28/07/2016 mondialisation.ca  10min #115839

La Turquie n'a pas sa place au sein de l'Union européenne!

Par  Dominique Arias

« Je crois que la Turquie, dans l'état où elle se trouve, n'est pas en situation de pouvoir adhérer sous peu [à l'Union Européenne], ni d'ailleurs sur une plus longue période »,a déclaré lundi Jean-Claude Juncker cité sur France 2 etl'agence de presse Reuters. « Si la Turquie, demain matin, devait réintroduire la peine de mort, nous arrêterions immédiatement les négociations parce qu'un pays qui dispose dans son arsenal législatif de la peine de mort n'a pas sa place au sein de l'Union européenne », aurait-il ajouté selon Reuters.

Pour autant, que le pays qui dirige l'OTAN en dispose et en use régulièrement demeure tout à fait acceptable pour les membres de l'UE qui font aussi partie de l'OTAN, ne souhaitent absolument pas cesser d'en faire partie et ont reçu à ce titre pour consigne de Washington d'augmenter substantiellement leur budget militaire en 2017, afin de se rapprocher dans ce domaine de la hauteur de contribution aux frais de l'Alliance du premier producteur d'armement au monde, dont le budget défense - 661, 29 milliards de dollars en 2015, soit 1,8 milliards par jour - est supérieur à celui d'une majorité des pays de la planète mis ensembles. Les USA, en effet, ne souhaitent pas que les pays de l'UE puissent se rapprocher commercialement et diplomatiquement de la Russie aux dépends des USA et de l'OTAN, et souhaitent donc continuer leur cycle de provocations et d'opérations de déstabilisation à l'encontre de la Russie en faisant pression sur l'Europe : plus de troupes de l'OTAN aux frontières de la Russie, davantage de missiles et de dispositifs polyvalents (défense/offensive), poursuite et élargissement des sanctions antirusses, etc. On ne les agresse pas, on leur demande seulement d'accepter de vivre avec en permanence un pistolet sur la tempe. Mais c'est pas un problème, c'est des Russes !

La dépêche de l'Agence Reuters et les déclarations offusquées de Jean-Claude Juncker, tombent comme un cheveu dans la soupe au beau milieu d'un chassé-croisé de polémiques sur les violations du droit international et les crimes de guerre commis récemment par la France en Syrie et en Lybie, deux pays où l'intervention des forces françaises viole totalement le droit international, provoque la colère des autorités et des populations, et laisse sérieusement planer le doute sur les objectifs réels de la France et de ses militaires au Proche-Orient.

Concernant les dernières « frappes chirurgicales » (sans anesthésie) de l'aviation française en Syrie, l'agence de presse syrienne SANA rapporte que le ministère syrien des Affaires étrangères a demandé mardi à l'ONU la condamnation officielle des frappes aériennes françaises, qui ont pris pour cible un village du nord de la Syrie et tué 120 civils. Le ministère a indiqué que les chasseurs bombardiers français intégrant la coalition anti-terroriste dirigée par les Etats-Unis, ont commis mardi matin, contre les civils, « un massacre sanglant » en bombardant le village de Tukhan al-Kubra, au nord de la ville de Manbej, dans la province d'Alep. Des familles entières ont perdu la vie dans les « bombardements intenses » des forces aériennes françaises, a précisé le ministère dans un communiqué adressé à l'ONU et à des organisations affiliées. "L'agression française a tué 120 civils, dont la plupart étaient des enfants, des femmes et des personnes âgées", précise le communiqué, qui ajoute que le sort de dizaines d'autres civils restait encore inconnu.

Le ministère syrien a par ailleurs rappelé dans son communiqué que les frappes aériennes conduites par les Etats-Unis et leur coalition en Syrie étaient illégales, accusant la coalition de prendre pour cible « des civils innocents et des infrastructures au lieu des groupes terroristes ». Outre que des opérations militaires d'un pays ne peuvent être menées dans un autre pays qu'à la demande des autorités légales de ce dernier et jamais sans leur aval, le communiqué précise que « ceux qui souhaitent combattre les terroristes doivent coordonner leur action avec le gouvernement syrien ». Il dénonce aussi comme « honteuses et inacceptables » les affirmations des pays occidentaux selon lesquelles il existerait en Syrie une opposition modérée. En atteste d'ailleurs le dernier scandale sur la décapitation au couteau d'un enfant de 15 ans par l'un des groupes de terroristes « modérés » soutenus et armés par Washington. « Les Etats-Unis, le Qatar, la France, l'Arabie saoudite et le Royaume-Uni continuent à soutenir les groupes terroristes en Syrie, ce qui est un signe clair de la connivence de ces pays avec le terrorisme », a déclaré le ministère.

En Libye ce sont des manifestations et des émeutes qui ont secoué récemment la plupart des plus grandes villes du pays, la population dénonçant avec véhémence la présence sur le sol libyen des Forces Spéciales Françaises, suite à la mort « en service commandé » de trois de leurs membres dans un accident d'hélicoptère à l'est de Benghazi, annoncée officiellement mercredi 20 juillet par les autorités françaises. En référence à la présence notoire d'unités des Forces Spéciales américaines, britanniques et françaises, le Gouvernement libyen d'entente nationale (GNA), installé par les Nations Unies et conduit par Fayez Sarraj, a dénoncé avec virulence la présence de militaires étrangers sur le sol libyen (explicitement refusée à de nombreuses reprises par les différentes autorités libyennes) comme « une violation du territoire national ».

