur la lune présentant des ressemblances remarquables avec la vie sur terre (5). Alors que la présence d'une vie extraterrestre dans la conscience humaine est aussi ancienne que la civilisation, le concept d'une civilisation extraterrestre constituant une menace potentiellement avancée pour la sécurité nationale est assez nouveau et parallèle aux progrès de la technologie humaine et de la guerre.

Les opérations militaires modernes sont difficilement concevables en l'absence de la puissance aérienne. Même les endroits les plus reculés servant de champs de bataille pour les opérations de petites unités engagées dans la lutte contre le terrorisme ont besoin d'un soutien aérien. L'invention de l'avion moderne en 1903 a permis à l'humanité de se déplacer et de combattre à des altitudes plus élevées et à des vitesses plus rapides que dans les siècles passés. Bien qu'il semble banal du point de vue historique actuel, le fait que les humains se livrent à des activités dans les airs, sous la mer et dans l'espace justifie d'apprécier la capacité technologique dont notre espèce est capable. Il convient également de noter à quel point ces activités sont contre-nature dans le contexte de l'histoire des relations internationales. Les multiples technologies d'aujourd'hui sont totalement étrangères à la pensée militaire du XIXe siècle.

L'intimité accrue de l'homme avec de nouveaux environnements qui étaient autrefois du domaine de la spéculation, comme l'atmosphère grâce à l'aéronautique, l'espace et le sous-sol des océans, s'est développée dans le contexte du dilemme sécuritaire de la concurrence entre grandes puissances. Aujourd'hui, les politiques doivent évaluer les menaces potentielles et s'en protéger à partir de divers points d'observation, bien au-delà de ceux d'une attaque de surface par terre et par mer. Dans les époques passées, c'étaient les deux seuls domaines qui comptaient. Conquérir et sauvegarder rapidement ces nouveaux environnements est devenu un impératif de grande puissance dans le contexte de la Première Guerre mondiale et l'est resté jusqu'à présent. La réflexion sur la possibilité d'une vie extraterrestre s'est développée parallèlement à cet impératif. À mesure que l'atmosphère et, finalement, l'espace sont devenus moins mystérieux grâce à la sophistication technologique, ces mêmes technologies ont accru les enjeux pour tout État ayant pris du retard dans leur acquisition et leur déploiement.

Avec davantage d'êtres humains voyageant et combattant dans les airs, et les grandes puissances augmentant continuellement la capacité technologique de leur puissance aérienne, il n'est pas surprenant que l'idée des OVNI ait commencé à se cristalliser à la même époque. En 1944, des pilotes alliés ont décrit avoir été suivis par des phénomènes lumineux ressemblant à des cigares sans ailes alors qu'ils effectuaient des missions au-dessus de l'Allemagne nazie. Surnommés les " Foo Fighters " par les aviateurs alliés, une théorie avancée par les pilotes était que ces objets inexpliqués étaient des systèmes d'armes allemands expérimentaux (6). Alors que l'idée  de nazis dans l'espace donne lieu à de mauvaises productions de science-fiction, la fascination humaine pour l'espace extra-atmosphérique se développait déjà dans la conscience des grandes puissances et des personnalités politiques clés de l'époque.

En grande partie grâce à l'influence de Winston Churchill, la Grande-Bretagne, pendant la Seconde Guerre mondiale, a développé un intérêt sophistiqué pour les technologies avancées. En 1939, peut-être inspiré par la diffusion à la radio de La Guerre des mondes l'année précédente, Winston Churchill a  écrit un essai sur la possibilité d'une vie extraterrestre (7). Récemment découvert en 2017, l'essai non publié de Churchill s'appuie sur le "principe de Copernic" qui déduit que d'autres formes de vie devraient exister dans l'univers en raison de sa taille (8). Le fait que le concept d'extraterrestres était présent pendant le mandat de Churchill en tant que Premier ministre britannique en temps de guerre est remarquable lorsqu'il est placé dans le contexte dans lequel il a poussé aux avancées de la technologie britannique. Qualifiant la Seconde Guerre mondiale de "guerre des sorciers", Churchill a engagé le physicien  Frederick Lindemann pour aider à guider les avancées scientifiques de la Grande-Bretagne (9). Churchill a aussi rencontré Bernard Lovell pendant la guerre. En tant que radioastronome, Lovell s'est avéré essentiel aux développements britanniques en matière de radar pendant la guerre et a ensuite été  impliqué dans la détection de l'activité spatiale soviétique (10). En comparaison avec les avancées technologiques de la Grande-Bretagne, fondées sur la science et la sécurité, l'Allemagne nazie a mêlé la recherche scientifique à la mythologie et à sa propre éthique nationale raciste.

Les technologies des fusées et les développements physiques de l'Allemagne nazie sont apparus parallèlement à un régime saturé d'idées pseudo-scientifiques et à une idéologie éprise d'occultisme. Parmi les idées nazies de supériorité raciale, on trouve une mythologie concoctée qui relie une prétendue race aryenne à l'espace. L'un des noyaux de la métaphysique nazie était la "Cosmogonie glaciaire" ou théorie de la glace cosmique, un mythe de création inventé par Hanns Hörbiger qui attira des idéologues raciaux proto-nazis tels que Guido von List et Lanz von Liebenfels (11). Cette "théorie", née d'un rêve de Hörbiger, voyait la formation de la Terre comme le résultat d'un processus de collisions interstellaires avec la glace, et la création de l'humanité comme le résultat d'une collision avec un météore (12). Ces idées ont fusionné avec les conceptions nazies de l'identité raciale, du conflit racial, et ont été largement promues par Hitler et d'autres figures de l'élite politique allemande (13). L'historien britannique Nicholas Goodnick-Clarke note qu'en Autriche peu après la guerre, l'affinité pour la mythologie nazie parmi les partisans du Troisième Reich s'est transformée en légendes urbaines impliquant les «anciennes races nordiques», «l'Atlantide» et des « armes miracles » telles que les « soucoupes volantes » (14). Beaucoup de ces théories et d'autres semblables persistent en raison de l'avènement d'Internet et des médias sociaux. D'autres mythologies similaires à la Cosmogonie glaciaire sont en outre créditées par des émissions telles que le programme Ancient Aliens de History Channel et son vernis de légitimité (15).

Malgré le penchant des nazis pour les pseudo-sciences inventées, la place de l'espace dans leur vision nationale est révélatrice pour deux raisons. La première est qu'elle relie l'idée de l'extraterrestre à un sens de la politique terrestre. La seconde est que malgré les idées infondées derrière la cosmologie nazie, les Allemands ont néanmoins été le fer de lance des avancées dans les technologies de fusées qui se sont avérées dévastatrices pendant la guerre et seraient recherchées par les États-Unis et l'Union soviétique. Pour les puissances de la guerre froide, et aujourd'hui pour la Chine et d'autres États, l'accès à l'espace est passé d'une simple aspiration nationale à une importance vitale pour la sécurité nationale, dans le cadre de la concurrence entre ces pays. Par coïncidence, l'idée des OVNI et des extraterrestres dans la conscience populaire s'est développée parallèlement à la montée en puissance des grandes puissances vers le ciel. La guerre froide a fourni une confluence de dynamiques qui ont favorisé l'idée d'extraterrestres dans la conscience de masse. La course à l'espace a engendré des avancées technologiques rapides dans le domaine de l'aéronautique et de la cosmonautique [technique de la navigation dans l'espace (essentiellement Russe)], qui ont non seulement provoqué un recul de l'inconnu pour l'humanité, mais ont également soulevé de nouvelles questions sur ce que les humains pourraient rencontrer dans ces nouveaux domaines. Lorsque le président américain John F. Kennedy a annoncé l'intérêt national de l'Amérique pour l'envoi d'astronautes sur la lune, la question s'est naturellement posée de savoir si une forme d'extraterrestre pourrait être rencontrée en cours de route. Par ailleurs, des technologies inconnues du grand public à l'époque étaient utilisées pour faire progresser le vol et les voyages spatiaux. Enfin, le secret nécessaire entourant les avancées d'un État dans certaines technologies créait un environnement propice aux conjectures d'une grande partie de la population. Ensemble, ces dynamiques ont préparé le terrain pour l'obsession culturelle pour les OVNI et la compétition futuriste entre grandes puissances.

