06/07/2018 reporterre.net  10 min #143319

Conférence de presse avec Nicolas Hulot : conclusions du comité interministériel de la biodiversité

Plan biodiversité : des bonnes intentions sans actes concrets, déplorent les Ong écologistes

ONG

Dévoilé en grande pompe au Muséum national d'histoire naturelle de Paris ce mercredi 4 juillet, le plan biodiversité cher à Nicolas Hulot promet notamment de mettre fin à l'artificialisation des sols. Mais à un horizon indéterminé et sans remettre en cause des projets actuels de bétonage. Les ONG écologistes ont réagi par la déception au Plan.

« Sur la planète, une espèce disparait toutes les vingt minutes », annonce d'une voix solennelle le Premier ministre, venu en personne présenter le « plan biodiversité » porté par son gouvernement. Sous le regard vide des girafes, hippopotames et autres fauves empaillés du Muséum national d'histoire naturelle, il reprend le cri du cœur poussé par Nicolas Hulot à l'Assemblée nationale en mars dernier. Car, non, affirme le Premier ministre, contrairement à ce que disait son ministre d'État, « la biodiversité, tout le monde ne s'en fiche pas ».

C'est pour porter cette thématique à la hauteur de celle du climat, dont les enjeux sont plus médiatisés, que ce texte a été conçu. Mais avec quels moyens ? « Seulement 600 millions d'euros ? » questionne une journaliste. Réponse cinglante du Premier ministre : « Plutôt que de faire du fétichisme du chiffre, je préfèrerais que l'on s'intéresse à l'efficacité des mesures. »


Mercredi 4 juillet, au Muséum national d'histoire naturelle.

Le Plan compte une centaine de mesures. Elles sont articulées autour de la préservation de la biodiversité et de la restauration des milieux naturels, de l'éducation de la société à ces questions environnementales, et de la reconnaissance de cet enjeu à l'échelle européenne et internationale. Trois axes sont mis en avant par le gouvernement : la fin de l'artificialisation des sols, la lutte contre la pollution des plastiques, et le soutien à la préservation de la biodiversité dans le domaine agricole.

Le lendemain, jeudi 5 juillet, les ONG concernées n'ayant pas été invitées à la cérémonie se réunissaient pour présenter à leur tour leurs impressions sur le fond du texte. Bilan : « 1/3 de concret, 1/3 de recyclé et 1/3 de peu engageant », selon la formule de France Nature Environnement. Elles soulignent les délais serrés dans lesquels a été réalisé le plan, dénoncent le manque d'ambition de certaines mesures et le flou de dizaines d'autres.

La fin de l'étalement urbain : des promesses démenties par les actes


Une bitumeuse.

L'un des principaux enjeux de ce plan biodiversité est la lutte contre l'étalement urbain. Une « menace très sérieuse, selon le Premier ministre, contre laquelle il est très dur de lutter tant la demande est grande », du fait des nécessités économiques et du modèle de vie périurbaine qui prévaut sur le territoire. Entre 2006 et 2015, l'artificialisation des sols a grignoté 660.000 ha d'espaces naturels, soit une surface équivalente au département du Pas-de-Calais. Mais n'y a-t-il pas contradiction entre les intentions affichées et la réalité des actes : le gouvernement  a dernièrement fait appel de l'annulation par le tribunal administratif du projet dévoreur de terres Europacity, et s'est prononcé  en faveur du Grand contournement ouest de Strasbourg, qui va lui aussi bétonner des dizaines d'hectares. C'est la question qu'a posée Reporterre. Réponse d'Edouard Philippe : « Nous n'allons pas cesser demain matin de construire et d'artificialiser certains sols. Personne ne le souhaite d'ailleurs, parce qu'il y a des projets commerciaux, des projets routiers, des projets d'infrastructures... Notre objectif est de nous dire que nous n'aggravons pas la situation. Cela passe, à certains endroits, par une "désartificialisation" des sols. »

La réponse d'Édouard Philippe sur l'artificialisation des sols.

Pour le gouvernement, « zéro artificialisation nette » ne signifie pas pour autant la fin, « irréaliste », de l'étalement urbain. Cet objectif s'accompagne en fait d'un système de compensation. Pour chaque surface artificialisée, il s'engage - à un horizon indéterminé - à « désartificialiser » (ou « renaturaliser ») un espace d'une surface équivalente. Une démarche « faisable, notamment avec des outils comme le plan local d'urbanisme (PLU) », explique la SNPN (Société nationale de protection de la nature), mais qui reste compliquée à mettre en place. « D'où sortent-ils cet objectif ? Et comment comptent-ils le tenir ? se demande Jean-David Abel de France Nature Environnement. On sait que la nature est capable de reconstruire, mais où va-t-on trouver par milliers des espaces compensables ? »

Autre nuance dans le texte du gouvernement : la « désartificialisation » englobe également le « construire autrement ». Édouard Philippe cite l'exemple de parkings qui pourraient être construits tout en luttant contre l'imperméabilisation des sols afin de « réduire considérablement l'inconvénient sur le milieu ». Une définition qui laisse les ONG dubitatives. La marche à suivre, selon elles, c'est « éviter » d'abord, puis « compenser » ensuite ce qui n'a pas pu être « évitable ». Reste encore à s'entendre sur la définition de ce mot.

