03/12/2007  11min #12989

X - Le naufrage intellectuel du parti socialiste

1 - Le rôle d'acteur de l'histoire

Dans une lettre précédente, j'évoquais l'équilibre entre le réalisme et la vision de l'avenir que requiert le génie politique et je vous conviais à réfléchir au tour d'esprit et au tempérament des grands chefs d'Etat. Aujourd'hui, l'effondrement de la raison et de l'action du parti socialiste m'incite à vous entretenir de la conjonction entre le rôle de la pensée et celui de la parole d'un guide éclairé. Pour cela, vous devez apprendre à observer les relations intimes que la personnalité d'un haut dirigeant doit entretenir avec la lucidité, la cohérence et l'éloquence de son discours.

Vous avez tous remarqué les gestes mécaniques de Ségolène Royal, vous l'avez tous vue élever et abaisser les bras à la manière d'une poupée à ressorts. Cette inadaptation de la vie du corps à la vie de la parole face à l'attente d'une foule vibrante doit vous rappeler que l'auditoire accouche de l'orateur, comme disait Bossuet, en ce sens qu'un public en transe fait de son interprète son instrument de musique. L'homme d'Etat est un médium de la nation, le prêtre en chaire, un médium de la foi des fidèles. Tous deux s'identifient à l'acteur - l'un du ciel, l'autre de la terre - que la foule des croyants ou celle des citoyens veut devenir à elle-même, tous deux montent sur la scène de l'histoire afin d'y faire entendre la voix de l'idole ou celle de la nation.

Le mythe chrétien de l'incarnation de la parole a fait de " Dieu " un personnage de théâtre, un homme de son verbe, un acteur sur la scène du monde. S'il n'habite pas la mission que son public veut voir s'incarner sous ses yeux, il n'est pas taillé pour monter sur les planches de l'histoire et seule l'arène d'une circonscription électorale lui tend les pièges de son cirque comme le prophète, l'homme d'Etat n'est pas de son village: l'appel qui le possède est celui que son époque tout entière lui adresse. L'élu d'un parti n'est que la caisse de résonance de la municipalité qui l'écoute, l'autre est l'orchestrateur de son siècle. Quel est le message tout autre que celui des démagogues avides des suffrages de la rue qu'un chef d'Etat a vocation de communiquer à la postérité?

2 - Le chef d'Etat et la raison prophétique

L'effondrement cérébral et politique du parti socialiste illustre à merveille les carences psycho-somatiques de ses dirigeants, mais également le lien serré qui rattache le cerveau des vrais chefs d'Etat à l'élévation de leur âme. Seule une hauteur intérieure peut donner son inspiration surréelle à la politique des nations. Dans les périodes de crise qui affolent non seulement le corps des peuples, mais le pilotage et la navigation de leur tête, la politique se révèle viscéralement conjointe à la réflexion des philosophes sur la gouvernance des civilisations. Cette loi s'est vérifiée de Platon à Kant et d'Aristote à Descartes. C'est qu'il est impossible à un chef d'Etat digne de ce nom de comprendre le destin des nations, et d'abord de la sienne, s'il n'a pas de philosophie des dérangements de la boussole de l'humanité; et pour cela, il faut que sa réflexion politique pèse le cerveau de son temps.

La preuve en est que les grands tournants de l'histoire appellent une refondation de la politique par une parole altière et civilisatrice. Prenez le célèbre discours de Bayeux du Général de Gaulle qu'un Edouard Herriot commentait en ces termes: " Il n'a rien à dire, mais il le dit bien ". C'est que la médiocrité démocratique ignore le cordon ombilical qui relie l'action politique à l'altitude de la pensée et la raison sommitale à l'intelligence visionnaire. Il s'agissait de planter " l'arbre de la liberté " de 1789 sur un terreau plus ferme, afin de tenter de lutter contre un pouvoir législatif devenu la proie des notables de province et qui livrait le suffrage universel à la ruine. Mais comment initier la France de l'époque à l'ouverture d'esprit à laquelle l'entrée de la planète dans l'âge intercontinental de l'histoire appelait des élites issues des cornues municipales?

Il y fallait une révolution née des profondeurs de la civilisation européenne, donc du souffle même de son âme et de son esprit. Qu'était-ce que le mythe de l'égalité, qu'était-ce que l'homme universel de 1789 sans un changement radical du statut de la femme ?. Le Général de Gaulle n'a pas seulement donné le droit de vote et la libre disposition des revenus de son travail au " sexe faible " - les salaires féminins ne pouvaient être perçus jusqu'alors que par les maris : il a fait entrer Eve dans les grandes écoles. Un pays qui a pris le chemin de former ses élites masculines et féminines à l'école des hautes mathématiques a donné rendez-vous, avec un demi siècle d'avance, à la révolution intellectuelle qui conditionne, en réalité, l'enfantement actuel de la citoyenneté transmunicipale sans laquelle l'Europe n'aura pas d'avenir politique mondial.

