Le premier tour de l'élection présidentielle voit Emmanuel Macron et Marine Le Pen arriver au duel final. La gauche a échoué : Jean-Luc Mélenchon ne parvient pas au second tour, ni même à passer François Fillon, tandis que le socialiste Benoît Hamon, allié à EELV, s'effondre. Mais le mouvement de la France insoumise a créé une nouvelle dynamique écologique à gauche.
Les résultats selon le ministère de l'Intérieur
- Emmanuel Macron : 23,86 % des sufffrages exprimés
- Marine Le Pen : 21,43 %
- François Fillon : 19,94 %
- Jean-Luc Mélenchon : 19,62 %
- Benoît Hamon : 6,35 %.
Source : ministère de l'Intérieur
LA DÉCEPTION DE LA FRANCE INSOUMISE
La France insoumise a établi son quartier général de la soirée électorale dans une grande auberge de jeunesse située près de la gare du Nord. Plusieurs centaines de personnes sont rassemblées dans la rue, derrière des grilles. À l'intérieur, c'est un bruissement continu alors que l'on attend les résultats. Les caméras sont installées, les militants qui ont pu rentrer discutent anxieusement, les journalistes interrogent ici et là ou regardent les écrans télés disposés en hauteur. Jean-Luc Mélenchon est arrivé à 19 h 25, et s'est engouffré dans une pièce au sous-sol, pour analyser avec ses proches les résultats et préparer sa réaction.
Dans une petite salle, des membres de l'équipe de campagne analysent sur ordinateur les résultats qui remontent d'une série de bureaux de vote tests, afin d'avoir des estimations indépendantes des instituts de sondage. « C'est très serré entre les quatre candidats », lâche un analyste à 19 h 45.
À 20 h, les estimations des résultats apparaissent à la télévision : Le Pen et Macron à 23 %, Fillon et Mélenchon à 19 %, Hamon à 7 %. Peu de cris, peu de réactions bruyantes : tout le monde est déçu. Ils espéraient que le miracle se produirait, que Mélenchon serait au second tour. Mais non, il n'y a pas de miracle. « On est abasourdi, dit Hugo, de l'équipe de campagne, on a fait une belle campagne, on est déçu. » Anil, d'un groupe d'appui de Drancy, en Seine-Saint-Denis, est plus positif : « Je suis déçu. On voyait une forte dynamique. Mais 19 %, c'est pas mal pour la gauche radicale, c'est le début de quelque chose. » Christophe, de l'équipe de campagne, est en colère : « On a proposé la révolution pacifique, ils n'en ont pas voulu. On n'a plus le choix, on ne va pas les laisser tout détruire. »
Pour Corinne Morel Darleux, élue en région Rhône-Alpes-Auvergne, « bien sûr, il y a de la déception, mais elle est mêlée de fierté, pour tout le chemin qu'on a parcouru depuis 2008, une fierté qui l'emportera. Quoi qu'il arrive, les gens ont entendu des idées qu'ils n'avaient jamais entendues. Les graines d'insoumis qu'on a semées, et tous les mouvements tels qu'Alternatiba, feront qu'il y aura un contre-pouvoir en France ».