Plus de plastique (non recyclable) dans l'océan en 2025

Le second thème majeur du plan biodiversité, c'est la lutte contre les déchets plastiques, thème sur lequel la France a « beaucoup de retard », selon Nicolas Hulot.

La « lutte féroce » que souhaite engager le ministre de la Transition écologique débute avec un objectif ambitieux : Ne plus jeter un seul plastique dans les océans d'ici 2025. Il propose pour cela « d'éliminer progressivement un certain nombre d'objets de la vie courante comme les couverts en plastique,  les pailles, les cotons-tiges ». Une intention « louable » mais insuffisante selon l'ONG Surfrider. Celle-ci craint notamment qu'ils ne soient remplacés par d'autres objets biodégradables, toujours à usage unique. « Si on ne s'attaque pas au plastique à usage unique biodégradable, on ne parviendra pas à tenir l'objectif de 2025, indique sa porte-parole. Biodégradable ou non, le plastique reste un prédateur pour la biodiversité marine. » L'ONG souligne également certaines lacunes du texte. « On nous parle des microbilles interdites dans les cosmétiques, mais il y en a toujours dans les détergents et aucune réglementation n'est en vigueur de ce côté. » De plus, ces mesures ne sont, pour elles, qu'un « calque » des exigences de la Commission européenne : la France pourrait aller plus loin.

Le ministre souhaite aussi « apprendre à recycler tous les plastiques », notamment en ne produisant plus que du plastique recyclé. Autre mesure, proposée par la secrétaire d'État Brune Poirson :  le retour de la consigne. Mais l'action ne sera mise en place, dans un premier temps, qu'à l'échelle des îles françaises. À nouveau, les ONG déplorent un discours qui « met en opposition le principe de substitution en face du principe de recyclage ». À nouveau, le texte ne va pas assez loin et n'apporte rien de fondamentalement nouveau.

Un soutien aux agriculteurs (au détriment des agences de l'eau)


Un paysage de la réserve naturelle régionale de la haute vallée de la Vézère, en Nouvelle Aquitaine.

Le plan biodiversité annonce, enfin, un certain nombre de mesures à destination de l'agriculture. En commençant par l'intensification de sa lutte contre les pesticides. Une mesure très bien accueillie par les ONG. L'État réitère son ambition d'une première sortie du glyphosate (pour les principaux usages) d'ici trois ans et d'une sortie intégrale d'ici cinq ans. De plus, le texte annonce l'extension de l'interdiction des néonicotinoïdes à tous les produits neurotoxiques. Une première étape saluée par Bernard Chevassus-au-Louis, de l'association Humanité et biodiversité, mais qui ne crie pas victoire pour autant. « La lutte sera longue », prévoit-t-il : qui dit interdiction des néonicotinoïdes dit usage croissant d'alternatives contenant des molécules néfastes pour la biodiversité.

Autre action à souligner : la hausse de la redevance sur les pollutions diffuses pour financer l'agriculture biologique, seule « vraie ressource nouvelle », selon Bernard Chevassus-au-Louis. Le texte prévoit 200 millions d'euros sur 4 ans, soit 50 millions par an.

Mais la mesure phare du plan biodiversité en matière d'agriculture, c'est la mise en place d'une rétribution aux agriculteurs pour « services environnementaux » rendus. Elle concerne « tout ce qui est relatif à la préservation des prairies, des zones humides, à la plantation de haies, à la couverture des sols, à la restauration des mares... autant de zones refuges pour la biodiversité qui sont essentielle à la préservation des populations d'insectes et d'oiseaux », annonçait mercredi Édouard Philippe. D'ici 2021, 150 millions d'euros provenant du 11e programme des agences de l'eau y seront consacrés. Deux points noirs cependant.

D'une part, les ONG demandent que tous les acteurs puissent y être éligibles (forestiers, collectivités territoriales, etc.). D'autre part, le mode de financement est préoccupant, selon elles. « Si ces agences de l'eau sont plafonnées, cet argent sera pris sur autre chose. Déjà l'an dernier, on a transféré le financement des parcs nationaux, et le financement de l'Office national de la chasse  sur les agences de l'eau. Au bout d'un moment, on se demande si l'État ne va pas transférer tout ce qui lui pose problème sur les crédits. »

Globalement, ces acteurs de la biodiversité reconnaissent le « bon diagnostic » du gouvernement. Mais à cette étape, le Plan qui est destiné à évoluer est largement insuffisant. Il restera symbolique sans une augmentation des moyens qui lui sont alloués, et sans une précision des mesures qui y sont inscrites. Et surtout, sans une cohérence entre l'annonce et les faits. Ce qui est loin d'être gagné.

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