Par Paul C.
Le samedi 14 novembre, au petit matin, et après une nuit passée à s'agiter en tous sens et à déblatérer le charabia « va-t-en guerre » habituel devant les médias et devant ses subordonnés, not'bon président se posa un moment sur un fauteuil devant la fenêtre de sa chambre à coucher et observa le vol lointain des pigeons sur les toits des immeubles parisiens. Il eut soudain une « illumination » (un peu comme cette bonne vieille Bernadette dans sa grotte de Lourdes) et se dit que s'il voulait laisser une trace quelconque dans l'histoire, que l'on se souvienne de son nom et qu'on arrête de le surnommer « capitaine pédalo » ou « Bisounours », il fallait qu'il fasse quelque chose de grand et surtout d'inhabituel pour un Chef d'État.
Il fallait qu'il innove réellement dans le domaine de la gouvernance et cesse d'aboyer comme un roquet chaque fois que le monarque des USA lui disait d'aboyer. Il devait aussi arrêter de prendre des décisions à la « va-vite », en obéissant aux résultats des pseudos sondages qui étaient censés lui indiquer l'état d'esprit du Tiers-état. Il en avait par dessus la tête de tous ces conseillers (grassement rétribués par les multinationales et les groupes de pression) qui passaient leur temps à lui suggérer des idées ne servant que leurs intérêts propres. Un jour, il fallait imposer centrales nucléaires, aéroports et autoroutes sur tout le territoire ; un autre jour, protéger les grenouilles tricolores ou accepter avec enthousiasme les OGM ; il fallait faire des économies mais surtout pas au détriment des forces armées ou de la police ; faire plaisir à tout le monde mais licencier un maximum de personnes dont l'emploi était utile à la collectivité... Parfois, c'était un vrai casse-tête. Il jeta un coup d'œil sur la liste de mesures préconisées par son Cazeneuve de l'intérieur (il sourit à cette occasion en se disant que son « trio gagnant », Macron, Valls, Cazeneuve, n'avait vraiment rien d'innovant). D'un geste rageur, il raya tous les paragraphes d'une loi instaurant l'État d'urgence « à la papa ». Il était suffisamment malin pour savoir que les préconisations de ses adjoints ne feraient en aucun cas évoluer la situation dans la bonne direction. Il jeta la liasse de feuillets à la corbeille, prit son bloc-notes et son stylo tout neuf, et se mit à écrire fiévreusement, essayant de mettre au clair les idées qui se bousculaient dans sa tête.
Premier problème à régler : la fabrication et la vente d'armes françaises au quatre coins de la planète. Il savait qu'il lui fallait être pédagogue car l'industrie de l'armement était l'un des rares secteurs de notre économie qui fonctionnait convenablement : les usines de canons étaient parmi les rares qui embauchaient et ce qu'il allait décider risquait de provoquer une crise sans précédent. Il hésita un peu puis écrivit :
1 - Je décide qu'à compter de ce jour, la France va cesser d'alimenter en armes et en munitions la totalité des pays d'Afrique et du Moyen-Orient... en particulier les pays dont l'idéologie et les malversations financières diverses et variées permettent d'encourager le développement des mouvements terroristes. Ayant écrit cela, il réalisa que cette mesure n'était pas suffisante pour régler le problème du trafic de matériel militaire. Rien n'empêchait par exemple les pays du Golfe de passer par des fournisseurs tiers. On livre un quelconque pays d'Amérique Centrale qui se charge ensuite de la revente... Cela ne fait que compliquer le transport...
