Reporterre a rencontré des jeunes qui luttent en commun contre le changement climatique. Ils sont réunis ces jours-ci pour la Conférence de la jeunesse. Ils témoignent et dessinent les voies de l'avenir.
Du 26 au 28 novembre, des milliers de jeunes du monde entier se sont donné rendez-vous au parc des expositions de Villepinte (Seine-Saint-Denis) pour la Conference of Youth (COY). Par des rencontres, des conférences, des débats et des ateliers, ils cherchent à définir une position commune de la jeunesse mondiale, qu'ils transmettront aux négociateurs de la COP 21.
Félix Nanti-Allah Altebaye : « Le désert poursuit son avancée »
Félix Nanti-Allah Altebaye, 31 ans, N'Djaména (Tchad)
« Je suis juriste en droit public. Je souhaite m'inscrire à un master en droit de l'environnement. En parallèle, je suis agent d'escale à la compagnie Asky Airlines pour financer mes études.
Le Tchad est un grand pays de 1,284 million de kilomètres carrés, situé au cœur du continent africain. Mais la majeure partie du pays est occupée par le désert, qui poursuit son avancée. Le lac Tchad, inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco, est menacé par la sécheresse et sa superficie diminue. Les conditions de vie sont devenues très difficiles pour les habitants. Auparavant, le poisson était très bon marché ; aujourd'hui, il est très cher car il n'y en a presque plus dans le lac. Les pêcheurs, les agriculteurs et les éleveurs fuient le territoire et vont au Niger, au Nigéria ou rejoignent la capitale, accélérant l'exode rural.
Quand j'étais au lycée, je militais déjà pour les droits de l'homme. En licence, j'ai suivi des cours de droit de l'environnement. Je me suis dit qu'il fallait faire quelque chose pour affronter la menace du changement climatique. Un ami a lancé un club pour la promotion des espaces verts au Tchad et j'ai tout de suite adhéré. Nous sensibilisons les lycéens et les étudiants à ne pas jeter n'importe quoi par terre, par exemple.
Bien que les Tchadiens vivent de la pêche, de l'agriculture et de l'élevage, ils n'ont pas le sens de la protection de l'environnement. Ils jettent des ordures - bouts de fer rouillés, plastiques et même piles toxiques - dans les caniveaux. Ils utilisent des pesticides pour les cultures. L'eau des puits est polluée, les habitants sont malades. Aujourd'hui, le message commence à passer mais il reste du chemin à parcourir. »
Elizabeth Buchan : « Comment réduire notre dépendance au charbon ? »
Elizabeth Buchan, 25 ans, Canberra (Australie)
« Nous exportons beaucoup de charbon. Cela représente beaucoup d'argent pour le pays mais contribue largement aux changements climatiques. Comment réduire ces exportations ? Comment réduire notre dépendance au charbon ? L'énergie est notre principal défi.
Nous ressentons de plus en plus la chaleur et le manque d'eau. Les sécheresses ont eu des conséquences désastreuses pour l'agriculture. En ce moment, nous avons beaucoup de feux de forêts. Ces dernières années, nous avons également connu des précipitations extrêmes et des inondations. Nous sommes également inquiets devant la montée du niveau de la mer, mais pour l'instant ce n'est pas un problème trop sérieux.
Quand j'avais 17 ans, j'ai vu Une vérité qui dérange, d'Al Gore. C'est ce film qui m'a poussé à m'intéresser au changement climatique. J'ai assisté à la COP de 2012 grâce à l'organisation Global Voices. J'ai par la suite contacté CliMates. Nous suivons différents sujets en lien avec le changement climatique, et nous leur consacrons des billets de blog pour que nos membres puissent s'informer sur les négociations. Aujourd'hui, je m'intéresse particulièrement à la question du prix du carbone.
Je pense qu'en Australie, les gens comprennent de mieux en mieux l'importance de lutter contre le changement climatique. Le nouveau premier ministre, Malcolm Turnbull, est plus engagé que Tony Abbott dans les processus internationaux, ce qui est une bonne chose. Mais il n'a pas été officiellement élu, il n'a pas encore lancé de nouvelle politique contre le changement climatique. »
Rizman Jaffar : « Les glaciers ont fondu, ce qui a provoqué des inondations dans tout le pays »
Rizman Jaffar, 30 ans, Karachi (Pakistan)
« Le Pakistan est une région très montagneuse de l'Himalaya. Nous avons cinq des dix plus grandes montagnes au monde, et le K2, deuxième plus haut sommet mondial après l'Everest. Nous sommes très dépendants de l'eau qui provient de ces montagnes.