Cet évènement contraint pour la première fois la France à reconnaître officiellement la présence illicite de ses militaires sur le sol libyen, et à la justifier - éclaboussant au passage un gouvernement français qui n'en est plus vraiment à ça près mais n'en avait guère besoin. Jusqu'ici Paris s'était contenté d'éluder le sujet en invoquant le « Secret Défense », et de prétendre que son aviation survolait seulement la Libye pour « collecter du renseignement » sur les positions de l'État islamique (EI). En février dernier, le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, feignant lui aussi l'indignation, avait exigé une enquête pour « compromission du secret-défense » suite à la parution dans Le Monde d'un article sur la présence en Libye d'unités des Services secrets et des Forces Spéciales françaises. A la même période, la presse internationale publiait déjà des dizaines d'articles sur les opérations secrètes d'unités des Forces Spéciales américaines et britanniques en Libye, et notamment dans le Sud, réputé resté très attaché au souvenir de Kadhafi, père et leader de l'indépendance libyenne.

Couvrant obséquieusement les activités illicites et autres fiascos militaires de leur gouvernement, les médias français dénoncent depuis une « campagne anti-française » encouragée par le GNA, et un « appel à boycotter les entreprises françaises », lancé par des manifestants à Tripoli. Pour mieux délégitimer la réaction des manifestants on y présente leur mouvement comme naturellement instigué par le Grand Mufti de Libye, par le « Conseil de la choura des révolutionnaires », à Benghazi - pour donner une crédibilité plus « couleur locale » à leur dénigrement - une « coalition hétéroclite de milices, dont certaines islamistes, [qui aurait] appelé les Libyens à se mobiliser pour "expulser" les militaires étrangers, notamment français, en évoquant une "invasion des croisés" », ou plus explicitement par les leaders islamistes, comme Mokhtar Belmokhtar - ancien « Mujahidine » d'Afghanistan, puis du GIA, puis du GSPC, puis membre fondateur de l'AQMI, chef plusieurs fois ressuscité d'une faction d'Al-Qaïda notoirement liée à la CIA, d'aborden Algérie, puis en Libye, puis affilié à l'EI en Syrie, puis à nouveau leader d'une faction d'Al-Qaïda en Libye, etc.

Dénonçant l'ingratitude et le peu de fiabilité des Libyens, les chaînes de télévision les montrent brûlant et piétinant des drapeaux français (des images qui peuvent tout à fait avoir été tournées en 2011, 2012, 2013, 2014 ou 2015) et insistent que sous la présidence de Sarkozy, les Libyens avaient pourtant accueilli les forces de l'OTAN en agitant avec ferveur des drapeaux français dans les rues de Tripoli. En réalité, la grande majorité des libyens s'était à l'époque désespérément opposée à l'agression illégale de leur pays par les trois principaux pays de l'Alliance Atlantique (membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies), et aux milices islamistes alliées de l'OTAN et qui allaient plonger la Libye dans un chaos épouvantable pendant les cinq années suivantes - exactement comme l'avait annoncé Kadhafi à la veille de son exécution extrajudiciaire.

Cherchant toutes les excuses possibles, représentants des médias et des autorités françaises éludent unanimement la haine de la France de l'Angleterre et des USA qui a suivi en Libye le renversement et l'assassinat télévisé de Kadhafi, et l'anéantissement intégral du système égalitariste de répartition des richesses qu'il avait mis en place et qui faisait de la Libye le pays le plus prospère de toute l'Afrique. Les médias français ont beau insinuer que seuls les islamistes demandent le retrait des forces françaises, sur le terrain, pour la grande majorité des libyens les plus anti-islamistes qui soit, ce sont bien la France, l'Angleterre et les USA qui ont délibérément mis au pouvoir les factions islamistes qui étaient leurs alliés pour renverser Kadhafi - sur de fausses accusations de génocide. Ces trois pays sont à leurs yeux totalement responsables du chaos qui règne depuis en Libye, ainsi que du pillage et de l'effondrement économique du pays, toutes conséquences incluses. Et si leurs Forces Spéciales sont actuellement illégalement présentes et actives sur le sol libyen, ce n'est certainement pas pour renverser ceux qu'ils ont mis au pouvoir en 2011 (y compris ceux qui dans l'intervalle, en Syrie, en Irak et en Libye, sont devenus Daesh), et dont la très grande majorité des Libyens souhaiterait être définitivement débarrassés. C'est ça le « double jeu » que dénoncent les Libyens !

Mais toutes ces violations patentes du droit international et de la Charte des Nations Unies sous la houlette d'un pays membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies qui n'a jamais aboli ni cessé de pratiquer la peine de mort, la torture, les assassinats politiques, les coups d'Etats et les opérations létales de déstabilisation militairo-économiques, sont finalement bien peu de choses aux yeux des grandes nations européennes et de leurs représentants. Qu'importe le nombre des victimes ou toute l'horreur des conséquences, tout ça n'a rien de grave. C'est pas chez nous que ça se passe et nous ne pouvons pas avoir tort.

Mais que la Turquie rétablisse la peine de mort alors qu'elle prétend devenir membre de l'Union Européenne, mon Dieu quelle horreur !

Mais c'est inconcevable !

Dominique Arias

Habituellement traducteur d'ouvrages et d'articles pour les sites Mondialisation.ca et Investigaction, Dominique Arias est aussi occasionnellement l'auteur d'articles résumant différents éclairages sur le traitement des événements et conflits internationaux dans les médias occidentaux.

La source originale de cet article est Mondialisation.ca

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