13/09/2018 les-crises.fr  18 min #145629

Le Conseil Anticonstitutionnel ! Par Guillaume Berlat

Source :  Proche & Moyen-Orient, Guillaume Berlat, 10-09-2018

« La plus grande action magique de l'homme est d'établir des lois » (Tommaso Campanella). Pour ce qui est de notre Douce France, on pourrait ajouter aux normes les institutions. Il est bien connu dans notre pays que si l'on n'a pas de pétrole, on a heureusement des usines à gaz. Qui n'a pas entendu au moins une seule fois dans sa vie prononcé le terme magique, voire liturgique de Conseil constitutionnel ? À l'entendre, on est pris d'une envie irrésistible de se prosterner devant le Saint-Chrême de tout bon juriste qui se respecte. Une institution au-dessus de tout soupçon qui inspire naturellement la confiance quant à son indépendance, son objectivité, sa compétence, son expertise. Rares sont ceux - téméraires à tous les sens du terme - qui s'aventurent à formuler la moindre critique contre ce monument de la pensée à la française, ce Panthéon de la puissance du droit français !

Cela ne serait pas convenable, comme on le disait dans des temps révolus dans les bonnes maisons. Mais, à y regarder de plus près, les structures comme notre Cour suprême, ont une façade qui ne ressemble pas à son intérieur. Les ravalements de façade ne s'attaquent pas à la structure et aux fondations même de l'édifice. Comme souvent dans notre pays, il existe un gouffre entre des principes grandiloquents et des pratiques coupables. C'est pourquoi, il importe de s'arrêter quelques instants sur le cas du Conseil constitutionnel. Parfaite institution en théorie, elle apparait plus douteuse en pratique.

UNE INSTITUTION PLUS QUE PARFAITE EN THÉORIE

La vulgate politique vante urbi et orbi le prestige de l'institution sise aile Montpensier au Palais-Royal tant au regard de ses nobles fonctions que de sa parfaite composition.

Les fonctions du Conseil constitutionnel

À quoi sert le Conseil constitutionnel ? Créé en 1958, il a plusieurs missions :

Il est, d'abord et avant tout, chargé d'assurer le respect de la Constitution, qui est la norme suprême en droit français. Il effectue pour cela un contrôle de la constitutionnalité des lois et des traités internationaux, c'est-à-dire qu'il vérifie leur conformité à la Constitution (art. 54 et 61 de la Constitution). Ce contrôle est obligatoire pour les règlements des assemblées, les lois organiques et, depuis la révision constitutionnelle de juillet 2008, pour les propositions de lois prévues à l'article 11 (droit d'initiative citoyenne) avant qu'elles ne soient soumises à référendum. Il est facultatif pour les lois ordinaires et les engagements internationaux. Depuis la révision constitutionnelle de juillet 2008, le Conseil peut également être saisi, sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation, lorsqu'il est soutenu au cours d'une procédure de justice, qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution (art. 61-1). Cette mesure permet à tout citoyen de saisir par voie d'exception le Conseil à propos d'une loi déjà entrée en vigueur, ce qui jusqu'alors était impossible. Les justiciables disposent donc d'un nouveau droit : la question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

Le Conseil constitutionnel est en outre le juge de la régularité des consultations nationales que sont l'élection présidentielle, le référendum, les élections législatives et sénatoriales (art. 58, 59 et 60 de la Constitution).

De manière beaucoup plus exceptionnelle, le Conseil constitutionnel est amené à émettre des avis et à constater l'existence de certaines situations (empêchement ou vacance de la présidence de la République, situation justifiant l'octroi des pouvoirs exceptionnels conférés par l'article 16 de la Constitution au président de la République)1.

La composition du Conseil constitutionnel

En vertu de l'article 56 de la Constitution, le Conseil constitutionnel se compose de 9 membres nommés auxquels s'ajoutent des membres de droit comme nous l'apprend le site officiel du Conseil constitutionnel.

