23/04/2017 lesmoutonsenrages.fr  6 min #127896

Au Salon du livre anarchiste, la présidentielle n'intéresse personne...

L'Anarchie, ce mot galvaudé par ceux qu'elle effraye car, dans leur esprit elle est synonyme de chaos. Là où personne ne commande, nul besoin d'obéir. Pour en savoir un peu plus sur la doctrine anarchiste, visitez le salon, achetez des livres, vous y apprendrez beaucoup de choses.

L'esprit anarchiste pourrait se résumer par cette phrase d'Elisée Reclus : « Voter est abdiquer. » ((Daniella Urdinlaiz - lookcatalog.com/FlickR/CC))

Les éditeurs de la mouvance libertaire se réunissent à Paris pendant le week-end du premier tour.

Ce week-end, à l'espace des Blancs-Manteaux, à Paris, s'ouvre la 8ème édition du Salon du Livre Libertaire. Cette fête de l'esprit est organisée par la librairie parisienne Publico.

Pendant ces deux jours, quelque 80 éditeurs plus ou moins affiliés à la mouvance anarchiste sont là: Libertalia, qui a republié l'œuvre engagée de Jack London (1), l'Echappée ou Les Editions libertaires, maison en prise constante avec l'actualité sociale. Sans oublier Le Chien rouge, L'Altiplano, Ab Irato, Spartacus, Chant d'orties, Courant alternatif, Le Fondeur de briques, La Nef des fous, les Editions de l'usine, Place d'arme.

Par hasard, ce rassemblement survient peu après la diffusion par Arte de «Ni dieu ni maître, une histoire de l'anarchisme», documentaire de Tancrède Ramonet, dont le succès d'audience prouve qu'au delà de l'effroi que le mot «anarchiste» provoque chez certains, chacun sait bien, au fond, que les esprits les plus enragés sont pour beaucoup dans 150 ans d'avancées sociales.

Que le Salon s'ouvre le week-end du premier tour des élections est fortuit. Quelques uns veulent y voir la marque de la défiance fondatrice des libertaires à l'égard du vote, selon un positionnement continûment réaffirmé au fil des ans. Deux raisons à cela. D'une part, l'opposition à la délégation de pouvoir, cette supercherie ainsi résumable: «Donnez vos voix, fermez vos gueules». D'autre part, le fait que les élus ne sont ni révocables ni redevables de leurs engagements - du moins pour l'instant.

« On sait que certains votent »

On peut tout de même imaginer que le rejet des urnes par ces réfractaires évolue à l'occasion de cette élection très particulière. L'essor du Front National va-t-il bousculer l'habitus libertaire? «Dans l'histoire récente, certains membres du mouvement ont voté, notamment Chirac contre Le Pen, nous dit, depuis Lausanne, Marianne Enckell, du CIRA (Centre de recherche anarchiste). Mais je crois que les votantes et votants s'en sont un peu mordus les doigts ensuite.»

En 2005 aussi, à l'occasion du référendum sur la Constitution européenne, on a vu des anarchistes dans l'isoloir, pressés de dire non aux éditorialistes en campagne pour le Oui. Mais chacun était porté par un choix individuel. L'idée de consigne est un contresens chez les anarchistes. C'est ce que nous a expliqué Frédéric Siméon, représentant syndical, au fond de l'impasse fleurie et forcément pavée qui abrite la Confédération Nationale du Travail (CNT) dans le 20e arrondissement parisien.

Ce «syndicat de combat» a pour emblème un chat noir électrisé, lequel a une fois de plus servi de figure protestataire lors de la campagne d'affichage contre la loi El Khomri. «On ne donne pas de consigne de vote même si on sait que certains votent, dit-il. Mais il n'y a rien à attendre, quel que soit le candidat élu. A moins que les gens prennent les choses en main dès le lendemain de l'élection. Tant qu'on courbera l'échine, on n'obtiendra rien. Rien ne viendra jamais d'en haut.»

« Voter est abdiquer »

Avec son petit nombre de militants (autour de 4000), la Confédération Nationale du Travail, créée en 1946 par des syndicalistes espagnols et des idéalistes français formés sous la Résistance, continue de diffuser sa philosophie anarcho-syndicaliste et son rêve d'autogestion pour tous, tout en instruisant les nouvelles générations sur l'histoire longue de la grève générale, ses vertus, son bilan. (Les éditions de la CNT seront bien sûr présentes au Salon.)

Fréderic Siméon rappelle que sans le peuple et les blocages d'usine, Léon Blum ne serait pas ce superhéros de l'épopée sociale. Que ce sont bien les gens, avec leur couchage sous les chaînes de montage et leur joie révolutionnaire, qui ont conduit aux accords de Grenelle. Il ne dit pas que les patrons suppliaient Blum pour que les gars retournent vite à l'usine. Mais pas loin. On trouvera cette histoire sur le stand des éditions Agone dans l'ouvrage de Daniel Guérin, «Front populaire, révolution manquée». (Manquée car le mouvement ouvrier avait la main et tout s'est arrêté subitement.)

Aussi on ne s'étonnera pas de croiser au Salon quelques abstentionnistes fameux, ayant par le passé porté publiquement leurs arguments. Les écrits d'Elisée Reclus, géographe et communard, sont sur le stand du Sextant, chez Tops H. Trinquier, chez Noir et Rouge. En 1885, il écrivit ceci à son ami Jean Grave:

« Voter est abdiquer ; nommer un ou plusieurs maîtres pour une période courte ou longue, c'est renoncer à sa propre souveraineté. Qu'il devienne monarque absolu, prince constitutionnel, ou simplement mandataire, même d'une petite part de royauté, le candidat que vous portez au trône sera votre supérieur. Vous nommez des hommes qui seront au dessus des lois puisqu'ils se chargent de les rédiger et que leur mission est de vous faire obéir». (Le texte intégral est  ici.)

« Votez Nul »

Il y a du beau monde dans les allées. Octave Mirbeau, auteur de «Grève des électeurs», paru en 1888 dans «le Figaro» et devenu une rengaine anarchiste; ou Albert Libertad, empoissonné à l'Anthrax l'hiver 1908 à l'hôpital Lariboisère.

« Libertad est l'auteur d'un placard intitulé ''Le criminel c'est l'électeur''. Criminel au sens où il participe au système qui va l'opprimer», explique Charles Jaquier, collaborateur du «Maitron», le dictionnaire biographique du mouvement ouvrier.

Cet historien spécialiste de la grève générale dit regretter beaucoup «la flamboyance et le panache des proclamations anti-électorales» d'antan, et l'esprit carnavalesque de quelques contestataires. Comme celui de Zo d'Axa, qui aux élections législatives de 1898 avait présenté un âne, prénommé Nul. «Votez Nul»: beau slogan.

Anne Crignon pour  BibliObs

«Le Talon de fer», « Grève générale» ou «Le Mexicain», en librairie.

2. On peut lire par exemple «la Condition ouvrière», Simone Weil, Gallimard, 1951.

Salon du livre libertaire de la Fédération anarchiste, samedi 22 (11h-20h) et dimanche 23 avril (11h-16h), à l'Espace des Blancs-Manteaux (8, rue Vieille du Temple, Paris 4e). Radio libertaire, «sans dieu, sans maitre et sans publicité», sera sur place pendant les deux jours. Le programme complet est  .

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