17/10/2017 histoireetsociete.wordpress.com  43 min #134104

Le vent se lève: le populisme fleurit là où on masque la lutte des classes - Entretien avec Guillaume Roubaud-Quashie

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voici un texte intéressant d'un individu cultivé politiquement, c'est un projet qui peut mérite qu'on en « cause », cela faisait longtemps que je n'avais pas lu en provenance du PCF un tniveau de réflexion qui effectivement donne envie d'ouvrir le dialogue. ca et le texte sur la Chine paru dans l'humanité me donnent un peu d'espoir en l'avenir de ce parti. Mais attendons de voir s'il y a vraiment possibilité de dialogue, en tous les cas il a beaucoup de choses sur lesquelle je suis d'accord y compris sur la nature des populaistes russes, la manière dont ils ont introduit le marxisme en Russie à côté d'un marxisme trop lié au dogmatisme de la II e internationale. Le refus de tout classer sous le terme « populisme »., Chavez et l'extrême-droite. (note de danielle Bleitrach)

Directeur de la revue Cause Commune, Guillaume Roubaud-Quashie est membre de la direction du PCF. A ce titre, il a dirigé l'organisation de la dernière université d'été du parti, lors de laquelle le populisme est entré au coeur des débats.

Vous êtes directeur de la revue Cause Commune, éditée par le PCF et auparavant intitulée La Revue du projet. Pourquoi ce changement de nom ? S'agit-il, aussi, d'un changement de projet ?

Plus que d'un changement de nom, il s'agit d'un changement de perspective. La Revue du Projet, comme son nom l'indique, portait essentiellement sur la question du projet du Parti communiste. Mais ce dont le Parti communiste a besoin va au-delà : c'est de faire davantage parti, c'est-à-dire, de mettre davantage en coordination les différentes forces, les différences expériences pratiques, théoriques et politiques. Et pour mettre en coordination ce qui reste sans doute la première force militante du pays, cela demande un peu d'organisation. De ce point de vue, la revue a un objectif de convergence. Pourquoi une revue pour le Parti communiste ? Pour offrir aux communistes la possibilité de savoir ce qui se fait, ce qui se travaille, ce qui se cherche. Pour permettre aux communistes de participer mieux et davantage. C'est pourquoi nous considérons que Cause Commune est une revue d'action politique. Nous traitons aussi des problématiques plus immédiates. Par exemple, dans notre premier numéro, nous nous sommes intéressés à la façon de constituer un collectif de défense de La Poste.

Il y a donc un changement de perspective important. Il s'agit plus d'une nouvelle revue que d'une simple version 2.0 de la précédente. Nous abordons les questions d'organisation, les questions électorales et la vie politique en général. On y ajoute donc une dimension plus concrète. Vous savez, le Parti communiste produit beaucoup de choses - et c'est une de ses forces -, mais le niveau de lecture peut parfois être faible. La raison en est que les communistes, confrontés à un temps limité et à une pléiade de possibilités de lectures, finissent parfois par faire le choix de l'abstention. L'idée, ici, est de leur dire qu'en dehors de l'Humanité qui a une autre fonction et une autre périodicité, Cause Commune entend traiter le large spectre des sujets communistes. À cela, s'ajoute un objectif de mise en mouvement et de formation des militants, tout en conservant à la revue un caractère très ouvert.

Le nom, Cause commune, vient du fait que nous affirmons qu'il faut plus de parti et non moins de parti, qu'il faut plus de mise en commun. Notre rôle est d'être un des acteurs de cette mise en commun. C'est une perspective qui est, en un sens, opposée à celles qui prennent acte de la vie en lignes parallèles des luttes émancipatrices voire la théorisent. Nous croyons qu'il faut au contraire faire cause commune.

Votre revue a pour but explicite de s'adresser aux adhérents du PCF et d'animer la vie démocratique et intellectuelle du parti. Comment expliquez-vous ce choix spécifiquement interne ? N'avez-vous pas peur de négliger l'extérieur et que cela implique un cloisonnement intellectuel ? On reproche souvent aux partis d'être repliés sur eux-mêmes...

Le Parti communiste est évidemment celui qui est le plus accusé d'être une espèce de secte absolument repliée sur elle-même. C'est une légende bien connue. Il suffit pourtant de lire l'Humanité, « le journal de Jean Jaurès », qui n'est pas l'organe du Parti communiste, même s'il y a des liens et des proximités. S'il y a un journal qui est largement ouvert au-delà des communistes, c'est bien celui-ci. Donc il n'y avait pas de raison de fond de faire une espèce de version mensuelle de l'Humanité. Il faut soutenir et développer ce journal et, en même temps, ce qui manquait, c'était justement cet outil qui permet d'utiliser la richesse de ce parti. C'est là la mission propre de Cause commune, sans esprit de secte : la revue reste pleinement ouverte à tous les lecteurs !

Vous avez organisé l'Université d'été du PCF  dont nous avons rendu compte dans nos colonnes. Parmi les thèmes qui ont suscité le débat, il y a eu la question du populisme, à laquelle nous ne sommes pas insensibles à LVSL comme l'illustre notre dossier sur les gauches espagnoles. Le populisme, comme méthode politique, est largement critiqué au PCF. Pouvez-vous revenir sur ces critiques et leurs fondements ?

Le débat est en cours au PCF et je ne veux pas fermer des portes à l'heure où notre congrès entend les ouvrir en grand, donnant pleinement la parole et la main aux dizaines de milliers d'adhérents communistes. Je n'exprime donc ici qu'un point de vue personnel, tel qu'il est pour l'instant stabilisé avant le large débat collectif qui s'annonce. Je sais les réflexions plurielles et mon camarade Alain Hayot qui a beaucoup écrit sur le sujet, a sans doute un autre regard, par exemple. Pour moi, il y a deux questions. Le populisme est présenté comme la grande forme de proposition alternative importante. Et il ne faut pas prendre ça de haut puisque la force qui présente cette option politique comme une alternative - la France insoumise - est la principale force progressiste du moment.

La première question, c'est celle du populisme tout court. C'est un mot très employé et dont le contenu n'est pas toujours très clairement défini. En réalité, ce mot a une étrange histoire qui renvoie à des moments très différents. Le premier moment lexical du populisme renvoie au socialisme agraire russe, les Narodniki, qui n'a rien à voir du tout avec ce qu'on appelle « populisme » aujourd'hui : c'est eux qui ont introduit les textes de Marx en Russie ; c'est avec eux que Lénine polémique... Le second moment renvoie à une expression progressiste plus vague : le populiste est celui qui est favorable au peuple. Après tout, c'est ce que dit le mot, étymologiquement parlant, et tout le monde est à même de l'entendre ainsi sans être un éminent latiniste. C'est pourquoi il y avait le prix populiste, ce prix littéraire qui était remis à des auteurs progressistes qui parlaient du peuple et pas uniquement de héros de la bourgeoisie.