Bon nombre des premiers scientifiques spatiaux de la guerre froide étaient originaires de l'Allemagne nazie et ont émergé du même milieu culturel que la "Cosmogonie glaciaire". Les États-Unis et l'URSS  ont recruté des scientifiques nazis pour leurs programmes nucléaires et de missiles respectifs. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis, les Soviétiques et même les Britanniques  et les Français ont rassemblé les vestiges des programmes d'armement et des scientifiques de l'Allemagne nazie. La reddition de nombreux spécialistes des fusées dirigés par  Wernher von Braun en mai 1945 a finalement abouti à l'extraction par les forces américaines de 120 ingénieurs du programme allemand de fusées V-2 (16). L'armée de l'air américaine et, plus tard, l'US Air Force, ont obtenu plus de 700 anciens scientifiques nazis en 1952 (17). Pour sa part, l'Union soviétique a réquisitionné l'ensemble de l'opération allemande de fusées à Thuringe et un total de plus de 3 500 scientifiques dans les domaines du développement de fusées et de l'aviation (18).

Alors que les États-Unis et l'URSS ont créé la course à l'espace par le biais d'une compétition entre grandes puissances, l'idée que des humains puissent vivre sur d'autres planètes était déjà envisagée par des scientifiques sérieux en Allemagne et en Russie. En 1953, Wernher von Braun, qui venait de s'américaniser, a publié une édition anglaise de son livre, The Mars Project (19). Écrit avec l'idée de la colonisation humaine de Mars à l'esprit, von Braun décrit des compendiums de formules et de conceptions de systèmes conçus pour faciliter le voyage vers la planète rouge et des projets pour aider à la rendre habitable pour la vie humaine. Le scientifique nazi envisageait une "flottille de vaisseaux spatiaux" semblable aux navires espagnols conduits par Christophe Colomb lors de son expédition vers les Amériques (20). Il est à noter que la fascination de von Braun pour les voyages interplanétaires est antérieure à sa participation au programme spatial américain. En 1944, avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, von Braun a été arrêté par la Gestapo et accusé de "préconiser la construction de vaisseaux spatiaux interplanétaires" au lieu de se concentrer sur le développement de technologies de combat (21).

Du côté soviétique, les travaux théoriques sérieux sur l'exploration spatiale remontent à l'époque tsariste et aux travaux de  Konstantin Eduardovich Tsiolkovskiy, qui a publié de nombreux traités techniques sur le sujet, dont son "Exploration de l'univers avec des véhicules propulsés par fusée" publié en 1903 (22). Les idées de Tsiolkovskiy, qui ont été ignorées par le tsar mais ont suscité l'intérêt des communistes, comprenaient des conceptualisations de combinaisons spatiales et d'exploration humaine du cosmos (23). Loin d'émerger simplement dans le contexte de la course à l'espace, l'idée de voyager dans l'espace et de rencontrer des extraterrestres s'est en fait répandue pendant la guerre froide. Il est déconcertant de constater que l'idée d'un voyage humain dans l'espace est passée du fantasme à la technique sous les auspices du totalitarisme.

À la fin des années 1940, l'idée d'une vie intelligente traversant les étoiles s'est échappée des cercles militaires et scientifiques technocratiques pour atteindre le domaine de la culture populaire.  L'incident de Roswell en 1947, au cours duquel un objet mystérieux considéré comme un "disque volant" s'est écrasé près de Roswell Army Air Field, a déclenché ce qui allait devenir le phénomène de l'"ufologie" dans la vie américaine (24). L'objet qui s'est écrasé s'est révélé par la suite être une technologie conçue par le projet Mogul pour recueillir des renseignements en survolant l'Union soviétique (25). Associé à des rapports faisant état de prétendus corps extraterrestres extraits de l'épave, l'incident de Roswell constitue un point de départ utile pour discuter de la présence galopante d'extraterrestres dans la culture populaire et de la ruée vers l'espace des grandes puissances. Alors que les grandes puissances se concentraient sur la lutte pour l'accès au cosmos et sa militarisation, la culture de masse se préoccupait de savoir qui ou quoi pouvait en descendre.

Au cours des quatre décennies allant des années 1950 aux années 1990, les extraterrestres sont devenus une facette de la psyché culturelle américaine. Des écrivains comme Arthur C. Clarke , Ray Bradbury et  Isaac Asimov ont porté le genre de la science-fiction à de nouveaux sommets avec des livres sur les voyages dans l'espace, les robots avancés et les extraterrestres. Il est à noter que Clarke et Asimov avaient tous deux une formation scientifique poussée. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Clarke a travaillé sur les systèmes d'alerte radar et, en 1945, a proposé le lancement et l'utilisation de satellites comme relais de communication (26). Sous l'administration Kennedy, c'est  Wernher von Braun qui s'est servi des travaux de Clarke pour convaincre la Maison Blanche de la viabilité d'un voyage sur la lune (27). Asimov était titulaire d'un doctorat en chimie, matière qu'il enseignera plus tard à l'université de Boston (28). Avec l'arrivée à maturité de la télévision et du cinéma, le genre de la science-fiction a élevé les extraterrestres et les histoires au rang de noms familiers. Des séries telles que Star Trek, Star Wars et des films tels que 2001 : l'Odyssée de l'espace sont devenus des facettes de la culture américaine.

Alors que les superpuissances se lancent à l'assaut des étoiles et que la culture populaire spécule sur les civilisations non humaines, le monde de la fiction et celui de la sécurité nationale se chevauchent lorsque les grandes puissances commencent à enquêter sur les rapports d'objets volants non identifiés (OVNI) en provenance du public. Après l'incident de Roswell, les observations d'OVNI aux États-Unis sont montées en flèche, de même que les théories de la conspiration impliquant des programmes gouvernementaux secrets  un projet de loi est en cours pour les découvrir et une vie extraterrestre. Entre 1947 et 1969, l'US Air Force a enquêté et catalogué 12 618 observations d'OVNI aux États-Unis, dont 701 ont été jugées non identifiables (29). La Grande-Bretagne n'a pas été épargnée par l'intérêt militaire et les enquêtes sur les OVNI. Au début des années 1950, le ministère de la Défense britannique a estimé que les OVNI méritaient une enquête sérieuse après que des pilotes de la Royal Air Force aient rencontré des objets lors d'un exercice de l'OTAN (30). Si les Britanniques ont mis fin à leurs enquêtes officielles sur les OVNI en 2009, environ 5 % des observations faites depuis les années 1950 sont restées "non identifiées" (31). Pour ne pas être en reste, la France a développé son propre programme d'étude des OVNI par le biais de sa propre  agence spatiale. Paris a fondé son propre programme spatial dans les années 1960, toujours dans le cadre de la compétition entre grandes puissances, et a développé le "Groupe d'étude et d'information sur les phénomènes aérospatiaux non identifiés", connu sous son acronyme français  GEIPAN (32). Sur l'ensemble des observations étudiées par les Français, plus d'un quart restent des cas non identifiés (33). Loin d'être une idée marginale, les grandes puissances militaires ont dépensé des ressources pour au moins enquêter sur les OVNI, et l'ont fait parallèlement à leurs progrès en matière de capacité militaire dans l'espace.