Mandat des membres. Le mandat des membres nommés est d'une durée de neuf ans et ne peut être reconduit, ce qui assure leur indépendance. Le Conseil constitutionnel est renouvelé par tiers tous les trois ans. En cas de décès ou de démission, l'autorité de nomination désigne un nouveau conseiller pour la durée du mandat restant à courir. Toutefois, une personne nommée en remplacement d'un conseiller décédé ou démissionnaire dont le mandat devait expirer avant trois ans, peut être nommée à nouveau pour neuf ans. Trois membres sont nommés par décision du Président de la République, lequel désigne aussi le Président du Conseil. Trois membres sont nommés par le Président de l'Assemblée nationale et trois autres par le Président du Sénat. Peuvent faire l'objet d'une nomination au Conseil constitutionnel tous les citoyens jouissant de leurs droits civiques et politiques. En pratique, il est fait appel à des personnalités dont la compétence est reconnue, notamment en matière juridique et politique, dont la nomination doit être approuvée par le Parlement. En effet, depuis la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, est applicable à ces nominations la procédure prévue au dernier alinéa de l'article 13 de la Constitution. Ainsi, les nominations effectuées par le Président de la République sont soumises à l'avis de la commission permanente compétente de chaque assemblée et le Président ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions. Les nominations effectuées par le président de chaque assemblée sont soumises au seul avis de la commission permanente compétente de l'assemblée concernée2. Le président du Conseil constitutionnel est Laurent Fabius dont les frasques du fils sont bien connues3.

Membres à vie. En outre, sont membres de droit à vie du Conseil constitutionnel les anciens Présidents de la République. Les deux Présidents de la IVème République, le Président René Coty et le Président Vincent Auriol, y ont siégé en cette qualité. Le Président Valéry Giscard d'Estaing, depuis 2004, le Président Jacques Chirac, depuis 2007, et le Président Nicolas Sarkozy, depuis 2012, occupent la place de membre de droit que leur attribue l'article 56 de la Constitution. Cependant, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy ne siègent plus depuis respectivement mars 2011 et janvier 2013. François Hollande a fait le choix de ne pas siéger au Conseil constitutionnel en qualité de membre de droit4.

Pour prévenir tout malentendu, nous nous sommes bornés à reprendre littéralement la manière dont le Conseil constitutionnel se définit lui-même. Mais, il importe d'aller au-delà de ces descriptions lénifiantes pour mieux appréhender la réalité de cet objet juridique parfaitement identifié. Force est de constater que cette noble et auguste institution est loin d'être sans reproche à la lumière de sa pratique plus que « douteuse ».

UNE INSTITUTION PLUS QUE « DOUTEUSE » EN PRATIQUE

C'est que cette noble institution pêche au moins à deux titres au regard du critère d'impartialité (corollaire de son indépendance) qu'elle soit objective ou subjective, qui constituent les marqueurs d'une Justice indépendante dans un authentique état de droit.

Son impartialité objective : la conséquence de sa composition

Une question fondamentale. Le problème de l'impartialité des juges se pose avec une acuité évidente, puisqu'ils sont nommés par les plus hautes autorités de l'État (Président de la République, Président de l'Assemblée nationale, Président du Sénat). L'un des plus grands détracteurs est François Mitterrand, qui décria souvent la Ve République lorsqu'il fut dans l'opposition. Il surnomma le Conseil constitutionnel, dans son ouvrage Le Coup d'État permanent, « cour suprême du musée Grévin, le plus docile des corps dociles du général de Gaulle ». Il faisait surtout référence au premier président du Conseil, Léon Noël, très proche de Charles de Gaulle. Mediapart fit remarquer que le président oublia ces reproches lorsqu'il nomma président du Conseil constitutionnel, en 1986, Robert Badinter, un de ses plus fervents collaborateurs. Toutefois, depuis la réforme constitutionnelle de 2008, les commissions parlementaires peuvent s'opposer à ces nominations à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Ces personnalités nommées le sont souvent à la suite d'une carrière politique notoire. On peut ainsi citer l'exemple de Simone Veil (ministre de la Santé, Présidente du Parlement européen, ministre d'État, ministre des Affaires Sociales, de la Santé et de la Ville) ou de Pierre Joxe (ministre de l'Industrie, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, ministre de l'Intérieur et de la Décentralisation, ministre de l'Intérieur, ministre de la Défense).