Mais ces deux dernières années, l'été a été plus chaud que d'habitude. Les glaciers ont fondu davantage, ce qui a provoqué des inondations dans tout le pays, principalement près des rivières où habitent dix millions de personnes. C'est un très grand défi.
L'autre problème environnemental que nous connaissons est la pollution du milieu marin. Toutes les grandes villes sont situées en bord de mer. Les usines rejettent leurs déchets dans l'eau, ce qui est très dangereux pour les espèces marines.
Je représente le mouvement scout au Pakistan. Les scouts se sont engagés dans la lutte contre le changement climatique il y a un an. En septembre au Pakistan, nous avons lancé le World Solar Challenge, une campagne mondiale de promotion de l'énergie solaire. Il y a beaucoup de soleil dans le pays. Nous travaillons aussi à sauver les vies humaines et animales lors des inondations. »
Jin Young : « Il reste toujours cette vieille génération ignorante »
Jin Young Kim, 24 ans, Séoul (Corée du Sud)
« Depuis quelques années, l'été devient plus long. Nous avions de très beaux printemps, mais ils ne durent plus qu'un mois. L'an dernier, nous avons aussi connu une sécheresse record : la pire depuis au moins quarante ans ! Les paysans sont lourdement touchés, car ils ne peuvent plus récolter quoi que ce soit. Ils sont également frappés par des catastrophes naturelles plus fréquentes qu'auparavant.
Le problème sur le plan économique, c'est le commerce des émissions de gaz à effet de serre. L'État a imposé des plafonds aux entreprises, mais elles s'en plaignent. De l'autre côté, les citoyens disent que ces plafonds ne sont pas assez ambitieux. L'État répond qu'il y "travaille" mais se retrouve pris entre deux injonctions contradictoires.
J'ai commencé à m'intéresser au changement climatique en 2009, après avoir assisté à une conférence de l' Unep pour les enfants consacrée à ce sujet. J'ai ensuite rencontré des militants de l'ONG de désinvestissement des énergies fossiles 350.org. Ils m'ont appris qu'en 2009, la concentration de dioxyde de carbone avait atteint 390 parties par million (ppm), et qu'il fallait absolument qu'elle redescende à 350 ppm. J'ai ensuite lancé ma propre organisation, Green Environment Youth Korea.
Je suis venue à la COY parce que tous les jeunes qui s'intéressent au changement climatique sont réunis ici. C'est passionnant d'écouter les différents point de vue. L'organisation Youngo va aussi nous permettre de définir une position commune de la jeunesse, qu'on va remettre aux négociateurs de la COP 21.
Aujourd'hui, les Coréens commencent à s'intéresser au changement climatique, surtout les jeunes. Mais il reste toujours cette vieille génération ignorante du dérèglement du climat et qui continue à prendre des décisions qui empirent le phénomène. »
Henry Samoniego Arrogo : « Il faut protéger la forêt »
Henry Samoniego Arrogo, 26 ans, Villa Rica (Pérou)
« Au Pérou, il fait de plus en plus chaud et le phénomène El Nino s'accentue. Cela affecte la production de services et de matières premières, en particulier agricoles. L'eau disponible diminue.
Jusqu'à présent, ces changements n'ont pas réellement transformé la vie dans ma communauté d'Alto Puruz, où vit mon ethnie Ashaninka. Les gens essaient de résister plutôt que de changer. Quand quelqu'un manque d'eau ou de nourriture, on partage. C'est lié au fait que, dans les communautés, la propriété n'existe pas et les règles sont différentes par rapport au reste du pays.
Ma communauté vit dans un territoire montagneux, collé à l'Amazonie. Nous nous organisons avec la région pour protéger la forêt. Quand j'étais chef de ma communauté, pendant cinq ans, nous avons élaboré un « livre des actes » établissant des règles communes de bonne conduite. Par exemple, protéger les sources pour éviter qu'elles ne soient polluées, ou planter des arbres natifs pour éviter que la forêt ne recule et que les animaux s'en aillent. Aujourd'hui, je coordonne des actions avec le gouvernement pour protéger mon peuple et son environnement. Je souhaiterais en parallèle reprendre des études pour devenir gestionnaire d'espaces naturels.
Je serai également présent à la COP 21. Je voudrais faire passer un message aux jeunes et aux négociateurs : il faut protéger la forêt. »
Source : Émilie Massemin pour Reporterre
Photos : © Éric Coquelin/Reporterre