Et puis, il y a le moment qui commence dans les dernières décennies du XX e siècle. C'est le moment Pierre-André Taguieff qui vient relancer cette espèce de conception du populisme qui consiste à dire qu'il n'y a plus de lecture gauche-droite, mais une lecture de type cercle de la raison, au centre (libéraux de gauche, libéraux de droite, etc.), versus les fous à lier, de part et d'autre de cet axe central. Il s'agit, en quelque sorte, du décalque, en politique, de la lecture sociale insiders versus outsiders. Ce dernier modèle sociologique dont l'essor est d'ailleurs contemporain de celui du « populisme » façon Taguieff prétend ainsi qu'il n'y a plus de classes car la société a été confrontée à une gigantesque « moyennisation » ; ne reste plus que les insiders(ouvriers, cadres, patrons...) d'une part et les outsiders, vrais miséreux qui, seuls, ont droit à quelque (maigre...) charitable intervention. Je ne développe pas, mais la simultanéité n'est jamais fortuite aimait à rappeler le grand historien Ernest Labrousse... Bref, avec le populisme de Taguieff, c'est-à-dire le populisme, tel qu'il est repris par la grande masse des journalistes et des hommes politiques : soit vous êtes au milieu, entre personnes raisonnables qui acceptent l'économie de marché, soit vous êtes dans la catégorie des déments indifférenciés, celle des populistes.

« Vous dénoncez les exilés fiscaux ? Populiste ! Vous attaquez les grands média ? Populiste ! Vous notez les proximités entre le monde de la finance et celui des dirigeants politiques des grandes formations ? Populiste ! Accepter la notion, c'est accepter de voir invalidé tout discours de classe. »

Pour ma part, je trouve cette conception dangereuse et inopérante. D'un simple point de vue descriptif, mettre Marine Le Pen et Hugo Chavez dans la même catégorie politique, ce n'est pas un progrès de la pensée politique.. Il s'agit de pensées profondément différentes, donc forger un mot qui explique qu'il s'agit de la même chose, c'est une régression au plan intellectuel. Cela ne permet pas de mieux nommer et comprendre les choses ; au contraire, cela crée de la confusion. Plus profondément, cette dernière est dangereuse puisque cela consiste à dire que tout ce qui est une alternative à la situation actuelle, tout ce qui conteste le dogme libéral relève de ce terme qu'est le populisme. Pire, si le populisme est cette catégorie infâmante désignée à caractériser ceux qui opposent « le peuple » aux « élites » alors qu'il n'y aurait, bien sûr, que des individus dans la grande compétition libre, comment ne pas voir combien cette notion forgée par des libéraux invalide immédiatement toute option de lutte des classes ? Comment penser que ce n'est pas aussi un des objectifs de cette théorisation ? Vous dénoncez les exilés fiscaux ? Populiste ! Vous attaquez les grands média ? Populiste ! Vous notez les proximités entre le monde de la finance et celui des dirigeants politiques des grandes formations ? Populiste ! Accepter la notion, c'est accepter de voir invalidé tout discours de classe.

Gérard Mauger a raison selon moi quand il dit dans son intervention, que le populisme, c'est une forme d'« insulte polie », une façon de discréditer. Par ailleurs, lisez Taguieff, pour lui, le populisme, c'est d'abord un « style ». Personnellement, je ne classe pas les forces politiques en fonction de leur style, mais en fonction des objectifs qu'ils nourrissent. Le style est secondaire. J'ajoute que c'est faire un beau cadeau à la droite et à son extrême. Puisque l'extrême droite, en n'étant pas qualifiée comme telle, devenant « populisme », n'est plus le prolongement de la droite, c'est mettre des digues absolues entre Eric Ciotti et Marine Le Pen ; le premier étant censé appartenir au monde raisonnable central et la seconde relever de la catégorie distincte et sans rapport du « populisme ». Beau cadeau de respectabilité à la droite au moment même où elle court après son extrême... Ensuite, renoncer à qualifier l'extrême droite en usant du mot de droite et du mot d'extrême pour lui privilégier la notion de « populisme », c'est lui retirer deux fardeaux (personne n'est « extrême » ; le discrédit de la droite parmi les couches populaires reste large) et lui offrir le peuple (tout le monde entend bien « peuple » dans « populisme », sans agrégation de lettres classiques !). Bref, je sais que ce point de vue n'est pas celui de tous mais, à mes yeux, cette notion est une régression et un danger. Le débat se poursuivra car il n'est pas question de le trancher ici !

ce n'est pas parce que l'on a rien à dire que l'on se tait mais parce qu'il paraîtrait un peu dérisoire d'aborder les temps à venir l'esprit brouillé par les larmes de nostalgie. Il y a ce qui en train de s'effacer irrémédiablement et qu'il est impossible de retenir tant chacun paraît mettre de la bonne volonté à en finir.

Le seul ennui est que rien ne paraît à l'horizon qui soit à la hauteur de la situation.

Alors je me souviens d'un jour où je marchais dans le jardin de l'hôtel de Toulon où résidait le vieil Aragon. Je lui demandais pourquoi la littérature française en était là... N'y avait-il personne? Il m'entendit et ce n'était pas toujours évident à cette époque là qu'il réponde à vos questions... Il s'indigna: la littérature française ne peut pas mourir, en ce moment même il y a probablement un jeune homme qui dans la solitude est en train de créer un chef d'oeuvre. Et il avança vers la haie de troënes qui paraissait verte, luisante et pleine de sève, il passa les doigts sous les feuilles en les caressant et sa main tavelée revint avec quelques unes tombées sous le simple effleurement. « Vous voyez, me dit-il, rien de ce qui est facile ne doit demeurer ».

Le roman historique et la contrerévolution...

Voilà je crois que nous en sommes là dans la victoire comme dans la défaite, tout à l'air encore en place et pourtant chacun sent confusément que tout n'est qu' apparences ne toucher à rien de peur qu'elles ne cèdent... Ravauder le tissu avec les mêmes idées, les mêmes hommes... Laissons cela... Je n'ai pas envie parler politique. Je suis en train de lire Lukacs, le roman historique. Peut-être parce que je suis obsédée par le roman qu'Aragon écrivit en 1956 lors de la « destalinisation » totalement ratée, après la révolte de Hongrie, l'expédition de Suez, les pleins pouvoirs à Guy Mollet, l'ébranlement général... la Semaine Sainte.

Face à l'échec, Aragon submergé tente de reprendre pied, il revient à ce moment historique où était né le sentiment national, la Révolution française, les guerres napoléoniennes et la contrerévolution. Comme son héros, le peintre Gericault - un jeune homme qui lui ressemble à lui et à jean Ristat comme Aurélien déjà ressemblait à Drieu de la Rochelle et lui- il tente de deviner le paysage incertain. Après Waterloo il y a le retour des rois, la Sainte Alliance triomphait, mais il restait un jeune peintre de génie qui s'initiait à quelque chose qui s'appelait l'Histoire de France.