Il raya donc ce premier paragraphe de sa nouvelle loi parce qu'il n'était pas assez radical à ses yeux. Il resta un moment à contempler les pigeons puis écrivit :
1 -Je décide qu'à compter de ce jour, la totalité des industries et des laboratoires fabriquant du matériel de guerre ou travaillant à l'élaboration de dispositifs qui peuvent être utilisés à des fins militaires seront fermés progressivement mais définitivement. (Le fait d'avoir écrit cela le fit jubiler intérieurement.) Des contrôles très stricts seront effectués de façon à ce que ce dispositif ne puisse être contrecarré par aucune entreprise (se méfier par exemple des sociétés qui œuvrent dans le secteur informatique). Il est urgent d'installer un contrôle aux frontières pour stopper les trafiquants d'armes. Au passage, je vais lancer un appel international au désarmement...2 - Les ouvriers licenciés en raison de cette mesure bénéficieront de mesures de reconversion immédiate au frais de l'État. Locaux industriels et machines seront employés pour fabriquer du matériel utile à la collectivité. Les énormes moyens techniques et humains libérés par cette mesure pourront par exemple être utilisés pour fabriquer des équipements permettant d'améliorer notre autonomie énergétique en faisant appel aux énergies renouvelables. « Bon sang de bon soir, un type qui monte des détonateurs sur un obus doit bien être capable d'assembler les éléments d'un chauffe-eau solaire ! Comment se fait-il que je n'y aie jamais pensé avant ? » Par ailleurs, avec tous les équipements collectifs que nous avons détruits (avec l'aide de nos « alliés » outre-atlantique, ceux qui ont la chance d'être gouvernés par un prix Nobel de la paix), il y a de quoi créer des postes de travail dans le bâtiment également !
3 - Notre pays va cesser de jouer un jeu diplomatique hypocrite. Nous allons stopper nos interventions militaires dans les pays qui ne nous ont rien demandé (et même dans les autres sans doute). Nous allons cesser de passer des accords commerciaux avec tous les États qui jouent un double jeu, comme l'Arabie Saoudite ou la Turquie de l'Émir, qui proclame ses louables intentions de lutter contre le terrorisme mais en profite pour bombarder les seuls combattants efficaces sur le terrain contre l'État Islamique, à savoir les Kurdes. Nous allons arrêter, sous couvert de pratiques humanitaires, de mener une politique néo-coloniale sanguinaire. Dans un souci de cohérence que je trouve indispensable, nous allons bloquer définitivement le développement du nucléaire et interdire aux entreprises de ce secteur toute propagande mensongère dans les médias. Il est inouï de prétendre que le nucléaire c'est l'indépendance énergétique de notre beau pays alors que le minerai d'uranium est exploité dans des pays où nous sommes obligés, pour garantir nos intérêts, de maintenir une présence militaire plus ou moins officielle.
4 - Les paragraphes précédents rendant l'existence d'une armée professionnelle suréquipée totalement inutile, nous allons peu à peu supprimer les forces armées, en commençant par les branches affectées aux opérations extérieures. Si notre nation décide de soutenir un peuple en lutte contre ses oppresseurs, ce ne sera plus jamais par le moyen de bombardements aveugles, mais en envoyant sur place le personnel civil dont la population pourrait avoir besoin. Bref, nous allons doter nos parachutistes, qui ne seront plus des parachutistes, de trousses de secours, de tenailles et de truelles. L'argent économisé sur le carburant d'avion, les bombes et les missiles divers sera employé de façon utile sur le terrain, sans que notre pays n'ait besoin de s'endetter ni de prendre de quelconques mesures d'économies sur les services utiles au public.
5 - La liberté d'expression des citoyens, déjà garantie dans la Constitution, doit impérativement être respectée. Nulle mesure visant à la restreindre d'une manière ou d'une autre ne pourra être prise. Le contrôle de la circulation des voyageurs aux frontières ne peut nullement réduire l'action des terroristes (action au nom de laquelle on ne cesse de vouloir interdire, emprisonner, bâillonner...). Si l'on n'agit pas à la « racine » du mal, un terroriste « mis hors circulation » sera remplacé par un autre. Ce n'est pas l'enfermement à vie ou le rétablissement de la peine de mort qui pourront servir de repoussoir à une quelconque volonté de commettre un attentat de la part de gens désespérés qui sont prêts à se sacrifier pour leur « cause ». Ce n'est pas avec des lois que l'on combat l'obscurantisme, c'est en favorisant le développement des populations dans les pays où la misère et/ou la guerre prive la jeunesse de toute perspective d'avenir. Avec les économies réalisées sur les dépenses militaires, l'argent ne manque pas pour permettre aux populations défavorisées de sortir de leur ghetto économique. Les pays développés ont largement les moyens de financer, dans un premier temps, des plans d'urgence, dans un second temps, des initiatives permettant un développement local et durable de l'économie.