Martine Billard, porte-parole pour l'écologie de la France insoumise, juge aussi que la campagne « a été une très grande réussite politique, une superbe campagne : il y a eu beaucoup de jeunes, et de gens qui n'avaient jamais participé avant. Et puis ni l'UMP ni le PS ne sont au second tour : le bipartisme est mort. »
À mesure que la soirée avance et confirme le duel Macron-Le Pen, la question du vote au deuxième tour se pose avec acuité : s'abstenir ou voter Macron pour être certain d'empêcher Le Pen d'accéder au pouvoir ? Dans la rue, Ahmed, qui attend derrière une barrière et est venu de Villetaneuse (Seine-Saint-Denis), n'hésite pas : « Je vais voter blanc au deuxième tour. Qu'ils se démerdent entre eux. On verra qui gagnera, mais sans moi. » Laurence, venue de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), hésite : « Je suis bien embêtée. Macron, ce sera cinq ans de hollandisme. Mais Le Pen, ce qu'elle dit sur les immigrés, sur le racisme, ça ne va pas. » Dans la salle, Anil hésite aussi : « Voter Macron, ce n'est pas automatique. J'avais voté Hollande, je le regrette toujours. » Son camarade Gokhan réagit : « Quand même, je préfère un candidat qui est de l'oligarchie à quelqu'un qui fait une politique de différence raciale. Il faut se dire que les 20 % de Mélenchon seront dans la rue pour tirer à gauche le programme de Macron. »
En tout cas, Jean-Luc Mélenchon ne donne pas la clé. « Je n'ai pas reçu mandat des 450.000 personnes qui ont décidé de présenter ma candidature pour m'exprimer à leur place, déclare-t-il à 22 h, alors que les résultats définitifs sont quasiment certains. Elles seront donc appelées à se prononcer sur la plateforme [jlm2017.fr], et le résultat de leur expression sera rendu public. »
Et puis, l'on commence à réfléchir au « troisième tour », aux législatives. « On va mener le combat pour les législatives, dit Hugo, c'est presque aussi important que les présidentielles. » « On va jouer la belle », confirme Corinne Morel Darleux. La France insoumise a 500 candidats qui se préparent : « Ils seront à l'image du pays, dit Martine Billard, avec la parité hommes-femmes, des jeunes, des ouvriers. »
CHEZ HAMON, LE SENTIMENT AMER DE LA DÉFAITE
19 h 30. À la Mutualité, dans le 5 e arrondissement de Paris, les cœurs tentent encore de battre un peu pour Benoît Hamon. Quelques jeunes militants scandent « Hamon, président ! ». Mais les militants comme les journalistes ne se disputent pas les places au premier rang. On sait que ce n'est pas ici que la soirée électorale va se jouer.
20 h 00. Les visages d'Emmanuel Macron et de Marine Le Pen apparaissent sur les écrans. Puis le score de Benoît Hamon, d'à peine 6 %. Les visages se ferment. Certains se prennent la tête dans les mains. « C'était attendu », admet Sarah, un drapeau européen à la main. « Mais c'est un épiphénomène, la défaite de ce soir. Tout est encore à construire », espère-t-elle.
Benoît Hamon arrive déjà à la tribune. L'allocution est courte. Les mots choisis. « J'ai échoué à déjouer le désastre qui s'annonçait depuis plusieurs mois », commence-t-il. Sans ambiguïté, il appelle à voter Macron. « Ce n'est pas seulement une lourde défaite électorale. C'est une défaite morale pour la gauche. Assez de cette folie autodestructrice », poursuit-il, avant d'ajouter : « La gauche n'est pas morte. Je sais que vous n'attendez pas des recompositions de vieux appareils. »
20 h 30. Alors que la salle se vide, les réactions suivent. « C'est une défaite cuisante, admet Barbara Romagnan, députée PS du Doubs. Pourtant, cela fait 25 ans que je suis au PS et je n'ai jamais été aussi heureuse de faire une campagne. Je pense que le discrédit du quinquennat de Hollande que l'on est obligé de porter, les trahisons de responsables du PS, et la peur de beaucoup de nos concitoyens de se retrouver avec Marine Le Pen, les a tirés vers Macron, puis Mélenchon, expliquent le résultat. Je ne crois pas que le score de Benoît Hamon reflète l'adhésion à ses idées. »
De son côté, Gérard Filoche, ex-candidat à la primaire de la gauche, estime que « Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon sont les deux dirigeants les plus bêtes de la gauche du monde. Parce qu'ils n'ont pas su se mettre d'accord et donc, maintenant, ils sont rien plus rien. Or la gauche c'est une somme, il n'y a pas besoin de chef, d'estrade. La gauche, ce sont les militants, les associations, les syndicats, les partis, c'est l'unité. »
David Cormand : « La France est le seul endroit au monde où la gauche met l'écologie au coeur de son programme ».