Quand l'histoire est incertaine, l'Art est la chose la plus sûre, celle qui accepte le mouvement que chacun nie.

Voici ce qu' écrit Lukacs sur le roman historique souvent aussi un roman d'initiation qu'il lie à l'essor de la conscience nationale d'un peuple : »Cela change d'un seul coup avec la Révolution française. Dans sa lutte défensive contre la coalition des monarchies absolues, la République française fut contrainte de créer des armées de masse. la différence qualitative entre armée mercenaire et armée de masse concerne préisemment leurs rapports avec la masse de la population. Si, au lieu de recruter de petits contingents de déclassés pour une armée de mercenaires ou de les y incorporer de force, on doit créer une armée de masse, alors il faut exposer clairement aux masses par la propagande le contenu et le but de la guerre. cela ne se produit pas seulement en France même, du temps de la défense de la Révolution et des guerres offensives ultérieures. les autres états également, s'ils en viennent à la création d'armées de masse, sont contraintes de recourir à ce moyen.(qu'on songe au rôle de la littérature et de la philosophie allemandes dans cette propagande après la bataille d'Iena). cette propagande ne peut se limiter à la guerre individuelle isolée. Elle doit révêler le contenu social, les conditions péalables et les circonstances historiques de la lutte, associer la guerre à la vie totale et aux possibilités de développement de la nation. »

Stendhal, Musset tous referont ce chemin initiatique entre conscience nationale, Histoire, jeune génération privée d'espérance et roman... Sans parler de toutes les autres nations européennes, des autres arts, pensez à Goya.

Quand Aragon décrit dans la Semaine sainte, le retour des rois il interroge ce qu'il reste de la France, du sentiment national, du roman historique après le grand retournement celui qui déjà fait que l'armée rouge intervient à Budapest et que le stalinisme s'effondre...

Voilà alors aujourd'hui ce pays ignore quand il est en guerre. Etonnez-vous que ce soit le Capital qui ait conscience de la lutte des classes en pleine offensive comme le proclame Warren Buffet un des hommes les plus riches du monde. L'histoire a disparu, il n'y a plus que fatalisme et héros individuels menant des complots. Une parodie de conscience historique. Melenchon peut à la fois voter l'expédition de l'OTAN en Libye et citer jaurès à tour de bras... Et prétendre porter le fer contre un sentiment national qui n'est plus effectivement que xénophobie médiocre, ressentiment du colonialiste chassé... Un remugle... Le combat a tout de suite des allures piccrocoliennes qui attire les médias pour qui rien de ce qui est secondaire n'est étranger... Toujours à la recherche de la storystelling qui fait vendre... le roman historique n'est pas loin mais c'est loftstory qui sert de modèle... Le crépage de chignon en lieu clos... pendant que d'autres font le ménage...

Ils battent déjà monnaie...

Littérature pour littérature relisez ce chapitre de ses mémoires que Chateaubriand consacre au retour des rois, à cette peinture extraordinaire de l'entrée bras dessus bras dessous de Fouché, l'éternel ministre de la police, avec talleyrand, l'éternel ministre des affaires étrangères. Le vice au bras du crime dit-il. Ils ont réussi à convaincre Louis XVIII qui meurt de trouille à l'idée d'affronter Paris, la Révolution, qu'ils sont les seules garanties de la paix. Chateaubriand lui aussi se « met en quatre » pour eux, il ignore pourquoi mais on imagine que sa peur ne le cède en rien à celle du ventripotent monarque revenu avec la Sainte Alliance. Pourquoi est-ce que je pense à cela parce que on ignore encore qui sera ministre de l'intérieur? Si c'est François Rebsamen déjà chargé des questions de sécurité pour le candidat Hollande, Alain Bauer, ancien patron du Grand orient, ancien rocardien qui tient l'observatoire de la délinquance, le groupe de contrôle des fichiers de la gendarmerie et de la police, devra faire ses bagages non sans avoir emporté certainement de quoi revenir promptement. Si c'est manuel Valls, il restera en place. Il y a en ce moment un trafic des dossiers qui fait penser non plus à Chateaubriand, à Aragon mais à la Comédie Humaine et à Vautrin, l'ancien bagnard devenu chef de la sureté parce que Fouché-Guéant ne sera jamais trés loin...

J'en suis toujours à cette réflexion de Marx « tandis qu'au jardin du Luxembourg ils cherchaient la pierre philosophale, à l'Hôtel de ville ils battaient déjà la monnaie »...

Honnêtement vous voulez exactement que je m'implique pour qui et pourquoi?

Un coup médiaque... Est-ce que vraiment il a été tenté sans la moindre assurance que le PS céderait la place... Je n'arrive pas à y croire alors un jeu de dupe? Tandis que de l'autre côté du Rhin la même opération est en train de retourner à l'insignifiance électorale au point que quelques « pirates » peuvent se substituer à eux sans que rien n'en soit modifié...

Et tous les tacticiens en chambre qui croient voir juste parce que leurs petites analyses ont été utiles pour faire un rideau de fumée, une diversion médiatique s'interrogent, les autres emportent les dossiers compromettants. En coulisse on procède déjà à l'exécution politique de quelques individus encombrants... La politique laisse la place à ce jeu sur place où les appétits et les rumeurs d'antichambre occupent les esprits... Pourquoi pas Saint Simon a su écrire sur les disgrâces et les potins versaillais quelques pages sublimes, je pense à ce magnifique départ dans le froid, la néige, un carrosse ouvert aux quatre vents d'une marquise des Ursins qui ne daigna même pas jeter un châle sur ses épaules dénudées dans sa robe de brocart...

Et si quand la Révolution est anéantie y compris sous sa forme despotique, celle de la Grande armée, il y aura toujours ceux prêts à servir le pouvoir tandis qu'on nous parlera de « bonne gestion qui n'est ni de gauche ni de droite », le vice et le crime se tiendront bras dessus bras dessous.

Rien de ce qui est facile ne demeurera mais le véritable problème n'est-il pas là? Chacun croît que cela durera bien autant que lui... En attendant arrachons le peu qui soit possible ce sera toujours ça de pris... quand la bise sera venue...

Nous avons survécu à l'asphyxie de la poésie peut-être celle-ci survivra-t-elle avec le roman dans son sillage et l'Histoire de surcroît quand on s'apercevra que la politique est totalement épuisée ou plutôt quel'émotion se raréfie et la rage s'accroît.