Il est clair que les extraterrestres et les OVNI existent en tant qu'idée dans l'esprit des grandes puissances ainsi que dans la culture populaire de masse. Pour la planification de la sécurité et le développement militaire des États-nations, il importe peu que des  rencontres telles que celles entre la marine américaine et les OVNI impliquent réellement des extraterrestres ou simplement des technologies avancées d'origine humaine (34). En sciences politiques, la présence perçue de quelque chose peut inciter les acteurs à modifier leur comportement, même si cette présence n'est pas vérifiée. Les kamikazes commettent des attentats qui entraînent leur propre mort dans l'espoir que le paradis existe, même si l'existence d'un tel paradis reste empiriquement non prouvée. Les régimes totalitaires cherchent souvent à refaire le monde tel qu'ils l'imaginent en se basant sur des projections et des constructions abstraites telles que la classe, la race ou la religion. Les perceptions comptent et les affaires politiques regorgent de phénomènes dans lesquels les acteurs adoptent des comportements fondés sur ce qui est possible plutôt que sur ce dont l'existence est pleinement confirmée. Dans cette optique, le fait que des États puissent agir comme si les extraterrestres pouvaient exister et constituer une menace ne devrait pas sembler excentrique, même en l'absence de confirmation ouverte.

La combinaison des rencontres avec les OVNI et des dépenses gouvernementales consacrées aux programmes qui s'y rapportent a de sérieuses répercussions sur le dilemme traditionnel de la sécurité, à savoir que les États s'arment pour dissuader d'autres États. La rencontre avec une technologie avancée d'origine ostensiblement inconnue ouvre la possibilité que les États doivent se préparer à combattre une entité qu'ils ne peuvent pas voir ou comprendre ouvertement, mais aussi que toute construction humaine dans l'espace et sur Terre est activement surveillée par cette même entité. Le fait que plusieurs grandes puissances connaissent le même phénomène ajoute à cette complexité. Tout cela crée un dilemme de sécurité à deux niveaux, sans équilibre rassurant. Les OVNI et certaines des capacités avancées dont ils sont dotés ne sont pas remis en question ; tout ce qui l'est, c'est leur origine et leur intention. La mystique d'une possible origine extraterrestre pourrait être utilisée pour masquer les origines très humaines de ces systèmes avancés. Ou bien, ces technologies pourraient provenir d'un tout autre endroit.

Ce n'est pas une coïncidence si les grandes puissances et la culture populaire ont commencé à regarder l'espace avec suspicion et à envisager les OVNI dans le contexte de technologies humaines de plus en plus avancées. Les fusées et les drones, technologies autrefois considérées comme futuristes et relevant du domaine de la science-fiction, ont d'abord été développés par des États en tant que technologies secrètes afin de mettre au point des systèmes d'armement avancés. Alors que les nations rivalisent à nouveau entre elles pour dominer l'espace en tant qu'environnement sécuritaire et économique, la préparation à une éventuelle rencontre avec des extraterrestres s'appuie sur les impératifs existants pour maximiser les capacités contre les menaces humaines. Les menaces spatiales demeurent, qu'elles prennent la forme d'autres États ou d'une civilisation différente. Dans l'un ou l'autre de ces scénarios, les États ont intérêt à adopter une réponse similaire en développant leur capacité d'armement dans l'espace.

L'humanité constitue la seule civilisation dont nous savons sans aucun doute qu'elle cherche à voyager dans l'espace et à l'armer. De ce fait, il n'est pas exagéré de penser qu'une civilisation non humaine puisse faire de même. La simple réflexion à propos d'une menace extraterrestre aggrave les problèmes existants pour les États confrontés au dilemme de la sécurité en raison des limites de l'analyse du renseignement pour faire face à une menace aussi inconnue. Non seulement une menace extraterrestre envisagée n'offre aucun précédent à analyser pour que les États se préparent à un contact potentiellement hostile, mais une telle absence contraint en fait les États à des analyses propices à l'échec du renseignement. La seule façon de se préparer à une telle menace est d'extrapoler à partir des rencontres connues avec une technologie aussi avancée, qu'elle soit ou non d'origine humaine, et d'extrapoler en faisant appel à l'imagination et à la recherche d'une plus grande capacité de sécurité.

Une menace spatiale et le renseignement dans le dilemme de la sécurité.

Le concept de menace extraterrestre modifie le dilemme de la sécurité en levant les contraintes existantes sur ce qui constitue une menace pour un État. Dans les conditions classiques du dilemme de la sécurité, les efforts d'un État pour accroître sa sécurité créent une insécurité parmi les autres États qui l'entourent. À leur tour, ces autres États compensent les gains du premier en développant leurs propres capacités militaires. La course à l'espace de la guerre froide et la compétition pour l'espace entre les États-Unis et la Chine qui s'en est suivie découlent sans aucun doute de cette dynamique. Cependant, contrairement à la guerre froide, la course à l'espace d'aujourd'hui implique des technologies plus récentes, un système international multipolaire et le spectre nébuleux que quelque chose pourrait se trouver là-haut.

Le problème central de la sécurité dans la théorie des relations internationales est la nature anarchique du système international. Le système international n'a pas l'équivalent d'une force de police à laquelle un pays peut faire appel lorsqu'il est attaqué par un autre. Dans des conditions normales, même sans l'idée d'une menace extraterrestre potentielle, les États doivent être en mesure d'évaluer avec précision les capacités et les intentions des autres États afin de détecter les attaques potentielles et de se préparer à y réagir. En raison de l'incertitude et du manque de confiance inhérents à l'anarchie, les États ont recours au renseignement pour atténuer le pire des dilemmes en matière de sécurité. Cependant, dès que le spectre d'une menace potentielle dépasse les limites de la compréhension humaine, la précision de l'analyse du renseignement est réduite et l'incertitude entre tous les États augmente en conséquence. À l'heure actuelle, les grandes puissances ne se contentent pas de s'armer dans l'espace dans le cadre de la compétition traditionnelle entre grandes puissances, mais elles envisagent ouvertement la possibilité de rencontrer des menaces au-delà de ce qui est ouvertement connu des concurrents des grandes puissances.

En décembre 2019, la signature par l'administration Trump de la loi d'autorisation de la défense nationale de 2020 a créé la toute nouvelle branche de l'armée américaine en fondant l'  US Space Force (USSF). Malgré sa bizarrerie initiale dans le contexte d'une administration présidentielle controversée et d'un paysage politique hyper polarisé, la création de l'USSF sous les auspices de l'armée de l'air a fondé la 6e branche de l'armée américaine. L'  US Space Command (SPACECOM) constitue son propre commandement de combat géographique, avec une zone d'opération désignée qui commence dans la thermosphère à 100 kilomètres au-dessus de la Terre et s'étend dans l'espace (35). Peu après la création de l'USSF, le Pentagone a déclaré que les intérêts américains dans l'espace étaient menacés par la militarisation chinoise et russe du domaine spatial et que le domaine du Space Command s'étendait "à l'infini" au-delà de 100 kilomètres au-dessus de la surface (36). Pour leur part, la Chine et la Russie ont nettement accru leurs capacités spatiales depuis 2000 (37). Si une civilisation extraterrestre existe, elle se trouve déjà dans la zone d'opération déclarée de l'USSF.

