1 - Votre vassalisation par le sacré de type économique
Vous êtes la génération de la dernière chance de la pensée européenne. L'esprit critique qui a fait du Vieux Monde le berceau de la rigueur intellectuelle moderne renaîtra ou s'effacera selon que vous aurez illustré ou trahi son génie, parce que votre colonisateur a déjà largement réussi l'exploit théologique de vous faire oublier qu'il est là, l'exploit théologique d'éteindre votre étonnement de ce qu'il soit là, l'exploit théologique de répandre l'eau bénite des idéaux de la démocratie sur votre saine stupeur, votre saine stupéfaction, votre saint ébahissement de ce qu'il soit là. Pour vaincre la servitude la plus originelle, celle qui se nourrit de ses dévotions et qui est née de l'effondrement de l'empire romain, du moins faut-il ouvrir les yeux sur les bénédictions vassalisatrice; car l'esclave n'a pas de globe oculaire pour apercevoir son propriétaire, l'esclave n'est pas tout pantois de ce que son maître soit là, la crosse à la main, l'esclave n'est pas ébahi de contempler ses chaînes, parce que les brûle-parfums de la dépendance sont ceux du sacré et parce que les effluves de la sainteté démocratique sont ceux qui montent des autels du mythe de la " Liberté ". N'oubliez pas que des centaines de millions de dévots ont vu leur tyran sous les vêtements d'un saint de la nouvelle justice du monde. On l'appelait le " petit père des peuples ". La Croix sur laquelle il était cloué était celle de sa catéchèse ; et la multitude de ses fidèles rassemblait le prolétariat du monde entier autour de sa sainte effigie.
C'est pourquoi votre regard est appelé à connaître l'histoire parallèle du monde et du cerveau humain. Si ce regard s'obscurcissait un seul instant en raison de votre oubli des sources psychobiologiques de l'asservissement de l'Europe à un empire étranger, je perdrais en vain mes forces à tenter de vous conduire sur les chemins de la lucidité politique nouvelle dont votre génération est porteuse, parce que votre époque vous appelle à haute et intelligible voix à devenir les acteurs de la renaissance proprement intellectuelle d'une civilisation menacée par de faux apôtres de la liberté et de la justice.
2 - Les chaînes de l'Europe
Posez-vous donc sans cesse une seule et même question : le chef de l'Etat que vous avez élu voit-il de ses yeux les chaînes d'une Europe dévotement vassalisée par sa piété démocratique et entend-il les faire reluire ou les briser, le chef de l'Etat que vous avez élu garde-t-il sans cesse présent à l'esprit le drame de la servitude vénératrice qui accable la civilisation de Copernic, le chef de l'Etat que vous avez élu se souvient-il chaque matin de ce que, soixante-deux ans après la fin de la dernière guerre et sous un ciel redevenu serein, l'Allemagne longtemps censée se trouver protégée d'une éventuelle invasion de l'armée soviétique se trouve toujours occupée par quatre-vingt-dix-huit gigantesques garnisons étrangères et de ce que la nation de Goethe ne lève pas le petit doigt pour les chasser de son territoire, le chef de l'Etat que vous avez élu se dit-il chaque matin que l'Italie compte une cinquantaine de bases militaires sur lesquelles le drapeau du vainqueur de 1945 flotte effrontément et que cette nation s'en accommode sans broncher, donc le plus chrétiennement du monde, le chef de l'Etat que vous avez élu se dit-il chaque matin que le port de Naples est devenu à titre définitif une enclave des Etats-Unis - on appelle cette dépossession d'une parcelle du territoire d'une nation le régime de l'exterritorialité, lequel ne concernait autrefois que les ambassades - et que personne ne s'en préoccupe le moins du monde dans la péninsule, le chef de l'Etat que vous avez élu se dit-il chaque matin que non seulement la bannière étoilée flotte à jamais sur les séquelles de l'empire romain, mais que l'armée du triomphateur d'outre-Atlantique y renforce année après année ses places fortes, ce qui n'entraîne qu'un haussement d'épaules de toute la classe politique de la Péninsule, le chef de l'Etat que vous avez élu se dit-il chaque matin que l'Espagne a beau avoir retiré ses troupes d'Irak, la nation de Cervantès n'en demeure pas moins aussi quadrillée par les légions du Nouveau Monde que la patrie de Pétrarque et de Dante, le chef de l'Etat que vous avez élu se dit-il chaque matin que la nouvelle Rome vient d'étendre sans coup férir son règne et sa puissance à la Pologne, à la République Tchèque, à la Bulgarie et au Kosovo, le chef de l'Etat, que vous vous avez élu se dit-il chaque matin que les troupes américaines installées en Bulgarie dans quatre bases - Bezmer, Graf Ignatievo, Novo Selo et Aitos - n'ont même pas à demander l'autorisation de Sophia pour intervenir dans des pays tiers, le chef de l'Etat que vous avez élu se souvient-il chaque matin de ce que la célèbre base aérienne de Bezmer compte parmi les six plus puissantes de l'empire américain, le chef de l'Etat que vous avez élu se dit-il chaque matin que le bouclier anti-missiles que l'oncle Sam installera en Pologne et en République Tchèque n'a d'autre intérêt stratégique que de rappeler à l'ex-empire des Tsars et à la Chine que l'Europe est devenue une chasse gardée de Washington et que les pseudo hommes d'Etat du Vieux Monde qui y gesticulent encore donnent dans le grotesque de la provincialisation de la politique, parce que le problème focal qui se pose à un Continent municipalisé est celui que Platon a soulevé il y a vingt-cinq siècles : comment des démocraties ridiculisées par leurs dévotions et sous-informées par leur classe dirigeante porteraient-elles de vrais hommes d'Etat au timon des affaires aussi longtemps que les peuples de la liberté n'auront pas appris à porter un regard instruit sur le monde
10 septembre 2007
perso.orange.fr