Danielle Bleitrach

Jean-Luc Mélenchon a rompu avec ses anciens partenaires au profit d'une stratégie populiste

La seconde question renvoie évidemment aux conceptions de Chantal Mouffe autour du « populisme de gauche ». Au départ, Mélenchon expliquait aux journalistes qui lui collaient cette étiquette populiste : si le populisme, c'est dénoncer les collusions, etc., etc., alors qu'on me taxe de populiste. Néanmoins, il le faisait sur le mode de la récusation et de la provocation. Aujourd'hui, sa position a changé puisqu'il assume cette stratégie « populiste de gauche » théorisée au départ par la philosophe belge. La tâche se complique ainsi et il faut faire la différence entre le populisme taguieffien des journalistes quand ils parlent de Marine Le Pen (... et de Mélenchon) et le populisme de Mouffe. Pour ce qui est de Chantal Mouffe, il s'agit d'un projet théorique qui est plus solide que ce que fait Taguieff. Annie Collovald refuse d'ailleurs de parler de concept pour le populisme de Taguieff, et considère que c'est à peine une notion qui frise l'inconsistance. C'est ce qu'elle explique dans un ouvrage qui selon moi reste fondamental, Le populisme du FN, un dangereux contresens[2004].

« Le populisme nait donc d'une recherche de renouveau de la pensée social-démocrate, quand d'autres vont inventer, avec Giddens et Blair, la « troisième voie ». »

Chez Mouffe, et en réalité chez Laclau, on est face à une réponse, dans le domaine de la social-démocratie, élaborée dans la panade des années 1980. Période au cours de laquelle toutes les grandes conceptions social-démocrates traditionnelles sont mises en difficulté, sans parler bien évidemment de la situation des socialismes réels qui étaient par ailleurs combattus par la social-démocratie. Les amis de Mouffe et de Laclau, depuis longtemps en opposition aux communistes, ne vont bien sûr pas se rapprocher des communistes soviétiques dans les années 1980, au moment même où triomphe la grasse gérontocratie brejnévienne et post-brejnévienne où le système soviétique montre toutes ses limites et son inefficience. Le populisme nait donc d'une recherche de renouveau de la pensée social-démocrate, quand d'autres vont inventer, avec Giddens et Blair, la « troisième voie ».

Quels problèmes cela pose pour nous ? D'abord, la question de classe est complètement explosée. Dans la pensée de Chantal Mouffe, c'est clair, net, et précis : il n'y a pas de classe en soi, mais des discours des acteurs. Il s'agit d'un postmodernisme caractéristique de la pensée des années 1980, pensée d'ailleurs très datée : il n'y a pas de réalité mais d'indépassables discours. Il n'y a pas d'intérêt objectif de classe ; d'où l'importance accordée au mot plus vague de « peuple ». Est-ce un progrès ou une régression ? Nous considérons que la question de classe est une question centrale ; elle l'est même nettement plus aujourd'hui qu'hier. Il suffit d'ouvrir les yeux sur les évolutions du capitalisme contemporain. On est ramenés aux socialismes utopiques que Karl Marx combattait. C'est amusant de voir aujourd'hui le beau film de Raoul Peck, Le Jeune Karl Marx, qui évoque ces débats avec tous ces socialistes rêvant en dehors du monde de classe...

Deuxièmement, l'horizon des communistes reste un horizon universaliste qui pose le communisme comme objectif. Cet horizon est complètement absent chez Mouffe pour qui il faut trouver une manière de gérer les dérives du capitalisme et les antagonismes dans ce qu'elle appelle un cadre « agonistique » (un cadre de combats, de tensions, de conflits - agôn, en grec). Puisque pour elle, les conflits sont inépuisables et penser les abolir serait contraire à l'anthropologie profonde, selon sa lecture de la « nature humaine » qui se revendique de Freud. Tout cela me semble poser plus de problèmes que cela n'en résout... Dire qu'on renonce à l'objectif de dépassement des conflits de classe, au moment où le capitalisme est de plus en plus inefficient et criminel, me paraît être inopérant et négatif. Donc même si la proposition de théorique de Mouffe est intéressante - au sein de la social-démocratie, elle refuse la capitulation pure et simple façon Blair et Schröder et permet ainsi que se mènent bien des combats communs -, elle débouche sur un horizon limité. Il s'agirait de renoncer au communisme au moment même où le capitalisme ne parvient clairement plus à répondre aux possibilités de développement de l'humanité. L'humanité a les ressources et les savoirs pour répondre aux grands défis (faim, santé, logement, culture, développement durable...) mais le capitalisme, parce qu'il vise le profit étroit et maximal de quelques-uns, tourne le dos à ces perspectives et approche le monde de l'abîme.

Pourtant, lorsque Pierre Laurent écrit un ouvrage intitulé 99%, il oppose un « eux » et un « nous », qui va plus loin que la simple classe traditionnellement révolutionnaire aux yeux des marxistes - le prolétariat. Bref, il fait lui aussi du populisme, non ?

Absolument pas, ici, on est dans la logique qui est celle de l'alliance de classe, qui est une logique que le PCF a souvent adoptée. Thorez faisait déjà cela dans les années 1930 ; ce n'est pas du populisme. D'ailleurs, une des lectures bien connues des communistes de ces années là est Ce que sont les amis du peuple de Lénine dans lequel il détruit les populistes russes. Donc non, ce n'est pas du populisme, c'est l'idée, déjà développée par Lénine, selon laquelle il est possible de faire des alliances avec d'autres classes, loin du « solo funèbre » de la classe ouvrière.

Pierre Laurent part d'une analyse du capitalisme contemporain qui ne profite plus qu'à une toute petite minorité. Il ne profite même pas aux petits entrepreneurs. Donc certes, il y a les salariés tout court, qui représentent une très large majorité des travailleurs, mais il y a aussi les petits patrons, qui sont insérés dans des chaînes de donneurs d'ordre qui font d'eux des quasi-salariés, puisqu'ils sont dominés par de grandes entreprises. Ils pâtissent donc aussi du système capitaliste. Ajoutons l'ubérisation et sa masse d'auto-entrepreneurs et on comprend pourquoi Pierre Laurent a raison d'élargir l'horizon au-delà de la seule classe définie par la place dans les rapports de production.

Mais en termes de méthode il y a une convergence, sur l'idée d'opposer le « eux » de la petite minorité et le « nous » du reste de la population...

Sur le « eux » et le « nous », entendons-nous bien. C'est une expression largement utilisée avant Mouffe, par exemple chez le chercheur britannique Richard Hoggart dans La Culture du pauvre. Pierre Bourdieu diffuse cet essai qui popularise cette dichotomie entre un « eux » et un « nous » dans les sciences sociales. Hoggart ne se définissait pas pour autant comme populiste, donc cette idée du « eux » et du « nous » n'est pas une marque déposée du populisme.

Un des éléments qui a cristallisé les oppositions est l'utilisation du terme « gauche ». Il est évident qu'analytiquement, la gauche existe. Mais est-il nécessaire, après le quinquennat de François Hollande, et le discrédit qui porte sur cette étiquette, d'utiliser le terme « gauche » ? Ainsi que le dit Iñigo Errejon dans LVSL, la bataille politique ne devient-elle pas, dès lors, une bataille pour l'étiquette ?

