Le Conseil d'Etat n'a pas jugé illégale l'assignation à résidence de militants écologistes au nom de l'état d'urgence, vendredi 11 décembre. Selon une avocate, « le combat juridique doit continuer ».
Pointer au commissariat trois fois par jour durant deux semaines, ne pas quitter son domicile entre 20 h et 6 h du matin, et, pour certains, se voir interdire le territoire d'ile de France, le tout sous peine de 6 mois de prison, voici en quoi consistent les assignations à résidence. Décidées sous le régime de l'état d'urgence, elles ont concerné 26 militants de différents réseaux répartis dans toute la France pour toute la durée de la COP 21. Plusieurs d'entre eux se sont tournés vers la justice, et treize référés liberté ont été déposés auprès de tribunaux administratifs.
Douze ont été rejetés par ordonnance dites « de tri », c'est à dire sans audience, pour « défaut d'urgence ». La seule personne qui a eu la possibilité de s'exprimer devant un juge a vu son recours débouté par le tribunal administratif de Melun.
Sept plaignants (deux en région parisienne et les autres en Bretagne) ont donc saisi le Conseil d'Etat (la plus haute juridiction administrative, jugeant les actes des personnes publiques), afin de mettre en question la légalité des mesures de restriction de liberté prises à leur encontre.
L'audience a eu lieu vendredi 11 décembre en début d'après-midi. Le Conseil d'Etat a décidé que les assignations à résidence « n'étaient pas manifestement illégales » ( voir communiqué de la décision).
« Nous sommes sous un régime d'exception, celui de l'état d'urgence. A ces mesures exceptionnelles, vous devez exercer un contrôle exceptionnel », a dit à la Cour Denis Garreau, avocat de la défense au Conseil d'état.
« Juridiquement, il y a bien une difficulté, qui touche à la séparation des pouvoirs », explique Muriel Ruef, avocate de l'un des assignés. Selon la procédure du Conseil d'Etat, elle ne pouvait s'exprimer directement devant cette juridiction, et a dû recourir à un avocat spécialisé auprès du Conseil, en l'occurrence M e Garreau.
« Selon la Constitution, poursuit M e Ruef, le juge judiciaire est le gardien des libertés individuelles. Or ces assignations sont des décisions exceptionnelles prises par le ministre de l'Intérieur, une personne publique, sous le seul contrôle du juge administratif. Une telle décision prise par l'exécutif en l'absence de contrôle du juge judiciaire est dangereuse pour la démocratie. La présomption d'innocence, le principe de loyauté dans la recherche de la preuve, les garanties propres au procès pénal, tout cela n'existe pas dans la juridiction administrative ».
La délimitation du champ d'application de l'assignation a résidence, a donc donné lieu à une question prioritaire de constitutionnalité, dont le Conseil d'Etat a accepté qu'elle soit transmise au Conseil Constitutionnel.
Quand aux fameuses ordonnances de tri, permettant de rejeter les recours en référé liberté contre les assignations à résidence sans audience, elles ont été jugées illégales : le Conseil d'Etat reconnait une présomption d'urgence ; cependant, tout assigné à résidence aura droit à une audience sur la base du référé liberté. Le Conseil d'Etat a également conclu que, dans le cadre de ce référé liberté, le juge administratif devait exercer un contrôle maximal « visant à vérifier si la mesure est effectivement appropriée, et si elle n'est pas excessive », mentionne Muriel Ruef.
« Voilà pour le coté positif. Par contre, sur les six dossiers de pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat a considéré que sur le fond, ces personnes représentaient bien une menace pour l'ordre public et que donc, la mesure d'assignation était justifiée. C'est une grosse déception ». D'autant que l'éventuelle menace que représentent les personnes assignées ne repose sur rien d'autre qu'une « note blanche », unique pièce au dossier.
Derrière cette appellation mystérieuse se cache une réalité prosaïque : la note blanche désigne en réalité « une simple feuille A4 émanant des services de renseignement, sur laquelle est jetée un texte non daté ni signé, avec des faits non probants et non vérifiables ». Dans le cas des assignés, les personnes y sont présentées comme ayant « participé à telle ou telle réunion ou manifestation qui montre leur activité militante, sans aucun élément de preuve ni aucune garantie procédurale ».
Si le juge administratif a validé le caractère probant de cette note, « celle-ci n'aurait pas suffi à un juge de l'ordre judiciaire », observe M e Ruef, qui émet de sérieux doutes sur la légalité de la procédure. Ces doutes n'ont visiblement pas effleuré le Conseil d'Etat, qui n'a pas remis en cause la validité des notes blanches et a admis cette pratique.
Pour Muriel Ruef, « Le combat doit continuer. On va pouvoir saisir la cour européenne des droits de l'homme. » Et de conclure : « La décision du conseil d'Etat valide le fait que le gouvernement peut donc sans souci assigner à résidence des personnes sur la prédiction d'un comportement de nature à troubler l'ordre public. On est dans une justice prédictive, c'est très inquiétant ».
« La mesure d'assignation à résidence peut-elle être appliquée pour d'autres motifs autres que la mouvance terroriste pour laquelle elle a été mise en place ? Aujourd'hui elle concerne les militants écolos, demain les étudiants agités ou les représentants syndicaux ? », s'alarme de son côté M e Garreau.
Pour Pascal Spinosi, avocat de la Ligue des droits de l'homme, qui est intervenu durant l'audience, « les services de police ont un blanc-seing de la part du gouvernement. Or, on assiste à des dérives de plus en plus régulières de la part des forces de l'ordre. On est face à une montée en puissance de l'Etat policier. L'Etat de droit ne doit pas céder devant l'état d'urgence ». Au vu des décisions du Conseil d'état qui a validé les assignations à résidence de militants politiques, ça parait pour le moins mal parti.
Source : Isabelle Rimbert pour Reporterre
Photos : © Isabelle Rimbert/Reporterre