Des interrogations légitimes. Certains hommes politiques français mettent ainsi régulièrement en cause cette institution, notamment en l'accusant de rendre des décisions d'abord politiques. Le problème qui est alors évoqué n'est pas tant un problème d'impartialité, mais surtout de la répartition des sièges au Conseil, avec 10 représentants de la droite et 1 de la gauche. Toutefois, le Conseil constitutionnel, même lorsqu'il est en concordance politique avec le Président de la République, le Gouvernement, le Parlement, n'hésite pas à censurer des dispositions qui sont contraires à la Constitution, et ce, régulièrement. Par exemple, en 1971, la décision Liberté d'association a montré cette indépendance, puisque le Conseil constitutionnel était totalement du même bord politique, et s'est pourtant prononcé contre l'ensemble d'une loi, en se positionnant de la même manière en gardien des libertés fondamentales. Robert Badinter a pu parler de « devoir d'ingratitude » des membres du Conseil envers ceux qui les ont nommés5.

Des doutes sérieux. Pour faire simple, comment être certains que d'anciens hommes politiques (premier ministre, ministre) qui ont pris une décision lorsqu'ils étaient en fonction ne soient pas tentés de faire preuve d'une certaine mansuétude lorsque pareille décision est attaquée devant le Conseil constitutionnel au sein duquel ils siègent comme juge de la conformité à la Constitution ? Tel est le risque inhérent à la confusion des genres. Si Fregoli passe bien au music-hall, il passe mal dans la sphère du droit constitutionnel.

En sus d'un problème structurel d'impartialité objective, le fonctionnement du Conseil constitutionnel est grevé d'une autre hypothèque tenant à son impartialité subjective, sujet tabou réservé à quelques initiés dont vous n'êtes pas, comme dirait Coluche.

Son impartialité subjective : la conséquence de ses pratiques

Les balivernes à revoir. Sans parler des « cumuls de Laurent Fabius »6 son président (il est charge de la préparation d'un pacte mondial pour l'environnement en tant que représentant spécial du secrétaire général de l'ONU) et de l'autocélébration du Conseil par ses propres soins7, d'autres pratiques moins connues du grand public jettent une ombre sur l'indépendance et sur l'impartialité de notre cour suprême. C'est que les pratiques de ceux que l'on appelle les « sages de la Rue de Montpensier » ne seraient pas très orthodoxes. Et, c'est le moins que l'on puisse dire à prendre connaissance d'une enquête réalisée par Marianne8. C'est que nos incorruptibles à la manière d'Eliott Ness ne seraient pas insensibles aux amicales pressions de certains groupes de pression, en particulier venant du monde de l'entreprise. Un des principaux leviers de l'influence de l'entreprise sur l'institution la plus puissante de France possède un nom barbare : « les portes étroites » (rien à voir avec celle d'André Gide).

Les portes étroites. Cette drôle d'expression, imaginée en 1991 par le professeur de droit (bien connu des juristes) Georges Vedel ; qui évoque l'idée d'une brèche dans laquelle on s'engouffre, désigne les mémoires juridiques envoyés par des représentants de la société civile (chère à Jupiter) - particuliers, entreprises ou associations - directement devant le Conseil constitutionnel, quelques jours avant qu'il ne prenne une décision sur la conformité d'une loi à la Constitution. Elles sont désormais publiées sur le site officiel des « Sages » mais cela ne change rien à ces pratiques. Le problème est que ces lobbies ont parfois obtenues gain de cause dans le passé. Le gouvernement n'a, pour sa part, pas accès à la « porte étroite » rédigée par un professeur de droit respecté, moyennant quelques espèces sonnantes et trébuchantes. L'hebdomadaire Marianne nous donne quelques noms d'éminentes professeurs de droit public qui arrondissent leur fin de mois en ouvrant quelques « portes étroites » tels de vulgaires Arsène Lupin. Pour faire court, nous sommes dans le règne du « mélange des genres et des petits arrangements entre amis » mais surtout dans celui où les « Sages » peuvent être juges et parties à la même cause...