Alors que les États-Unis se sont concentrés sur les menaces non étatiques sous la forme du terrorisme après 2001, la Russie et la Chine ont continué à progresser dans l'espace à des fins de sécurité. Les ambitions contemporaines de la Russie et de la Chine pour l'espace dépassent celles du programme  américain Strategic Defense Initiative (SDI) de la fin de la guerre froide. Au début de l'année 2021, l'Administration spatiale nationale chinoise et  Roscosmos [équivalent Russe], les programmes spatiaux respectifs des deux pays, ont présenté un plan commun pour la construction d'une base lunaire conçue pour une "exploitation autonome à long terme" (38).  La base lunaire sino-russe, baptisée "International Lunar Research Station", devrait être achevée et opérationnelle d'ici 2036 (39). Dans le cadre de la concurrence entre grandes puissances, le  programme Artémis dirigé par les États-Unis prévoit d'établir sa propre base lunaire avant de lancer des expéditions vers Mars (40). La distance entre la Terre et Mars étant de 140 millions de miles, l'ensemble des activités américaines sur cette planète relèverait de la sécurité de l'USSF et de sa zone d'opération infinie.

Malgré les domaines de coopération entre les grandes puissances dans l'espace, la coopération en matière de sécurité entre elles ne peut être ignorée. Comme l'air et la mer, le domaine spatial est propice au développement de multiples technologies à double usage avec un potentiel d'armement. Bon nombre des technologies encore utilisées dans les programmes spatiaux actuels sont également à la base des missiles balistiques et trouvent leur origine dans les fusées V-2 utilisées pour les bombardements pendant la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, l'intégration des technologies spatiales aux systèmes de missiles semble pittoresque lorsqu'on la compare aux armes électromagnétiques et aux capacités d'intelligence artificielle développées par les grandes puissances (41). Les grandes puissances ne se limitent pas à la Terre, elles s'intéressent à l'espace et aux technologies nécessaires pour l'armer efficacement.

Sur le plan géopolitique, le système international a récemment atteint un état de multipolarité jamais vu depuis le début du 20 ème siècle. Les tensions croissantes entre les États-Unis et  la Chine au sujet de Taïwan et de l'hégémonie constituent certainement le principal lieu de la rivalité actuelle entre grandes puissances. Cependant, une telle focalisation sur cette prétendue bipolarité du système international ne tiendrait pas compte du nouvel activisme de la Russie en Europe et au Moyen-Orient, des tensions entre une Inde et une Chine montantes dans l'Himalaya, et des doutes européens quant à la dépendance actuelle à l'égard des États-Unis pour la sécurité continentale. En se concentrant uniquement sur les tensions entre les États-Unis et la Chine, on passe à côté d'une concurrence dangereuse et de la possibilité d'une guerre majeure ailleurs dans le monde. [c'est fait]

En ce qui concerne la concurrence des grandes puissances dans l'espace, les précédents purement terrestres et la théorie des relations internationales indiquent tous deux que la multipolarité du système international accroît non seulement l'incertitude de l'équilibre des forces, mais aussi la probabilité d'une guerre potentielle. L'exploration européenne qui a débuté au XVIe siècle a coïncidé avec la colonisation ; l'émergence d'un système international multipolaire a conduit à deux guerres mondiales. L'exploration et la colonisation de l'espace par les grandes puissances du XXIe siècle ressemblent étrangement aux époques passées. Un système international anarchique s'étendant jusqu'aux étoiles, la présence d'armes avancées dans l'espace et des grandes puissances de plus en plus incertaines quant à leur sécurité correspondent aux hypothèses de John Mearsheimer sur le  réalisme offensif (42). Comme indiqué dans la première section, les idées qui sous-tendent l'exploration spatiale ont commencé à mûrir dans l'Allemagne nazie et la Russie soviétique. Les deux États se sont montrés expansionnistes et se sont adaptés au modèle du réalisme offensif.

Afin de comprendre comment l'idée d'une menace extraterrestre potentielle affecte les considérations de sécurité des grandes puissances, il faut comprendre les limites de l'analyse du renseignement dans la mesure où elles concernent une telle menace. Comme indiqué dans la première section, l'idée d'une menace extraterrestre existe déjà dans le domaine géopolitique. Comprendre les limites et les utilisations de l'idée d'une menace extraterrestre dans le domaine du renseignement permet de comprendre comment cette idée influe sur l'incertitude et exacerbe le dilemme de la sécurité.

En juin 2021, le bureau américain du directeur du renseignement national (ODNI) a publié un  rapport préliminaire, mais non concluant, sur les menaces que représentent les OVNI pour la sécurité nationale américaine (43). Le rapport traite des rencontres et des observations entre le personnel militaire américain de novembre 2004 à mars 2021, et note que les OVNI ont fait preuve d'une "technologie avancée" ou de "technologies révolutionnaires" sur la base de leurs comportements en vol et de l'absence de moyens de propulsion observables (44). Sur les cinq catégories d'explications des OVNI énumérées dans le rapport, deux consistent en des explications bénignes telles que "phénomènes naturels" ou "fouillis aérien" (45). Les trois autres catégories comprennent de potentiels "programmes classifiés par des entités américaines", des "systèmes d'adversaires étrangers", la Russie et la Chine étant explicitement mentionnées, ou la catégorie "autre", d'un mystère alléchant (46).

Du point de vue du renseignement, les trois dernières explications sont révélatrices. Si les États-Unis, ou toute autre grande puissance, possèdent une technologie avancée qui peut échapper à toute explication solide, même de la part de leurs propres forces et systèmes d'armes, inclure la possibilité d'une présence extraterrestre offre une profonde possibilité de déni de la part de la grande puissance. Deuxièmement, le spectre d'une mystérieuse menace avancée, qui peut être un autre État ou autre chose, justifie la recherche par un État de plus grandes capacités afin de s'en protéger. Dans l'un ou l'autre de ces scénarios, l'incertitude s'ajoute aux questions de progrès technologique de la part des grandes puissances concurrentes.

Le rapport de l'ODNI note que "certaines observations d'OVNI pourraient être attribuables à des développements et à des programmes classifiés par des entités américaines", bien qu'une telle explication n'ait pas pu être confirmée (47). Associé à la mystérieuse autre catégorie d'observations, le rapport soulève la possibilité que l'idée d'une menace extraterrestre soit utilisée dans le cadre d'un effort de diversion pour dissimuler les tests de technologies très humaines. Pendant la guerre froide, l'Union soviétique a utilisé de nombreux moyens de tromperie pour induire l'Occident en erreur sur ses capacités et ses activités. Cette doctrine soviétique, appelée maskirovka, était largement employée pour masquer les faiblesses stratégiques, cacher les forces et dissimuler les intentions obscures des autres puissances (48). Si les Soviétiques ont fait de la mauvaise orientation et de la tromperie un élément de base de leur politique, tous les États cherchent à obscurcir le développement de technologies hautement militarisables. Étant donné que les véhicules capables de surpasser les avions de chasse sans aucun "moyen de propulsion discernable" constituent un système d'armes ayant des implications stratégiques, tout État les développant aurait intérêt à utiliser un faux drapeau pour détourner toute réaction potentielle. À mesure que les technologies progressent, non seulement la tromperie des États reste nécessaire, mais le fait d'attribuer la nouvelle technologie testée à un "autre" non reconnu permet la tromperie et le déni à un niveau stratégique dans l'ensemble du système international.

Évoquer la possibilité d'une menace extraterrestre pour détourner l'attention et expliquer les rencontres avec des technologies hyper avancées présente plusieurs avantages dans le contexte de la concurrence entre grandes puissances pour l'espace. Au niveau tactique, l'existence d'une autre explication plausible pour les rencontres avec des technologies avancées offre aux États des moyens de tromperie et de déni sur les capacités en cours de développement. Au niveau stratégique du système international, les États qui s'arment et se préparent ostensiblement à une menace extraterrestre peuvent accroître leur propre sécurité aux dépens d'autres États, tout en offrant une possibilité de déni plausible quant à la possibilité que ces capacités soient dirigées contre eux. La crainte documentée des extraterrestres par les décideurs des grandes puissances indique la possibilité d'une telle dynamique.