Emmanuel Macron au second tour. « Nous n'avons aucun regret de nous être alliés avec Benoît Hamon, ce n'était pas un calcul tactique électoral », assume David Cormand, secrétaire national d'Europe Écologie-Les Verts. Il voit dans ce résultat « une recomposition du paysage électoral, avec une droite extrême vers laquelle François Fillon a beaucoup dérapé pendant sa campagne, au milieu un camp politique de l'accompagnement du système avec le PS hollandais, le centre et l'aile gauche de la droite qui se sont retrouvés autour de Macron. Puis, une offre de transformation de la société avec Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon. Ce qui est intéressant, c'est que la France est le seul endroit au monde où la gauche met l'écologie au cœur de son projet. Ce n'est pas le cas pour Podemos ou Siriza. »
Alors, dans ce paysage, on lui demande quelle place il voit pour le PS ou EELV. « L'autre enseignement de cette élection, c'est la disparition des partis », affirme-t-il, plaidant pour une nouvelle offre politique regroupée « autour de l'écologie. »
Pour les législatives, le maître mot est l'appel à l'unité à gauche entre ce qui reste du PS, EELV et les Insoumis. « Il faut travailler à des programmes communs, constituer un groupe parlementaire de gauche pour faire opposition à Macron », estime Gérard Filoche. « Il ne faut pas refaire la même bêtise aux législatives que pour la présidentielle », approuve Julien Bayou, porte-parole d'EELV. « On va espérer que Macron batte Le Pen, et la question est dès lors d'organiser un contre-pouvoir. Il faut qu'on se retrouve sur un projet commun. Je souhaiterais que l'on expérimente un label qui rassemble tous les candidats qui placent l'écologie au cœur de leur projet. »
DANIEL COHN-BENDIT : « UN CHOIX DE CIVILISATION »
Joint au téléphone, Daniel Cohn-Bendit, qui a appelé depuis plusieurs semaines à choisir Emmanuel Macron dès le premier tour, estime que le choix entre le candidat d'En Marche et Marine Le Pen est un « choix de civilisation, entre une société ouverte et une société fermée ». Le quinquennat de Macron « ne sera pas la continuation de celui de François Hollande. Macron n'aura pas de majorité parlementaire, donc il discutera avec les uns et les autres. C'est la fin du bipartisme, la venue d'une culture du compromis, à l'allemande ».
Selon lui, « Hamon et Jadot peuvent créer un parti, celui de la social-écologie ». Mais il observe que « Hamon a manqué de culot : il aurait dû briser avec le PS dès sa victoire à la primaire. Mélenchon et Macron ont eu, eux, le culot de rompre et de créer des mouvements ».
« C'est le début d'une nouvelle manière de faire la politique en France », se réjouit de son côté Matthieu Orphelin, fervent soutien d'Emmanuel Macron, et ex-porte-parole de la Fondation Nicolas Hulot. « Et l'écologie est au cœur de ce renouveau politique, au cœur du projet d'Emmanuel Macron », assure-t-il. Après avoir été « portée au premier tour par trois candidats Mélenchon, Hamon et Macron, elle sera au second tour ».
Quid des législatives ? « Les candidats seront annoncés d'ici quelques jours, pendant l'entre-deux tours », assure Matthieu Orphelin. Lui-même sera candidat d'En Marche dans la 1 re circonscription du Maine-et-Loire, à Angers. « Emmanuel Macron a été très clair, il y aura 50 % de candidats issus de la société civile, et une parité absolue hommes-femmes. Cela va correspondre à un vrai renouvellement d'un monde politique qui tournait trop sur lui-même. »
À HÉNIN-BEAUMON, LE FN FAIT LA FÊTE, MAIS LA VILLE EST DÉSERTE
Si Marine Le Pen n'arrive qu'en deuxième position, derrière Emmanuel Macron, elle récolte tout de même 21,9 % des voix, et fait ainsi mieux que son père qui, en 2002, s'était qualifié pour le second tour avec 16,86 % des voix. La présidente du Front national a qualifié ce résultat d'« historique », depuis Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais). Elle a choisi cette ville tenue par le FN depuis les dernières élections pour célébrer cette soirée électorale.
Loin de cette ambiance triomphante, Marine Tondelier, élue EELV de l'opposition, décrit à Reporterre des rues « désertes ». « Des centaines de journalistes ont été accrédités et sont installés dans une grande salle louée par le FN avec quelques militants triés sur le volet, raconte-t-elle. Mais au bureau de vote centralisateur, on est à peine une vingtaine, alors qu'avant, c'était un endroit représentatif de la ville, où beaucoup de gens se réunissaient. On discutait, même si on n'était pas d'accord. Maintenant, la nouvelle municipalité a déplacé le bureau centralisateur dans un quartier excentré et extrêmement FN. Cela casse le lien social. »
Source : Marie Astier (chez Benoît Hamon) et Hervé Kempf (chez La France insoumise).
Photos : © Reporterre