C'est une question très importante et  l'entretien d'I. Errejon est très intéressant. Dans les forces de gauche, beaucoup raisonnent « toutes choses égales par ailleurs » (ce qui était, est et sera, etc.). Or, il est certain, et ça tout le monde le sait, que le positionnement de la population par rapport à l'étiquette « gauche » s'est largement détérioré, même si beaucoup d'acteurs politiques se sont aveuglés là-dessus. Ces derniers sont restés attachés à ce signifiant (le mot « gauche »), alors qu'il avait un signifié (le contenu, le sens) de moins en moins clair dans le pays. D'ailleurs, « l'existence analytique » de la gauche dont vous parlez mériterait peut-être d'être interrogée. C'est un peu une manie de métaphysicien que de rattacher des contenus définitifs à ce mot « gauche » alors que ce terme recouvre des contenus très variables. Il est vrai que lorsque le PCF est la principale force de gauche, celui-ci opère une redéfinition du mot « gauche », le dotant d'un solide et indubitable contenu de classe. François Mitterrand, verbalement, laisse faire un certain temps et l'opération lexicale des communistes connait un certain succès, bien au-delà de ses rangs. Ces combats d'hier ont toujours une efficace aujourd'hui : voyez combien il a été difficile pour François Hollande d'être considéré comme « de gauche » au vu de la politique qu'il menait. Ça lui a coûté très cher.

« Je crois donc qu'il faut avoir un point de vue dialectique sur le sujet. Il faut toujours se référer à la gauche, puisque cela veut encore dire quelque chose de fort pour beaucoup de gens, mais il faut éviter d'utiliser ce terme seul et sans contenu explicite puisqu'il est aujourd'hui associé négativement à des expériences libérales comme celle de François Hollande. »

Après le LEM, j'ai proposé des éléments d'analyse de cette difficile question dans feu La Revue du projet(dossier  « Quatre essais sur la gauche », La Revue du projet, n°50, octobre 2015). Sauf qu'en même temps, ce qui a moins été vu, c'est que le PCF a moins de pouvoir de définition qu'avant sur le contenu du mot « gauche », et donc que la force subversive de cette étiquette s'est érodée. Les expériences social-libérales ont petit à petit vidé de son sens ce terme pour une partie notable de la population, sans faire disparaître son contenu passé pour une autre.

Je crois donc qu'il faut avoir un point de vue dialectique sur le sujet. Il faut toujours se référer à la gauche, puisque cela veut encore dire quelque chose de fort pour beaucoup de gens, mais il faut éviter d'utiliser ce terme seul et sans contenu explicite puisqu'il est aujourd'hui associé négativement à des expériences libérales comme celle de François Hollande. La proposition de la France insoumise, de LREM voire du FN de ne pas se situer clairement par rapport à ce terme consistait à essayer d'aller récupérer ces gens pour qui le mot gauche est un mot perdu, associé à des expériences négatives et à des conceptions politiciennes de la politique. Il s'agissait aussi de composer avec le rejet du clivage gauche-droite, qui est devenu un repoussoir pour beaucoup de monde.

Continuer à utiliser le terme « gauche » comme si de rien n'était impliquerait alors de s'adresser uniquement à ceux à qui le mot parle, mais s'aliéner le reste de ceux pour qui il ne veut plus rien dire. Je crois donc que la solution consiste à utiliser cette notion avec modération, mais surtout, insister sur les contenus. Plutôt que de dire seulement « nous sommes pour une politique de gauche », qui est un discours abstrait et qui n'est pas compris par tous, il est sans doute préférable d'expliquer que « nous sommes pour l'augmentation des salaires, les droits des salariés, les services publics, etc. » voire « Nous sommes pour une politique de gauche, c'est-à-dire pour l'augmentation des salaires... ».

L'un des reproches régulièrement adressés au populisme repose sur la place des affects en politique. Ceux qui se revendiquent du populisme affirment qu'il est nécessaire de prendre en compte les affects et l'esthétique lorsque l'on construit un discours et un programme, et de ne pas s'appuyer uniquement sur la raison, c'est-à-dire sur la véridicité des idées et des discours. Est-ce pour vous de la démagogie ? Doit-on refuser les affects en politique ?

Non, bien évidemment que non. Avec la politique, il y a forcément des dimensions affectives et esthétiques qu'il faut prendre en compte. Et il faut reconnaître, de ce point de vue, que la France insoumise a réfléchi à ces questions et a fait des choses intelligentes et plutôt fortes. Quel est le point de désaccord ? Revenons à Mouffe. Elle est dans une relation postmoderne dans lequel l'horizon rationnel se dissout. Le problème, ce n'est pas juste d'intégrer la dimension affective, c'est de renoncer à la dimension rationnelle. Personnellement, je veux bien qu'on utilise toutes les armes de communication à notre disposition, mais toujours avec une finalité rationnelle et avec un primat rationnel. Ce n'est pas le cas chez Mouffe, chez qui les discours flottent sans lien avec le réel.

« L'affect est une contrainte nécessaire, et non un objectif en soi, si l'on veut que le peuple soit acteur, et qu'on ne se limite pas à vouloir emporter les foules grâce à un leader charismatique... »

Le 9 avril 1917, Lénine et 31 autres Russes exilés embarquent dans un train à Zurich pour rallier Saint-Pétersbourg. Ce voyage changera le cours de l'histoire mondiale. © D.R.

Utiliser les affects n'est donc pas problématique en soi ; tout le monde utilise les affects. Là où les choses deviennent plus dangereuses, c'est lorsqu'on considère qu'on doit patauger dans ces affects et s'y soumettre. Il faut au contraire avoir en permanence l'objectif de les dépasser très vite. Il est primordial d'amener au maximum vers une large réflexion rationnelle. L'affect est une contrainte nécessaire, et non un objectif en soi, si l'on veut que le peuple soit acteur, et qu'on ne se limite pas à vouloir emporter les foules grâce à un leader charismatique... qui est par ailleurs mortel. L'horizon du communisme ne consiste pas à être guidé par des bergers éloquents, mais à avoir un peuple acteur et conscient. Et puisque nous sommes en plein centenaire, faut-il rappeler la perspective de Lénine ? « C'est à l'action révolutionnaire consciente que les bolchéviks appellent le prolétariat. »

Précisément, sur cette figure du leader charismatique, on peut avoir le sentiment que le PCF est un peu traumatisé par son passé stalinien et la façon dont des figures ont pu faire l'objet d'un culte. À tel point que le parti semble être dans le refus de cette fonction tribunicienne. Faut-il s'en tenir au « ni dieu, ni César, ni tribun » de l'Internationale ou faut-il être capable de penser la nécessité des médiations et la façon dont un individu est capable d'incarner quelque chose à un moment donné, et d'exercer une fonction de traduction des demandes politiques dans le champ politique ?