Si les explications extraterrestres des rencontres avec la haute technologie et l'idée d'une attaque extraterrestre ont pu susciter des moqueries par le passé, l'idée d'une menace extraterrestre a un précédent et une position pour rendre les États et les décideurs inquiets de cette possibilité. En 2010, le ministère britannique de la Défense a déclassifié des documents datant de la Seconde Guerre mondiale qui décrivent une rencontre entre un bombardier britannique et un objet qui "planait sans bruit" avant de disparaître soudainement (49). Selon une lettre écrite par un témoin supposé, Winston Churchill a ordonné que la rencontre soit classifiée afin d'éviter "une panique générale au sein de la population" (50). Si Churchill n'a pas parlé d'extraterrestres, les décideurs politiques contemporains aux États-Unis et en Chine sont plus explicites dans leurs craintes. John Podesta, qui a été chef de cabinet sous l'administration de Bill Clinton, puis sous celle d'Obama, s'est inquiété de la possibilité d'une menace extraterrestre (51). Le programme AATIP (Advanced Aerospace Threat Identification Program), le programme américain chargé de suivre les rencontres avec les OVNI, a été lancé en 2007 grâce à un financement du sénateur démocrate Harry Reid (52). Une partie des fonds de l'AATIP a été consacrée à un entrepreneur aérospatial travaillant sur des véhicules pour l'exploration humaine de l'espace (53). Dans son reportage sur le programme, le Washington Post a noté que Robert Bigelow, le propriétaire de l'entreprise recevant une grande partie du financement de l'AATIP*, est également un croyant dans les extraterrestres (54).

* depuis la publication de l'article, nous avons appris que le programme qui a bénéficié de ce financement était l'Advanced Aerospace Weapon System Applications Program (AAWSAP). Le programme AATIP n'était, en quelque sorte, qu'un prolongement mais n'a pas bénéficié de ces fonds et s'est concentré sur les interactions entre ces OVNI et les militaires.

L'idée d'une menace extraterrestre influence également la politique chinoise en matière d'espace et de défense. Ce n'est pas tout, des éléments de réalisme offensif animent l'orientation de la Chine face à ce problème. En 2017, la Chine a achevé la plus grande antenne parabolique du monde, capable à la fois de détecter les satellites utilisés pour les opérations de renseignement et d'écouter les émissions potentielles d'une civilisation extraterrestre (55). Pour le programme et d'autres, l'agence spatiale de Pékin s'appuie sur Liu Cixin, l'un des meilleurs auteurs chinois de science-fiction, pour le consulter sur les questions de premier contact potentiel entre la Terre et une autre civilisation (56). L'œuvre de Liu, qui comprend sa trilogie Le problème des trois corps, intègre le récit national de la Chine à la rencontre de l'humanité avec une autre espèce avancée (57). Le deuxième livre de la trilogie expose une vision dans laquelle l'univers est peuplé de civilisations déterminées à s'étendre et à éliminer leurs concurrents (58). Non seulement Liu craint le contact de l'humanité avec les extraterrestres, mais son inclusion dans les cercles politiques d'élite chinois rappelle l'utilisation par von Braun de l'œuvre d'Arthur C. Clarke pour influencer le programme spatial américain des décennies plus tôt (59). Notamment, Barak Obama a lu l'œuvre de Liu lorsqu'il était président et a déclaré que ses livres offraient une "perspective cosmique" (60). Que les êtres humains aient ou non rencontré une menace extraterrestre n'a rien à voir avec le sujet. L'idée d'une menace extraterrestre est à la fois présente et au moins quelque peu influente dans la pensée des grandes puissances modernes. Ce n'est pas un hasard si cette idée de menace extraterrestre coïncide avec le regain d'intérêt des États les plus puissants de la planète pour la colonisation de l'espace.

L'idée, présente dans l'œuvre de Liu et dans les écrits d'autres auteurs de science-fiction, que des civilisations en quête de pouvoir peuplent l'univers et s'étendent en conséquence n'est pas un pur produit de l'imagination. L'expansion des grandes puissances tout au long de l'histoire de l'humanité s'est faite aux dépens de plus petites entités qui ne pouvaient pas rivaliser de manière adéquate. Les États européens qui ont commencé à se consolider au début de l'ère moderne ont éliminé les formes rivales de gouvernance sous la forme de cités-États et de groupements tribaux. La colonisation occidentale des Amériques a commencé par des rencontres fantasmagoriques entre des conquistadors technologiquement avancés et des groupes indigènes. Nombre de ces groupes indigènes ont aujourd'hui disparu. L'expansion vers l'Ouest des États-Unis a produit un résultat similaire. Les programmes de russification de l'Union soviétique ont éliminé les identités ethniques et l'autonomie dans tout le nord de l'Eurasie, tandis que les tentatives d'expansion nazies en Europe ont coïncidé avec un nettoyage ethnique industrialisé (61). Les politiques chinoises au Tibet et ailleurs dans l'extrême ouest du pays ressemblent à des dynamiques similaires d'expansionnisme moderne et de suppression de l'identité des minorités dissidentes (62). Toutes les grandes puissances mentionnées : les États-Unis, l'Allemagne, la Russie et les Soviets, ainsi que la République populaire de Chine, ont envisagé une expansion nationale dans l'espace ou s'engagent activement dans cette voie.

Si les êtres humains ont agi de manière si inhumaine les uns envers les autres sur Terre, il n'y a aucune raison de croire qu'une autre civilisation abritera une forme plus grande de sagesse et d'amabilité dans ses actions envers nous. Toute théorie formelle sur des civilisations bienveillantes au-delà de la Terre ignore les données empiriques de la nature humaine et de la violence politique organisée dans l'histoire. L'humanité est la seule référence comme espèce dont nous savons avec certitude qu'elle explore l'espace et tente de le militariser. La question reste donc de savoir si la crainte d'une menace extraterrestre est crédible ou s'il s'agit simplement d'une projection psychologique. L'introduction d'une menace extraterrestre en tant qu'idée combine les précédents humains connus de conflits géopolitiques avec l'imagination humaine. Du point de vue de l'analyse du renseignement, une telle combinaison est propice à l'échec du renseignement et à la guerre.

L'idée de Liu d'un cosmos rempli de civilisations hostiles rappelle la théorie du réalisme offensif dans les relations internationales. Dans son ouvrage T  ragedy of Great Power Politics, John Mearsheimer stipule dans ses "hypothèses de base" du réalisme offensif que les États sont confrontés à l'incertitude des actions des autres États et que tous les États cherchent en fin de compte à maintenir leur propre survie dans un système sans arbitre central (63). Mearsheimer note que l'idéal de chaque État est d'atteindre l'hégémonie afin d'assurer sa survie et que les États feront un "effort particulier pour maximiser leur part du pouvoir mondial" (64). En effet, à l'aide d'armes à impulsion électromagnétique (IEM), un aspirant hégémon [Etat qui souhaiterait dominer tous les autres] pourrait anéantir plusieurs concurrents en une seule opération spatiale. Une fois l'hégémonie planétaire atteinte, le prolongement logique de l'hégémonie terrestre est l'expansion dans l'espace. Conceptuellement, la thermosphère est l'endroit où la vision du système international de Mearsheimer fusionne avec la vision du cosmos de Liu. Alors que les États-Unis, la Russie et la Chine se tournent vers la lune et Mars, cette barrière a déjà été franchie.

