L'Assemblée nationale a voté jeudi 19 novembre l'état d'urgence pour trois mois. Cécile Duflot l'a voté. Elle explique sa décision, et les réserves que lui inspire la démarche du gouvernement.
Reporterre - Pourquoi avoir voté, hier, la loi prolongeant l'état d'urgence ?
Cécile Duflot - L'état d'urgence a une durée limitée, et nous aurions même souhaité qu'elle soit plus brève. Mais dans ce contexte extrêmement préoccupant pour les habitants de ce pays, il nous a semblé légitime de voter cette prolongation pour être au diapason du besoin de protection exprimé par notre population. Nous sommes dans un moment très troublé et les gens ressentent le besoin qu'il y ait des décisions prises face à cette menace. La loi de 1955, ainsi modifiée, offre des dispositions qui permettent de pouvoir travailler plus vite, pour les perquisitions notamment. Et dans l'hypothèse de menaces très identifiées, l'assignation à résidence peut être un moyen très efficace.
C'est un vote en conscience qui est compliqué avec mon histoire, mes engagements. Mon souci de la défense des libertés publique demeure entier.
D'autres députés écologistes ont justement jugé qu'une durée aussi longue constituait un risque suffisant pour ne pas voter la loi.
Chacun a un index avec lequel il appuie sur un bouton pour voter. Je partage les réserves et les critiques de ceux qui ont refusé de la voter. Je l'ai dit hier dans l'hémicycle : l'état d'urgence ne peut pas être un état d'exception permanent.
Je demande au gouvernement de ne pas se tromper sur le sens de notre vote : ce n'est pas un quitus. Et je dois dire que voir le gouvernement accepter les amendements de la droite et refuser ceux des écologistes laisse songeur. L'unité nationale ne justifie pas d'avaler à gros bouillons la doctrine de nos adversaires.
Cette situation justifie-t-elle l'annulation des grands rendez-vous de la société civile pendant la COP 21 ?
Après les attentats de Charlie, on a manifesté avec tous les dirigeants du monde. Interdire la grande marche du 29 novembre me semble être une erreur et pas seulement parce que nombre de militants la préparent depuis deux ans. Le succès de la COP passe par la mobilisation de la société civile. C'est une partie de notre avenir qui se joue à la conférence de Paris. Nous devons trouver les formes pour faire entendre coute que coute la voix des citoyennes et des citoyens.
Soutenez-vous le projet de révision de la constitution annoncé par François Hollande ?
Non. J'ai des réserves importantes sur la nécessité de modifier la Constitution, et surtout de vives réticences quant à la temporalité de cette modification. Cette démarche est inutile et dangereuse. J'ai participé à la Commission sur l'avenir de nos institutions qui réunissait plusieurs personnalités qualifiées, des juristes, des constitutionnalistes, etc. Cette commission s'est réunie tout au long des derniers mois, après les attentats de janvier. Pourtant, personne n'a soulevé, à un seul moment, cette nécessité de modification. Je note par ailleurs que l'année de la COP 21, le président de la République n'a pas donné suite à notre demande d'intégrer l'objectif de lutte contre le dérèglement climatique dans la constitution et d' affirmer le caractère écologique de notre République.
Le tragique spectaculaire des attentats marque davantage les esprits que la catastrophe lente de notre modèle de développement. Le temps court ne doit pourtant pas obérer le temps long. C'est essentiel pour la sauvegarde de notre avenir.
Quid de la proposition de déchéance de nationalité qu'a également formulée François Hollande ?
Nous ne pouvons l'accepter. Cette proposition est totalement aberrante au regard de ce qui fonde notre pays, elle est au fond basée sur l'idée que les binationaux sont moins Français que d'autres. Il y a là quelque chose d'assez pervers qui revient à trier entre les Français. Cette distinction n'a rien à voir avec la lutte contre le terrorisme mais tout à voir avec la volonté affichée par nos adversaires de revenir sur le droit du sol. Y consentir serait une faute.
Sur le plan géopolitique, faut-il selon vous intervenir en Syrie ?
Laisser Bachar el Assad gazer son peuple a été une faute considérable. La position de Vladimir Poutine a consisté à geler toute capacité d'intervention. Le fait que l'Europe soit un nain politique et militaire en raison de notre incapacité à parler d'une même voix et faute d'avoir une politique de défense commune nous handicape considérablement. Au point où nous en sommes je ne suis pas certaine que les frappes aériennes, sporadiques, soient les plus efficaces. L'histoire mondiale récente, notamment en Afghanistan, l'a bien montré.
Faut-il alors intervenir au sol ?
Nous payons le prix de notre non-soutien aux kurdes. Mais il faut agir sur l'ensemble des clés, militaires certes, mais aussi diplomatiques, financières, géopolitiques. La fragilisation de la Syrie est aussi liée à une grande sécheresse qui a conduit à des déplacements de population massifs. Toutes ces questions sont imbriquées. Le terrorisme prospère sur la misère. Et il ne faut pas non plus oublier de se poser cette question essentielle : comment ces groupes trouvent-ils des bras dans nos propres sociétés ?
Votre réponse n'évacue-t-elle pas la question de la sécurité, qui semble un impensé de l'écologie ?
Absolument pas. Je plaide pour la « déminorisation » de l'écologie : ce qui implique que nous puissions formuler des réponses dans tous les domaines de l'action gouvernementale. Je réfléchis depuis de longs mois à ce que serait une « politique verte » de la défense. Dans le domaine de la géopolitique, intégrer le facteur environnemental dans les causes du désordre du monde est impératif. Le dérèglement climatique est indéniablement un multiplicateur de menaces qui a joué un rôle important par exemple dans la dislocation de la Syrie ou l'émergence de Boko Haram. Dans le cas de Daech, posons-nous la question du financement : la manne du pétrole de contrebande est une ressource considérable. Les ressources agricoles des régions fertiles passées sous contrôle jouent aussi un rôle important, à côté du trafic d'organes ou de la vente d'êtres humains. Aucune naïveté ne permettra de lutter contre le terrorisme. Cela vaut aussi pour notre territoire.
J'affirme que l'idée d'une surveillance de masse n'est pas seulement dangereuse pour nos libertés publiques mais inefficace pour lutter contre ce type de menace : la suppression des renseignements généraux a constitué une erreur importante de l'ère Sarkozy que nous payons maintenant au prix fort. Un algorithme ne remplacera jamais un agent formé, impliqué sur le terrain, capable de dire en temps réel ce qui se passe. Par ailleurs, je répète que nous devons assécher les sources de recrutement des intégristes : la République doit regagner du terrain dans les esprits, ce qui implique une lutte sans merci contre les inégalités. Les écologistes ne sont pas des naïfs. Noel Mamère n'a pas faibli quand il a fallu éloigner un imam dangereux de la mosquée de Bègles.
Propos recueillis par Barnabé Binctin
Source : Barnabé Binctin pour Reporterre
Photo : Docs.google