Le mouvement ouvrier a toujours eu des figures de proue, bien avant Staline. Il y avait des bustes de Jaurès dès son vivant. L'idée que Staline a inventé le culte de la personnalité, que celui-ci relève de la pure importation est complètement absurde et ne résiste pas à l'analyse. La figure tribunicienne est pour nous une limite, parce qu'on quitte le domaine rationnel pour renforcer le domaine affectif. Quand ce n'est plus un objectif politique qu'on soutient mais une personnalité, quand le peuple troque son esprit critique contre l'adoration d'une figure humaine (et donc faillible...), il y a toujours danger. Cette limite a bien évidemment une force puisqu'elle permet aussi d'entrainer les individus vers un but commun. Gramsci disait « Il est inévitable que la révolution, pour les grandes masses, se synthétise dans quelques noms qui semblent exprimer toutes les aspirations et le sentiment douloureux des masses opprimées [..].. Pour la plus grande partie des masses [..]., ces noms deviennent presque un mythe religieux. Il y a là une force qu'il ne faut pas détruire. » Encore une fois, il s'agit d'une contrainte, et non d'un objectif. Reste que, la présence d'un tribun peut aider, et il n'y a pas besoin de remonter si loin que ça. Une figure comme Georges Marchais - mon ami Gérard Streiff y revient un peu dans sa belle petite biographie - a bien sûr pu, un temps, incarner et rendre visible l'option communiste.

« Pourquoi est-ce que Georges Marchais, aussi, avait cette puissance d'évocation et d'entrainement ? Parce qu'il s'agissait d'un ouvrier d'une famille populaire. »

Antonio Gramsci, intellectuel communiste et fondateur du PCI.

Aujourd'hui, les responsables communistes sont confrontés à cette question de l'incarnation. Et Pierre Laurent, de ce point de vue, a eu raison de signaler qu'il est important de poser la question sociale et ce à quoi renvoie l'incarnation. Pourquoi est-ce que Georges Marchais, aussi, avait cette puissance d'évocation et d'entrainement ? Parce qu'il s'agissait d'un ouvrier d'une famille populaire. Cela joue beaucoup, même si ce n'est pas tout. Même chose pour Maurice Thorez, qui était au départ mineur, et qui était capable d'argumenter et de vaincre des technocrates de la bourgeoisie. C'est important, parce que cela opère en creux la démonstration que les travailleurs, si profondément méprisés, sont capables, en travaillant, d'avoir les ressources pour diriger le pays. Cela envoie un signal important, puisque l'objectif des communistes est bien de faire parvenir cette large classe laborieuse au pouvoir, ce qui implique qu'elle sente bien qu'elle en est capable et que le mépris que la bourgeoisie lui voue est infondé. C'est un objectif essentiel lorsqu'on voit à quel point les incapables qui gèrent ce monde sont en train de l'envoyer dans le mur.

Pierre Laurent a donc expliqué qu'il nous fallait davantage cet objectif jusque dans la direction du Parti, en donnant une forte place aux diverses facettes du large spectre du salariat. Je suis parfaitement d'accord avec lui : je crois que nous avons à travailler vite et fort sur cet enjeu. Aucun des autres grands partis ou « mouvements » ne semble s'en préoccuper lorsqu'on observe que leurs dirigeants sont presque tous issus de CSP+. Le problème dans le pays est qu'il y a des millions d'ouvriers et d'employés, et qu'ils sont très peu représentés en politique aux échelons de direction. C'est une situation qui nous préoccupe, nous, et qui ne peut pas durer.

Parmi la bataille de tranchée intellectuelle que se livrent marxistes orthodoxes et populistes post-marxistes, Gramsci fait figure de point nodal. Les intellectuels populistes s'appuient largement sur le concept de sens commun développé par Gramsci et sur l'idée qu'il est nécessaire de construire une hégémonie nationale-populaire. Mais les marxistes reprochent à ceux-ci de vider la pensée de Gramsci de son contenu de classe. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Gramsci a écrit beaucoup, mais assez peu en réalité, et sur de nombreux sujets. Ses réceptions sont très nombreuses, très variées et très contradictoires. Parmi les usages fréquents de Gramsci, et qui vont contre ses textes, il y a l'idée qu'il serait un marxiste... antimarxiste ! C'est-à-dire, un marxiste qui relègue les questions économiques au second plan. Ce n'est pas du tout ce que dit Gramsci, mais c'est l'usage de masse. C'est la camelote soi-disant gramscienne qu'on nous refile souvent.

Selon celle-ci, Gramsci aurait compris l'importance des questions culturelles alors que les marxistes ne les prenaient pas en compte. Ça, c'est le « gramscisme pour les nuls ». Donc effectivement, les « populistes », Alain de Benoist et d'autres, piochent dans Gramsci ce qui leur permet de se dire qu'on peut s'occuper d'autres questions que les questions de classe. C'est un usage alibi de Gramsci.

C'est une erreur profonde, puisque Gramsci réfléchit dans un cadre marxiste et qu'il prend en compte les questions économiques qui restent déterminantes en dernière instance. L'usage qui est fait de Gramsci par les populistes est donc un usage assez banal qui s'arrête à la crème du capuccino pour bazarder le café, comme le font tous les libéraux.

Par ailleurs, il est reproché à des intellectuels comme Chantal Mouffe ou Iñigo Errejon leur excès de constructivisme et la dimension postmoderne de leur analyse lorsqu'ils parlent de construire un peuple. Il s'agit pour eux de dire qu'il n'y a pas de pour soi déjà là - ni d'en soi, du moins pour Chantal Mouffe -, que c'est aux acteurs politiques, par leurs pratiques discursives, d'élaborer ce sujet politique pour soi. Marx ne faisait-il pas déjà la même analyse lorsqu'il distinguait le prolétariat en soi et le prolétariat pour soi ?

Mais justement non, parce que ce n'est pas seulement dans la « pratique discursive » que l'on construit les sujets politiques, mais par la lutte, et cela n'existe guère dans le référentiel populiste qui met en avant les discours. Comment est-ce que les gens se mettent en mouvement ? Bien sûr, les discours ont leur importance, mais cela n'est pas l'essentiel...

Mais précisément, le terme de pratique discursive ne renvoie pas uniquement aux discours, mais à toutes les actions qui ont un effet symbolique...