Les États recueillent des renseignements afin d'évaluer avec précision les capacités et les intentions des autres puissances. Toutefois, le renseignement d'alerte stratégique peut être sujet à l'échec en raison d'hypothèses analytiques erronées. L'un des pièges de l'analyse du renseignement est la "mise en miroir", c'est-à-dire le fait pour un État d'attendre des autres États qu'ils agissent comme lui dans une situation similaire (65). Au fond, le miroir est le microcosme d'un acteur qui projette ses propres perspectives et sa vision du monde sur un autre afin de comprendre ses décisions. Pour toute entreprise étatique d'analyse du renseignement stratégique, comprendre la vision du monde des autres acteurs constitue une condition préalable à l'analyse de leur rationalité. Cela pose problème lorsqu'il s'agit d'utiliser l'analyse traditionnelle du renseignement pour évaluer les questions relatives à l'existence d'une présence extraterrestre et aux intentions qu'une telle vie pourrait avoir à l'égard de la Terre. Les inconnues sont tout simplement trop grandes pour éviter de recourir à l'imagination pour combler les vides.

Dans le cadre d'une politique étrangère normale, l'analyse des renseignements peut combler les lacunes en matière d'information grâce à la connaissance de la région, aux connaissances culturelles et linguistiques, à l'économie et à d'autres spécialités afin de réduire l'incertitude. Les diplomates étrangers impliqués dans le conflit du Moyen-Orient peuvent avoir du mal à saisir l'engagement israélien ou palestinien à contrôler Jérusalem, notamment en raison de l'absence de ressources naturelles ou de valeur stratégique de l'endroit. Pourtant, il est nécessaire de comprendre les liens historiques et religieux des deux groupes avec la ville afin de comprendre les choix rationnels des acteurs impliqués. Dans ses travaux sur les quasi-lancements d'armes nucléaires par la Russie vers la fin de la guerre froide et après, Peter Vincent Pry décrit avec justesse les multiples cas où un Moscou paranoïaque a failli déclencher un holocauste nucléaire sur l'Occident (66). Plutôt que d'apaiser les tensions bilatérales, la vulnérabilité de la Russie après la guerre froide a paradoxalement accru ses craintes et sa volonté d'utiliser des armes nucléaires (67). Dans ce cas, le malaise de la Russie et sa volonté de lancer des armes différaient considérablement des anticipations américaines prématurées de mondialisation et de démocratie après 1991. De même, pour comprendre la quête de la Chine d'un statut de grande puissance, il faut la replacer dans le contexte de ses propres perspectives nationales et du Siècle de l'humiliation. Depuis les guerres de l'opium du début du XIXe siècle jusqu'en 1949, les bouleversements internes, l'empiétement européen et l'invasion japonaise ont failli mettre fin à l'autonomie de la Chine. Pour la Chine, la poursuite de l'hégémonie est la poursuite de la sécurité. Si l'on comprend que le siècle de l'humiliation anime les ambitions de la Chine, la consternation des Américains face aux tentatives de Pékin de réorganiser le système international peut rapidement être considérée comme la projection erronée par les États-Unis de leur propre rationalité sur la Chine. Pour évaluer une menace extraterrestre potentielle, aucune information contextuelle de ce type n'est facilement disponible.

Les deux seuls domaines de connaissances de base permettant de comprendre les considérations de sécurité d'une menace extraterrestre sont les défis logistiques scientifiques connus des voyages spatiaux à longue distance et le comportement de l'humanité en tant que seule espèce connue à s'engager sérieusement dans des activités dans l'espace. En ce qui concerne les voyages spatiaux à longue distance, la logistique est profondément difficile. À titre d'exemple, la possibilité de cannibalisme de la part des humains qui colonisent Mars a été évoquée lors de récentes discussions sur la colonisation de la planète rouge en raison de la distance qui la sépare de la Terre si les autres sources de nourriture venaient à manquer (68). En dehors de l'alimentation, les technologies énergétiques humaines pour les voyages spatiaux à longue distance sont encore largement limitées aux fusées chimiques. Les technologies de propulsion par fusion et antimatière sont déjà en cours de développement, mais il faudra attendre plusieurs décennies avant de pouvoir les utiliser (69). Aucune de ces technologies ne permet de résoudre les problèmes biologiques posés par la durée du voyage nécessaire pour effectuer une telle exploration, et par les différences de temps et de vieillissement entre les voyageurs de l'espace et ceux qui restent sur Terre. L'idée hollywoodienne d'une armada extraterrestre parcourant les étoiles pour envahir la Terre est difficile à réaliser sur le plan logistique ; cependant, les scientifiques sur Terre ont déjà commencé à travailler pour surmonter ces défis.

Si la logistique des voyages dans l'espace peut apaiser certaines des craintes d'une menace extraterrestre potentielle pour la Terre, peu de gens ont envisagé la possibilité plus obscure d'un voyage extra dimensionnel comme moyen de contourner la distance. En effet, des documents récemment déclassifiés au cours des dernières années indiquent que l'Agence de renseignement de la défense américaine explore les possibilités de voyage par trou de ver et de dimensions supplémentaires. De manière déconcertante, ces projets s'inscrivent également dans le cadre du projet AATIP sur les OVNI (70).

Malgré les multiples obstacles à franchir, les astronomes et les scientifiques travaillent depuis des décennies à la possibilité de rencontrer une civilisation extraterrestre, et de surmonter les problèmes logistiques que cela implique. Bernard Lovell, le radioastronome de Churchill pendant la guerre et le scientifique chargé de surveiller les Soviétiques dans l'espace, a également travaillé sur des recherches visant à calculer la probabilité d'une vie intelligente dans des systèmes stellaires proches (71). Lovell a conclu que même en tenant compte d'une "marge d'erreur de 50000 %", "environ 100 millions" d'étoiles ont des planètes en orbite autour d'elles qui peuvent abriter la vie (72). Au milieu des années 1960, les astronomes et les cryptographes avaient déjà commencé à travailler à l'élaboration d'un langage mathématique permettant de communiquer les données de base sur les habitants de la Terre et les composants chimiques de la planète à d'éventuels voisins galactiques (73).

Ces questions logistiques et scientifiques sont importantes pour le renseignement sur la possibilité d'une menace extraterrestre pour la simple raison que la connaissance des capacités et des intentions d'un acteur est importante pour interpréter avec précision son comportement. Les capacités des OVNI observés ne sont pas mises en doute, pas plus que les défis scientifiques ne le sont conceptuellement, même s'ils ne peuvent pas encore être surmontés pratiquement. Comprendre l'intention d'un acteur extraterrestre potentiel reste impossible en raison du manque de contexte culturel et historique déjà mentionné. En l'absence de telles informations contextuelles, la "mise en miroir" est une nécessité.

Une fois que l'idée d'une menace extraterrestre est introduite dans les considérations de sécurité, l'analyse se limite immédiatement à la mise en miroir. Contrairement aux adversaires étrangers terrestres, il n'y a pas de langue étrangère à apprendre, pas d'histoire étrangère à étudier, et nulle part où voyager pour accumuler les connaissances nécessaires pour éviter le "miroir". Contrairement aux travaux de Pry sur la paranoïa nucléaire russe, il n'existe tout simplement aucune donnée réelle sur une menace extraterrestre potentielle, ses capacités ou ses intentions. En effet, l'aspect non identifié des OVNI n'indique même pas la présence d'extraterrestres. Cependant, le qualificatif "non identifié" pour le terme OVNI évoque immédiatement la possibilité d'une menace posée par des petits hommes verts. Cela est dû au fait que l'idée d'une menace extraterrestre n'est limitée que par l'imagination de l'humanité. Pour la compréhension d'une menace spatiale, les êtres humains constituent le seul exemple connu d'une civilisation intelligente cherchant à se doter d'armes et à coloniser les étoiles. Des développements tels que l'USSF, les plans sino-russes pour une base lunaire et les aspirations du programme Artemis pour Mars prouvent qu'il existe au moins une civilisation aux tendances belliqueuses connues. Avec la civilisation humaine comme seul point de référence, tous les renseignements relatifs à une menace extraterrestre potentielle ne sont rien d'autre que des "miroirs" et des projections. Cette projection fournit une recette pour l'échec du renseignement et une guerre potentielle.