Depuis lors, le problème politique central de la France et de l'Europe n'est autre que la difficulté d'élever la conscience civique des électeurs au degré de maturité qui permettrait aux deux sexes de radiographier l'expansion militaire et territoriale d'un empire démocratique messianisé et dont la stratégie apostolique lui permet d'armer son vocabulaire politique du fer de lance de ses idéalités pseudo évangéliques. Mais pour cela, il faut une révolution des sciences humaines capable d'armer l'intelligence de l'homme d'Etat d'une vision anthropologique du cerveau de l'humanité.

3 - Le parti socialiste et le nationalisme

La conversion encore embryonnaire et décérébrée de la conscience politique du parti socialiste à la légitimation, donc à la réhabilitation de la nation illustre à merveille la conjonction qui s'établit toujours et nécessairement entre la réflexion philosophique - devenue le scanner d'une anthropologie - et l'approfondissement de la connaissance du politique proprement dit. Regardez-moi ce parti tituber comme un enfant en bas âge sur le chemin de l'histoire du monde, écoutez-le vagir au berceau, faute de spéléologie en mesure d'observer l'alliance entre le nationalisme et le socialisme ! Ce bébé de la politique n'a pas encore compris que ces deux instances sont appelées à se confondre à l'heure où la logique implacable qui commande la mondialisation de l'économie conduit la planète à un effondrement de l'autonomie des nations. Si l'idéologie socialiste interdit aux patries d'endosser à la fois l'armure du social et celle des nations, la gauche périra pour n'avoir pas découvert l'Etat.

Car armer la nation, ce n'est pas bâtir dans les nues un Etat socialiste solitaire et superbe, mais s'interroger sur l'avenir nécessairement commun du socialisme et d'une vraie science des Etats. La planète a vu le socialisme sombrer dans l'alliance de l'utopie avec la torture, la planète a vu le capitalisme retourner au règne des grands fauves. Le socialisme théorisé est manichéen et inquisitorial ; il reproduit le modèle des Eglises, avec leur scission doctrinale du monde entre le Bien et le Mal. Quant au capitalisme sauvage, il construit la geôle universelle de la pauvreté au profit de quelques gigantesques prédateurs. Pour comprendre l'oscillation du simianthrope entre le messianisme idéaliste et la jungle, il faut une politologie articulée avec une anthropologie devenue critique, donc en mesure de radiographier un primate livré à la postérité de Darwin. Le parti socialiste demeure aussi éloigné de cette problématique que l'étoile Sirius de la terre.

Pour l'instant, la philosophie socialiste de l'Etat est celle d'un secouriste hexagonal qui remplacerait une Providence devenue impuissante par l'administration anonyme de la charité publique bureaucratisée et qui ferait, de la souveraineté nationale, le chef invisible et abstrait des paroisses de la liberté française. Hélas, la géopolitique ne ressortit pas à une pastorale même démocratique et républicaine. La question posée est de savoir comment une France et une Europe militairement dénudées résisteront aux légions armées des deux glaives de la mondialisation économique et des canons de l'OTAN. On n'a jamais vu des peuples placés statutairement, donc par leur constitution même sous le commandement des armées de l'étranger retrouver par des incantations à la fois pacifistes et socialistes une souveraineté capable de reconquérir tout ensemble leur indépendance économique et leur puissance politique.

4 - La bâtardise philosophique du parti socialiste

Mais à quel point - et notamment dans les périodes de crise - les révolutions mondiales de l'esprit politique en appellent à la parole fondatrice des chefs d'Etat visionnaires, rien ne l'illustre davantage, mais a contrario, que l'incapacité dans laquelle Ségolène Royal s'est trouvée de transformer sa défaite électorale en un tremplin de la victoire philosophique et politique du parti socialiste. Jeunes gens, conseillez-lui de lire Machiavel et Talleyrand ; sinon vous la verrez avec les amulettes et les chapelets de Karl Marx dans les mains.

Le moment était pourtant favorable pour engager le parti de Jaurès dans une réflexion de fond sur le nationalisme. Faut-il rappeler que depuis dix ans, M. Hubert Védrine avait compris que jamais une Europe fédérale ne serait une Europe politique, pour le motif de bon sens qu'il sera bien impossible d'entraîner la Suède, le Danemark, la Finlande, la Hollande, la Pologne, la Roumanie, la Bulgarie, la République tchèque, la Slovaquie à opposer un front commun à l'Amérique et à l'Angleterre coalisées - mais pour des motifs différents - afin de prévenir la catastrophe que serait pour elles l'émergence d'un pôle mondial européen de la puissance politique. Mais si ce pôle devait fonder une civilisation de la justice sociale et dans le même temps, armer de forces militaires l'espérance post-évangélique de l'humanité, on comprend qu'il y faudrait un parti socialiste capable de sortir de la sacristie des idéalités et de briser les tabernacles d'une politique sacerdotale de la liberté.