Historiquement, on a fait une distinction entre ce qui relève du discours et de la parole, et à l'inverse, des choses concrètes. Cette distinction est utile et pertinente, notamment en matière politique. Pourquoi ? Parce que la politique, lorsqu'elle se met en place, est d'abord une affaire de discours. Par là même, cela met à distance les couches populaires dont le métier et la formation ne tournent pas de manière centrale autour de l'usage des mots, des bons mots, des belles formules... D'où, à l'inverse, la présence de nombreux avocats en politique... La grande majorité du peuple n'a évidemment pas appris la rhétorique, ce qui la place d'emblée dans une situation d'infériorité et de délégation vis-à-vis de ceux qui « parlent bien ».

les reportages de Gilles Jacquier me semblaient ceux d'un journaliste et d'un reporter faisant son métier avec le plus d'honnêteté possible. le fait que Charles Ederlin nous ait annoncé sa mort avec amitié, tout cela m'a incité à garder le silence sur l'origine de sa mort. J'ai refusé de participer à l'intox belliciste qui voulait que ce soit le gouvernement syrien qui ait tendu un piège, je n'en voyais pas l'intérêt pour ce dernier bien au contraire. De même j'ai été une fois de plus indignée par l'intox immonde d'un site comme mondialisation.ca qui une fois de plus nous a conduit dans les latrines de la rumeur en faisant de Gilles Jacquier une barbouze du gouvernement français.
D'un côté les « complotistes » d'internet veulent avoir l'air informé et tendent l'oreille à n'importe quelle rumeur, soit par sympathie pour l'extrême-droite, soit par imbécilité ils sont littéralement fascinés par tout ce qui paraît traiter des arcanes du pouvoir. Ce qui fait qu'il relayent à peu près n'importe quoi, y compris l'ignominie qui faisait de Gilles jacquier une barbouze. Ce qui en fait revient à appuyer la propagande occidentale sous des allures radicales... En effet, cette rébellion nous est présenté en occident comme pacifique, désarmée, des enfants assassinés par les soldats d'un régime répressif telle est l'image à travers laquelle on prétend nous inciter à l'intervention qui précéderait l'embrasement irakien.

Il faut faire de la politique...

Par ailleurs,je ne peux pas non plus être d'accord avec l'autre image parallèle, celle d'un simple complot occidental avec des bandes armées. Je pense qu'il faut prendre en compte deux faits, premièrement il y a effectivement soulévement populaire et les cause en sont multiples, économiques autant que politiques. Mais il faut également considérer que l'intervention occidentale joue sa partition et que ce n'est certainement pas pour améliorer le sort de la population syrienne, ni sur le plan matériel, ni sur celui de la démocratie. Donc il faut avoir comme ligne le refus de l'intervention de l'OTAN et des puissances américaines ou européennes, laisser la chance à une solution d'abord régionale quelques soient les méandres et les double jeux des acteurs locaux de la Ligue arabe à la Turquie.

Et face à n'importe quelle nouvelle il faut être conscient du fait que l'information est prise en otage d'abord par un système de propagande contrôlé à 90% par les bellicistes. On ne peut pas plus faire confiance à la rumeur qui se répand à partir de sites d'extrême-droite, voir ceux qui sans le vouloir accueillent les thèmes de l'extrême-droite qui jouent la politique du pire et instrumentalisent la conscience que nous avons d'être trompés et entraînés dans des aventures sous des prétexte de défense des peuples. C'est pourquoi il faut reprendre les deux devises de karl marx 1) « Rien de ce qui est humain ne m'est étranger », ce qui revient à partir des peuples, des classes sociales et pas des jeux de sérail 2) « douter de tout ». L'information en particulier dans ses formes sensationnelles et révélatrices de vérités occultes, de discours de « spécialistes » doit être considérée avec suspicion d'où qu'elle vienne c'est la même logique.

Il faut rester sur la ligne politique que je viens tenter d'esquisser et ici en Syrie, comme ailleurs, nous Français avons le devoir de nous battre pour la paix, contre des sanctions qui nuisent aux peuples concernés autant que contre une intervention de l'OTAN dont on voit partout les résultats. Notre problème principal est la faiblesse de notre mouvement en faveur de la paix...

Cette information en provenance du Figaro paraît plus crédible non seulement parce que le Figaro et l'auteur de l'information Georges Malbrunot ne sont pas a priori des amis du pouvoir syrien et ont donc sans doute décidé à partir de ce que l'enquête révélerait de présenter « une bavure » de leurs amis mais parce que l'analyse est étayée par une double source et des faits. Bien sîr, mais je n'apprends rien j'espère à personne un article du Figaro est ce qu'il est même quand « il rétablit les faits », en particulier on notera que les « insurgés ont été poussés à la faute » par le pouvoir syrien et que de surcroît le meurtre du journaliste est devenue un « bavure ». Il suffit de s'interroger sur le vocabulaire qui eut été employé s'il avait été démontré que le crime avait pour origine le pouvoir syrien. Donc apprenons à lire à partir de chaque source. Tout en se disant que sur cette affaire précise, la mort d'un grand reporter nous sommes à un temps T1 de l'information. (note de Danielle Bleitrach)

Par Georges Malbrunot Mis à jour le 20/01/2012 à 20:09 | publié par le Figaro le 20/01/2012 à 18:54


De la fumée s'élève d'un immeuble de Homs suite à une attaque, le 11 janvier dernier, jour où Gilles Jacquier a été tué. Crédits photo : JOSEPH EID/AFP

«Nous savons qu'il y a eu une bavure commise par l'Armée syrienne libre», a confié au Figaro un responsable de la Ligue arabe, confirmant les propos d'un dirigeant d'une organisation des droits de l'homme.

Quelques heures après  l'attaque qui a provoqué la mort de Gilles Jacquier à Homs, mercredi 11 janvier, un dirigeant d'une organisation des droits de l'homme de cette ville a confié à un responsable de l'opposition syrienne en France qu'il s'agissait «d'une grosse ânerie» commise par les adversaires de Bachar el-Assad. «Au téléphone, mon interlocuteur, que je connais depuis de longues années, m'a dit en arabe que c'était une "djahachaneh", c'est-à-dire une grosse bourde de la part des opposants», nous a déclaré ce haut dirigeant de l'opposition. Pour ce dernier, son interlocuteur savait qui était derrière l'obus de mortier qui a tué sur le coup le journaliste de France 2, en visite ce jour-là à Homs, l'épicentre de la révolution contre le pouvoir d'Assad. «Peu après l'attaque, on a su assez rapidement, dans certains milieux de Homs, qui avait tiré», ajouta la source. Immédiatement après, opposants et pouvoir syrien s'accusèrent mutuellement d'être responsables de la mort de Gilles Jacquier.Ce responsable de l'opposition se confia le lendemain de l'attaque. Mais il fallait disposer d'autres éléments avant que Le Figaron'en fasse état. Le même jour, jeudi 12 janvier, notre source transmit le contenu de sa conversation avec son correspondant de Homs à Nabil al-Arabi, le secrétaire général de la Ligue arabe. Dans le cadre d'un plan de sortie de crise, l'organisation panarabe disposait d'observateurs sur place à Homs. «Nous les avons sollicités afin que toute la vérité soit faite sur cette affaire», confiait ce mercredi un diplomate du Quai d'Orsay.