Au niveau du système international et de son extension dans l'espace, une multipolarité instable existe déjà. Les grandes puissances qui se font déjà concurrence sur Terre ont déclaré leur intention d'entreprendre des voyages interplanétaires. La multipolarité du système international étant déjà intrinsèquement instable et sujette aux erreurs de calcul et aux guerres, l'introduction de l'idée d'une menace extraterrestre exacerbe un équilibre déjà fragile. Au fur et à mesure que la présence des grandes puissances et de ceux qui les accompagnent s'étendent plus loin que la Terre, la probabilité de rencontrer une vie intelligente dans l'espace augmente.

En raison de cette dynamique, l'humanité n'a guère d'autre choix que de se préparer à la possibilité d'un contact et au fait qu'un tel contact pourrait s'avérer hostile. Si les craintes de Liu s'avèrent exactes, bien que ces craintes découlent d'une projection imaginative, l'humanité ferait bien de se préparer à gagner une escarmouche dans l'espace avec une autre civilisation. Éviter une telle préparation pourrait s'avérer négligent et désastreux pour l'humanité dans son ensemble, et constituerait facilement le dernier et pire échec de l'intelligence dans l'histoire de l'humanité. Une telle menace potentielle justifie un plus grand développement des armes par les pays qui explorent l'espace, même si elle exacerbe le dilemme actuel de la sécurité terrestre. Pour les critiques qui affirment que la peur humaine d'une autre civilisation est biaisée par le passé violent de l'humanité, il faut noter que l'idée d'une rencontre extraterrestre pacifique découle également de la projection. Avec pour seul guide le passé et l'imagination de l'humanité, les États avancés n'ont guère d'autre choix que de continuer à se faire concurrence et à se préparer à des menaces qui restent inconnues.

L'introduction de l'idée d'une menace extraterrestre enferme les considérations de sécurité dans deux cas de miroir. Dans l'un des scénarios, l'humanité rencontre à un moment donné une civilisation bénigne et amicale avec des intentions amicales. Dans l'autre, l'humanité rencontre une civilisation hostile semblable à celles que craint Liu. Dans les deux cas, l'analyse des observations par les services de renseignement et la découverte de radiofréquences provenant de l'espace ne sont guère plus que des spéculations et des projections. Face à l'extinction potentielle de l'humanité dans l'éventualité du second scénario, la seule réponse sûre est celle que recommande le réalisme offensif, à savoir maximiser les capacités de sécurité dans l'espace en tant que domaine. En effet, les grandes puissances actuelles de la Terre travaillent déjà à un tel renforcement et le font actuellement pour se défendre les unes contre les autres. Au-delà de ce dilemme sécuritaire plus familier, le spectre d'une menace extraterrestre potentielle ne peut être ignoré, en particulier à mesure que les technologies humaines progressent et que la présence de notre espèce s'étend au-delà de la Terre. Pour faire face à la fois à la menace connue des autres grandes puissances dans l'espace et à la menace potentielle inconnue venant d'en haut, la prescription politique est la même. Cette prescription consiste à renforcer les capacités en gardant à l'esprit la menace inconnue et le fait que le renforcement humain dans l'espace peut être observé par d'autres acteurs que les grandes puissances traditionnelles.

Conclusion et implications

En conclusion, cet article introduit l'idée d'une menace extraterrestre dans le contexte de la politique du pouvoir et théorise la manière dont une telle idée affecte le dilemme de la sécurité. Tout d'abord, cet article retrace les origines de l'idée d'une telle menace en commençant par la compétition moderne entre grandes puissances au début du 20e siècle et dans le contexte des avancées technologiques rapides. Deuxièmement, cet article examine comment l'idée d'une menace extraterrestre exacerbe le dilemme de sécurité existant en introduisant une plus grande incertitude dans les calculs stratégiques des grandes puissances. Cet article examine les limites de la compréhension d'une telle menace imposées par les problèmes analytiques au sein de l'analyse du renseignement et le problème de la projection de la rationalité. En raison de l'introduction d'une plus grande incertitude dans le dilemme de sécurité résultant de l'idée d'une menace extraterrestre, cet article soutient que les États engagés dans la compétition spatiale n'ont guère d'autre choix que de se préparer à la possibilité qu'une telle idée devienne réalité.

Sources de l'article de Ian Oxnevad :

1 Helene Cooper, Ralph Blumenthal, and Leslie Kean, " Glowing Auras and 'Black Money': The Pentagon's Mysterious UFO Program," New York Times, 16 December 2017, accessed 22 December 2020. See also Natasha Turak, " Pentagon declassifies three UFO s taken by Navy pilots", CNBC, 28 April 2020, accessed 22 December 2020.

2 Rob Picheta, "Aliens definitely exist and they could be living among us on Earth, says Britain's first astronaut", CNN, 6 January 2020. See also Michael Segalov, "Helen Sharman: '  There's no greater beauty than seeing Earth from up high,'" The Guardian, 5 January 2020, accessed 23 December 2020. See also Adela Suliman and Paul Goldman, " Former Israeli space security chief says extraterrestrials exist, and Trump knows about it," NBC News, 8 December 2020, accessed 23 December 2020. See also Nathan Jeffay, " Israeli space chief says aliens may well exist, but they haven't met humans," Times of Israel, 10 December 2020, accessed 23 December 2020.

3 " Trump says he's heard 'very interesting' things about Roswell, site of an alleged UFO event," NBC News, 19 June 2020, accessed 24 December 2020.

4 Pavithra George, "'  Normalizing' UFOs-retired US Navy pilot recalls Tic Tac encounter," Reuters, 24 June 2021, accessed 10 January 2022.

5 Caleb A. Scharf, " The First Alien: When did we start talking about life from elsewhere," Scientific American, 23 November 2019, accessed 8 April 2021.

6 Adam Janos, " Mysterious UFOs Seen by WWII Airman Still Unexplained," History, 15 Aug. 15, 2018, accessed 9 May 2021.

7 Mario Livio, " Winston Churchill's essay on alien life found," Nature, 15 February 2017, accessed 9 May 2021.

8 Paul Rincon, " Winston Churchill's views on aliens revealed in lost essay," BBC News, 15 February 2017, accessed 10 May 2021.

9 Justin D. Lyons, "Churchill on Science and Civilization," The New Atlantis, (Summer 2010), 28 November 2010, pp. 75-84, 77. See also Mario Livio, " Winston Churchill's essay on alien life found," Nature, 15 February 2017, accessed 9 May 2021.

10 Ibid. See also " Sir Bernard Lovell claims Russians tried to kill him with radiation.", The Telegraph, 22 May 2009, accessed 9 May 2021.

11 Eric Kurlander, " A Song of Ice and Fire: World Ice Theory and Supernatural Imagery of the Third Reich," Lapham's Quarterly, 26 July 2017, accessed 9 May 2021.

12 Ibid.

13 Ibid. See also Nicholas Goodrick-Clarke, Black Sun: Aryan Cults, Esoteric Nazism, and the Politics of Identity (New York: New York University Press, 2002).

14 Goodnick-Clarke, p. 128.

15 See Riley Black, " The Idiocy, Fabrications and Lies of Ancient Aliens," Smithsonian Magazine, 11 May 2012, accessed 10 January 2022.

16 Michael J. Neufeld, "Overcast, Paperclip, Osoaviakhim: Looting and the Transfer of German Military Technology,"in The United States and Germany in the Era of the Cold War 1945-1990, A Handbook. Vol. I: 1945-1968, Edited by Detlef Junker (Cambridge: University of Cambridge Press, 2004), pp. 198-199.