Certes, le parti socialiste a, du moins subrepticement, découvert grâce à Hubert Védrine qu'il y aura toujours une politique nationale française, toujours une politique nationale allemande, toujours une politique nationale italienne, toujours une politique nationale espagnole, mais que ces pays pourraient rassembler leurs forces économiques et militaires afin de donner un moteur à l'Europe. Encore conviendrait-il que le parti socialiste apprît les nations à l'école de l'histoire et de la politique.

Mais, pour cela, il faudrait qu'il accomplît une révolution cérébrale incroyable, celle de se convertir à un regard d'anthropologue sur les fuyards de la zoologie Le parti socialiste croit encore que Platon était un philosophe idéaliste, donc dichotomisé sur le modèle des évangélistes de la politique, alors que tous ses dialogues témoignent d'un regard unifié d'anthropologue sur le cerveau bipolaire de l'époque. Comment le parti socialiste se situerait-il dans la postérité de Darwin et de Freud ? Comment admettrait-il les concepts mêmes d'évolution et d'inconscient, puisqu'à ses yeux, tous les hommes sont réputés égaux devant le tribunal suprême de l'idée de justice ? Le parti socialiste est le Narcisse de l'idée pure, l'infirme de naissance issu de la postérité philosophique abâtardie de Platon et de Descartes.

5 - Le parti socialiste et la science des idoles

Si Ségolène Royal s'était engagée dans un corps à corps violent et superbe avec les attentes et les appels de son temps, si elle avait armé le socialisme d'une réflexion révolutionnaire, donc anthropologique, sur le nationalisme ; si elle avait armé d'éloquence la dénonciation de la vassalisation politique et militaire du Vieux Continent, si elle était montée en chaire pour foudroyer l'OTAN avec les accents d'un Bossuet de la démocratie; si elle s'était moquée de l'illusion, pour la France des escrimeurs de l'intelligence, de se hausser au rang d'un co-adjuteur adoubé du Nouveau Monde, si elle avait dénoncé le réseau des sept cent trente sept bases militaires américaines réparties sur la planète entière des assermentés de leur propre assujettissement; si elle s'était présentée à la fois en pasionaria de la France et en radiographe des idéalités dont se nourrit la servitude des modernes; si elle avait allié la clairvoyance d'un de Gaulle de gauche avec la connaissance critique du fonctionnement onirique du cerveau du simianthrope; si elle avait réveillé la fierté d'une Italie du risorgimiento, si elle avait rappelé aux descendants de Garibaldi et de Cavour que le port de Naples n'est plus qu'une base navale américaine, si elle avait adjuré l'Europe de fonder une civilisation capable d'endiguer les ravages d'un capitalisme de la jungle ; si au lieu de souligner seulement par son silence et son absence la superficialité intellectuelle et la pauvreté de la réflexion philosophiques du parti socialiste, elle aurait rassemblé à vos côtés les militants d'une jeunesse capable de fonder le socialisme sur le nationalisme et le nationalisme sur le socialisme.

6 - Le parti socialiste et le spirituel

Je vous disais que la grande politique est faite de coups d'Etat de la parole, mais que la parole inaugurale trouve ses sources dans l'intelligence visionnaire et l'intelligence visionnaire dans la parole prophétique, celle dont l'Eglise des premiers siècles avait su glorifier la mission. Souvenez-vous de l'apostrophe de saint Ambroise à l'empereur Théodose coupable de génocide ; souvenez-vous de Luther debout à la Diète de Worms face à toute l'Eglise de son temps ; souvenez-vous de Calvin qui retira le cadavre du Christ de l'autel du meurtre sacrificiel des chrétiens. Ceux-là ont répondu à la vocation civilisatrice de la politique, ceux-là se sont heurtés au silence consterné de tous les Etats de leur temps. Apprenez à porter sur les nations d'aujourd'hui le regard des prophètes sur leur Eglise.

Il appartient au parti socialiste de fonder une politique de l'esprit et de la placer au cœur de la géopolitique. Vous avez à faire face à un pan-culturalisme devenu acéphale, vous avez à faire face au naufrage de la " raison laïque ". Qu'est-ce que la vie de l'esprit quand " Dieu " est mort? Pour l'apprendre, ne ressuscitez pas cette idole, pour l'apprendre, lisez les prophètes, pour l'apprendre demandez-vous quel était le feu de l'intelligence que le simianthrope appelait le spirituel.

Le spirituel, c'est vous. Le spirituel qui vous habite vous demande : " Qu'est-ce qu'une idole ? " Le spirituel vous interroge, le spirituel vous apostrophe, le spirituel vous dit que la démocratie est devenue une idole. Qu'en est-il d'une civilisation qui ne sait rien du fonctionnement idolâtre du cerveau humain ? Il appartient au socialisme de troquer son gilet pare-balles pour une alliance nouvelle de la pensée avec la politique, il appartient au parti socialiste de découvrir pourquoi il est devenu à lui-même son idole..

Le 3 décembre 2007
 pagesperso-orange.fr