Les rebelles « poussés à la faute »

Sur le terrain, les recherches des observateurs arabes semblent avoir progressé assez rapidement. Vendredi, un responsable de la Ligue arabe déclarait au Figaro que «nous savons désormais qu'il y a eu une bavure commise par l'Armée syrienne libre (qui a coûté la vie Gilles Jacquier, NDLR). L'ASL a été poussée à la faute par les miliciens pro-Assad, qui défiaient ses hommes depuis plusieurs jours. Les déserteurs ont voulu leur donner une leçon et leur faire peur. Nous savons que les tirs sont venus de Bab Sbah», un bastion de l'opposition, qui fait face à celui de Nouzha, peuplé d'alaouites pro-Bachar, où a été tué Jacquier.

Pour des raisons de sécurité, le responsable de l'organisation des droits de l'Homme à Homs et son correspondant de l'opposition en France ont demandé à garder l'anonymat. Mais ce dernier est prêt à témoigner devant une commission d'enquête. «J'attends qu'un juge indépendant soit nommé, dit-il. Même si elle est en notre défaveur, la vérité doit éclater.» Il confie avoir reçu, ces derniers jours, d'autres appels téléphoniques de Homs, confirmant la thèse de la bavure par l'Armée syrienne libre. Ces révélations contredisent l'hypothèse d'une manipulation par le pouvoir syrien, alimentée par les témoignages de plusieurs journalistes présents aux côtés de Gilles Jacquier au moment de l'attaque. Ceux-ci faisaient état «d'éléments troublants», comme le brusque départ des militaires en charge de leur surveillance, au moment du premier tir d'obus. Pour eux, le régime aurait voulu discréditer ses opposants en montrant au monde que les journalistes étaient visés par des «gangs armés».

Gilles Jacquier, 43 ans, se trouvait à Homs en compagnie de plusieurs journalistes, suisses, belges et libanais. Leur séjour avait été organisé par Sœur Marie-Agnès, une religieuse libanaise installée près de Homs. Plusieurs Syriens ont également trouvé la mort ce jour-là dans les quartiers de Nouzha et d'Akrima, touchés par plusieurs projectiles en l'espace d'une demi-heure, peu après 15 heures. «Pour moi, ces tirs venaient du quartier de Bab Sbah», assurait également jeudi soir sur France 2 le photographe libanais Joseph Eid, de l'AFP, qui se trouvait au sein du groupe de journalistes.

Selon des membres de l'opposition, les déserteurs de l'Armée syrienne libre possèdent des obus de mortier. «Ce type d'armes est trop imprécis pour une mission de liquidation ciblée», nous ont affirmé plusieurs généraux français.

La philosophe et professeur à l'Université de Westminster Chantal Mouffe.

Donc, lorsque l'on s'intéresse au salariat, il est très important de distinguer ce qui relève du discursif et ce qui relève de l'expérience concrète. Les personnes et les consciences ne se mettent pas en mouvement par une simple démonstration, comme dans les rêveries du socialisme utopique et le gauchisme où l'on vient avec son petit plan rationnel qu'il suffit d'exposer et le socialisme se fait comme deux et deux font quatre. Une des grandes leçons de Marx en la matière remet à sa place la force du verbe. En effet, c'est à travers les luttes, et notamment les luttes victorieuses, que l'on met en mouvement le grand nombre.

« Lisez donc les discours de Maurice Thorez ou de Jacques Duclos, ce n'est ni Sarkozy ni O'Petit ! Néanmoins, plus que le verbe, c'est l'action qui est la plus déterminante. Il faut faire la démonstration que l'action collective marche. »

Revenons à Cause Commune. Pourquoi fait-on un dossier sur la façon dont on peut sauver le bureau de poste proche de chez soi ? Parce que le fond du problème, et de ce qu'a été le déclin du PCF (années 1980-1990-début des années 2000), c'est lorsque vous avez une démonstration concrète de l'impuissance et de l'inutilité de l'action collective. Le déclin du PCF n'a pas eu lieu de la façon dont certains fabienologues [les spécialistes de la place du Colonel Fabien, là où siège le PCF, ndlr] le disent. Pour eux, il provient de décisions du comité central (« Le 4 avril 1983... », « le 3 avril 1987 », « le 1 er août 1978, lorsque Georges rentre de la chasse... »). Ces explications sont superficielles et ne vont pas au cœur du problème. Je vais vous donner un exemple. À la fin des années 1970, il y a une grande marche des sidérurgistes, qui sont beaucoup mieux organisés que le reste du salariat. La masse des gens est moins organisée et observe l'action des sidérurgistes, très impliqués et qui bénéficient d'un fort soutien syndical et politique. Or cette action échoue malgré leur lutte acharnée. Cela entraine des conséquences immédiates, incomparables à la force des discours et des résolutions de Georges, Charles ou que sais-je. Les gens se disent « si on lutte, on perd, donc autant que je me débrouille tout seul » et « c'est inutile de monter un syndicat dans ma petite entreprise où il n'y en a pas, puisque même les sidérurgistes, si organisés, se font laminer ». Cela révèle toute la puissance de l'expérience. La vérité du déclin du PCF est celle-là : l'expérience concrète de l'inefficacité de l'action collective qui conduit au repli des individus sur leur sort personnel.

Certes, le verbe est important, et il est aussi apprécié par les couches populaires qui apprécient le bon mot et la belle phrase. D'ailleurs, c'est l'honneur du Parti communiste de n'avoir jamais été démagogue et de n'avoir jamais « parlé mal » pour « faire peuple ». Au contraire, nous avons toujours eu à cœur de nous exprimer de la façon la plus belle et la plus noble possible. Lisez donc les discours de Maurice Thorez ou de Jacques Duclos, ce n'est ni Sarkozy ni O'Petit ! Néanmoins, plus que le verbe, c'est l'action qui est la plus déterminante. Il faut faire la démonstration que l'action collective marche. Plus encore, il faut faire faire aux gens l'expérience que l'action collective est efficace. Parce que cela réamorce des pompes essentielles pour l'emporter politiquement. Je me réjouis des 19,5% obtenus par Jean-Luc Mélenchon à l'élection présidentielle, mais ils ne suffisent pas, on n'ira pas au bout simplement avec ça et la puissance du verbe.

Par ailleurs, chez Marx, ce n'est pas le verbe qui permet de passer d'un prolétariat en soi à un prolétariat pour soi. C'est justement par les luttes et les relations dialectiques que le prolétariat entretient avec les autres classes qu'il prend conscience de lui-même. Aujourd'hui, on a un problème de conscience de classe, et il est de taille. Celle-ci a reculé très fortement au profit d'autres grilles « eux/nous » comme les délirantes mais ascendantes grilles raciales. Cependant, plutôt que d'être dans la nostalgie du « c'était mieux avant », il faut se poser fermement la question de savoir comment il est possible de reconstruire une conscience de classe. Nous devons amplifier ce travail mais vous pouvez compter sur les communistes pour le mener.

Entretien réalisé par Lenny Benbara pour LVSL

Crédits photo :

Roger Gauvrit

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