17 Ibid., p. 199.

18 Ibid., p. 199.

19 Wernher von Braun, The Mars Project (Urbana: University of Illinois Press, 1953).

20 Von Braun, p. 2.

21 Thomas O. Paine, Foreword to The Mars Project (Urbana: University of Illinois Press, 1991), pp. vii-viii.

22 Asif A. Siddiqi, Challenge to Apollo: the Soviet Union and the Space Race: 1945-1974 (Washington DC: NASA History Division, 2000), p. 1.

23 Ibid., pp. 1-2.

24 Mindy Weisberger, " Army officer's secret journal could offer new clues about the UFO crash in Roswell in 1947," Live Science, 12 December 2020, accessed 12 May 2021. See also Toby Smith, Little Gray Men: Roswell and the Rise of a Popular Culture (Albuquerque: University of New Mexico Press, 2000).

25 Report of Air Force Research Regarding the " Roswell Incident," National Security Agency, accessed 26 June 2021, p. 17. See also Donovan Webster, " In 1947, A High-Altitude Balloon Crash Landed in Roswell. The Aliens Never Left," Smithsonian Magazine, 5 July 2017, accessed 26 June 2021.

26  Biography, Arthur C. Clarke Foundation official website, accessed 20 June 2021.

27 Saswato R. Das, " Final thoughts from Arthur C. Clarke," The New York Times, 20 March 2008, accessed 20 June 2021.

28 Isaac Asimov, The Early Asimov; or, Eleven Years of Trying (Garden City: Doubleday, 1972), pp. 560-564.

29  Project BLUE BOOK-Unidentified Flying Objects, US National Archives, Military Records Search, accessed 20 June 2021.

30 Nick Pope, " My time as a UFO investigator for the government," BBC Future, 22 March 2016, accessed 20 June 2021.

31 Ibid.

32 Chris Bockman, " Why the French state has a team of UFO hunters," BBC News, 4 November 2014, accessed 23 June 2021.

33 Centre National D'Etudes Spatiales, " GEIPAN UAP Investigation Unit Opens its Files," 26 March 2007, accessed 20 June 2021.

34 Mosheh Gains and Phil Helsel, " Navy confirms s did capture UFO sightings, but calls them by another name," NBC News, 19 September 2019, accessed 9 May 2021.

35 David Vergun, " Spacecom Aims to Ensure Space Domain is Protected, General Says," Defense News, US Department of Defense, 3 May 2021, accessed 26 June 2021.

36 " Commander Lists 5 Tasks to Ensuring Continued Space Superiorty," Defense News, US Department of Defense, 26 January, 2021, accessed 26 June 2021.

37 See " Military and Security Developments Involving the People's Republic of China: 2020," Office of theSecretary of Defense: Annual Report to Congress, 2020, accessed 22 June 2021. See also Beyza Unal and Mathieu Boulegue, " Russia's Behavior Risks Weaponizing Outer Space," 27 July 2020, Chatham House, accessed 22 June 2021.

38 Mike Wall, " Russia and China just agreed to build a research station on the moon together," Space.com, 21 March 2021, accessed 26 June 2021.

39 Tereza Pultarova, " Russia, China reveal moon base roadmap but no plans for astronaut trips yet," Space.com, 14 June 2021, accessed 26 June 2021.

40 See " NASA's Lunar Exploration Program Overview," National Aeronautics and Space Administration, September 2020, accessed 20 June 2021

41 Jim Garamone, " Esper: Air Force, Space Force Leading Charge to New Technologies," Defense News, Department of Defense, 16 September 2020, accessed 26 June 2021. See also Vincent Pry, " The Russian Federation's Military Doctrine, Plans, and Capabilities for Electromagnetic Pulse (EMP) Attack," EMP Task Force on National Homeland Security, January 2021, accessed 23 June 2021. See also Richard Stone, "'  National pride is at stake.' Russia, China, United States race to build hypersonic weapons," Science, 8 January 2020, accessed 23 June 2021.

42 See John J. Mearsheimer, The Tragedy of Great Power Politics (New York: WW Norton and Company Inc., 2001).

43 Preliminary Assessment: Unidentified Aerial Phenomena, Office of the Director of National Intelligence, 25 June 2021, accessed 29 June 2021.

44 Ibid., p. 5.

45 Ibid., p. 5.

46 Ibid., pp. 5-6.

47 Preliminary Assessment: Unidentified Aerial Phenomena, Office of the Director of National Intelligence, 25 June 2021, accessed 29 June 2021, p. 5.

48 John A. Gentry and Joseph S. Gordon, Strategic Warning Intelligence (Washington DC: Georgetown University Press, 2019), p. 110.

49 Ki Mae Heussner, " Did Winston Churchill Order a UFO Cover-Up?", ABC News, 5 August 2010, accessed 29 June 2021.

50 Ibid. See also Cahal Milmo, " Did Churchill and Eisenhower cover up UFO encounter?" The Independent, 23 October 2011, accessed 29 June 2021.

51 Philip Bump, " The long, strange history of John Podesta's space alien obsession," The Washington Post, 8 April 2016, accessed 23 June 2021.

52 Helene Cooper, Ralph Blumenthal, and Leslie Kean, " Glowing Auras and 'Black Money': The Pentagon's Mysterious UFO Program", The Washington Post,16 December 2017, accessed 23 June 2021.

53 Ibid.

54 Ibid.

55 Ross Anderson, " What Happens if China Makes First Contact?" The Atlantic, December 2017, accessed 29 June 2021.

56 Ibid.

57 Ibid.

58 Ibid.

59 Yvaine Ye, " Exclusive: Chinese sci-fi genius Cixin Liu on humanity's deadly future," The New Scientist, 5 September 2018, accessed 29 June 2021.

60 Ross Anderson, " What Happens if China Makes First Contact?" The Atlantic, December 2017, accessed 29 June 2021.

61 See Brian Silver, "Social mobilization and the Russification of Soviet nationalities," The American Political Science Review 68, №1 (1974): pp. 45-66. See also Theodore R. Weeks, "Russification/Sovietization," European History Online, EGO, ed. Stefan Troebst (Mainz: Institute of European History (2010): pp. 6-10.

62 See Kunal Mukherjee, "The Uyghur Question in Contemporary China," Strategic Analysis 34, №3 (2010): pp. 420-435.

63 Mearsheimer, p. 31.

64 Ibid., p. 34.

65 Gentry and Gordon, p. 176.

66 See Peter Vincent Pry, War Scare: Russia and America on the Nuclear Brink (Westport: Praeger, 1999).

67 Ibid, p. xiii.

68 Elmira Tantarova, " Space colonists could turn into cannibals: Experts warn humans settling on far away planets could end up eating each other if farming and crops failed," Daily Mail, 1 January 2022, accessed 10 January 2022.

69 Mike Wall, " Antimatter and Fusion Drives Could Power Future Spaceships," Space, 11 September 2012, accessed 10 January2022.

70 Sarah Emerson, " The Government's Secret UFO Program Funded Research on Wormholes and Extra Dimensions," Vice News, 17 January 2019, accessed 9 January 2022. See also, Chris Ciaccia, " Secret Pentagon projects reveal gov't looked into UFOs, wormholes and other bizarre anomalies," Fox News, 23 January 2019, accessed 9 January 2022. For a list of the projects, see Defense Intelligence Agency FOIA Request Response, 16 January 2019, accessed 10 January 2022.

71 Lambros D. Callimahos, " Communication with Extraterrestrial Intelligence," Panel Discussion, Conference on Military Electronics, Washington DC, 23 September 1965, p. 107, accessed 10 January 2022.

72 Ibid., p. 107.

73 See Callimahos, 1965.

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