6 - La mondialisation à la sauce libérale est l'une des principales causes du développement du terrorisme. Il va donc falloir, dans les semaines à venir, que je révise mes grands classiques, et que je fasse quelques propositions permettant de sortir du capitalisme qui nous oppresse (enfin, les autres surtout...) depuis des décennies. Cet ensemble de textes constituera le second volet de mon plan d'urgence. Il faudrait que je demande à Lionel s'il n'a pas, dans la bibliothèque familiale (son père lisait beaucoup d'ouvrages intéressants) quelques bons vieux bouquins socialistes. Bien sûr, quelques concertations avec les voisins les plus éclairés seront sans doute indispensables...
Quand il eut écrit ces quelques paragraphes, not'bon président posa son stylo, soupira. « Mon dieu, que la tâche est immense à accomplir... Heureusement que je n'ai qu'un coup de pouce à donner pour initier le processus et empêcher que l'on ne refasse encore une fois les mêmes conneries qu'après le 11 septembre ou le 7 janvier... La suite, les citoyens de ce pays la définiront eux-mêmes. Je crois bien qu'il y a une chanson qui dit quelque chose comme "Il n'y a pas de sauveur suprême, ni dieu, ni césar, ni tribun..." Si au moins il y avait un mec de gauche dans mon gouvernement, il pourrait me souffler les paroles ! En toute logique, il faudrait donc que je m'abolisse moi-même, ou tout au moins ma fonction... Oui mais le problème c'est que je voudrais bien laisser mon nom dans l'histoire ; être aussi connu que Jaurès par exemple ; mais ne pas finir comme Allende. Et puis si je veux que l'intelligence triomphe, il va falloir prendre aussi des mesures à propos des médias. On ne peut pas continuer comme cela à bourrer le mou des citoyens, de manière aussi grossière. Quand je pense qu'une majorité est favorable à l'idée d'envoyer des soldats en Syrie. Qu'est-ce qu'ils croient ces cons-là ? Que ce sont toujours les gosses des autres que l'on envoie ? Qui a bien pu leur dire que la France était en guerre et leur faire entendre le son du tambour du matin jusqu'au soir ? »
- Ernest ! C'est l'heure de mon petit-déjeuner, si Manuel, Emmanuel et Bernard sont dans l'antichambre, dis leur d'attendre un peu, j'ai la migraine...
(Ndlr - Bien entendu, le Président de la République que je mets en scène dans ce billet n'est qu'un personnage purement fictif. Toute ressemblance avec... Je ne suis pas assez naïf pour imaginer qu'une personne de son acabit serait capable d'envisager ne serait-ce que le dixième des mesures évoquées ci-dessus. Mais il est parfois bon de se réjouir un peu, histoire de se rappeler que jamais - au grand jamais - il ne sera possible de porter au pouvoir, par le jeu des urnes, un personnage capable de mettre en piste un ensemble de mesures du même genre. Les Grecs en ont fait l'expérience avec Tsipras. Avec un bulletin de vote, on ne change pas de politique, on ne change que la marionnette chargée de la mettre en œuvre. Je suis très triste et très inquiet quant à l'évolution de notre pays. On peut prendre les pires des décisions avec les meilleures intentions du monde (soyons encore indulgents avec la clique pseudo-socialiste) ; on ne fait que préparer le travail de ceux qui viendront derrière et qui pourront agiter le bâton sans avoir à commettre quelque infraction que ce soit vis-à-vis de la loi. Je l'ai déjà dit et je le répète. L'État d'urgence décrété va servir d'ores et déjà à museler les opposants à la mascarade de la COP 21, il ne permettra probablement pas de bloquer les prochains attentats. L'arsenal répressif dont ont besoin les sinistres de droite est en place.)