Le vide déontologique. Rappelons que les « Sages » de la rue de Montpensier ne remplissement même pas de déclarations d'intérêts et, et leurs rendez-vous éventuels avec des lobbyistes demeurent en dehors de tout contrôle. Aujourd'hui, « au niveau de la déontologie, il n'y a aucune réflexion au Conseil constitutionnel, actuellement, c'est le niveau zéro » regrette le professeur Perroud. Interrogé sur le sujet, le Conseil constitutionnel botte en touche en déclarant que « ce type de réformes relèvent de la compétence du législateur organique ». Argument juridique implacable. C'est pas moi, c'est l'autre. Rien ne l'empêcherait de se doter d'un code de déontologie à l'usage de ses membres pour démontrer sa bonne foi sur ce sujet aussi sensible que le conflit potentiel d'intérêt. Rappelons que le Parlement avait adopté, en juillet 2016, dans sa loi organique sur le Conseil supérieur de la magistrature un amendement instituant l'obligation pour les membres du Conseil constitutionnel de remplir une déclaration d'intérêts. Qui, le 28 juillet, ont... censuré cette disposition qui les concernait ! « Elle ne représente pas de lien, même indirect avec celles du projet de loi organique » ont rétorqué les Sages. Comment envisager un seul instant de soupçonner quelqu'un appartenant à une structure censée être au-dessus de tout soupçon ? C'est tout simplement impensable et donc impossible. Comme le souligne Marianne, « ce jour-là, le glaive de la justice constitutionnelle a rendu service à ses membres ».

La République des contradictions. Si l'on comprend bien ce que nous savons du fonctionnement concret du Conseil constitutionnel, nous baignons dans la mer des contradictions à la française. L'institution, qui a la lourde et noble charge de s'assurer que tous les actes de la puissance publique sont conformes à la loi suprême, à savoir la Constitution française de 1958 - sorte de bible et des prophètes de la démocratie -, ne serait pas irréprochable. Pire, elle serait pêcheresse. Elle aurait même les mains dans le pot de confiture. C'est à n'y rien comprendre dans la patrie autoproclamée des droits de l'Homme et autres sornettes que débitent nos dirigeants dans les tribunes internationales... mais qui font doucement rigoler nos partenaires épris de Vérité et détestant le déni de réalité.

« J'ai remarqué que le jugement le plus dénué de tout fondement, la plus sotte grossièreté prend du poids, du fait de l'influence magique de l'imprimerie » nous avertissait en son temps Alexandre Pouchkine. Nous pouvons aujourd'hui y adjoindre les nouvelles techniques de l'information : médias traditionnels, réseaux (a)sociaux et autres intelligence artificielle. C'est qu'aujourd'hui le bobard, la vérité révélée par la bienpensance, circulent à la vitesse de l'éclair aux quatre coins de la planète, plus trivialement aux quatre coins de l'hexagone. Sans une improbable réforme du Conseil constitutionnel, qui devrait s'accompagner de remises à plats fondamentales des fonctions du Conseil d'État (en finir avec sa double casquette inadmissible de conseil et de juge de l'État9) et de « l'indépendance » du parquet (dépendance par rapport à l'exécutif jugée non conforme à la convention européenne des droits de l'Homme par la Cour européenne des droits de l'Homme du Conseil de l'Europe à Strasbourg, à ne pas confondre avec la Cour de Justice de l'Union européenne qui a son siège à Luxembourg)10, la France ne sera toujours pas un authentique État de droit. Ni plus, ni moins si les mots ont encore un sens dans la langue française. La France ferait mieux, une bonne fois pour toutes, de cesser de donner des leçons de morale insupportables à la terre entière (Cf. contre la Pologne au sein de l'Union européenne) tant elle est n'est pas irréprochable, et cela à maints égards. À quand la fin programmée du Conseil anticonstitutionnel de l'ancien Régime, de l'ancien monde par notre sérénissime maître des horloges, porteur des bienfaits du monde nouveau ?11

Guillaume Berlat
10 septembre 2018


1  vie-publique.fr
2 Roseline Letteron, L'affaire Mercier ou la constitution maltraitée,  www.libertescheries.blogspot.com, 5 août 2017.
3 Marc Leplongeon, Thomas Fabius : l'étau judiciaire se resserre,  www.lepoint.fr, 5 septembre 2018.
4  conseil-constitutionnel.fr
5 https://fr.wikipedia.org/wiki/Conseil_constitutionnel_(France)#Impartialit%C3%A9
6 Roseline Letteron, Les cumuls de Laurent Fabius,  www.libertescheries.blogspot.com, 19 novembre 2017.
7 Roseline Letteron, Protocole n° 17 : le Conseil constitutionnel qualifié de « juridiction » par lui-même,  www.libertescheries.blogspot.com, 29 décembre 2017.
8 Étienne Girard, Les « Sages » assiégés par les patrons, Marianne, 24-30 août 2018, pp. 16-17-18-19.
9 Roseline Letteron, Conseil d'État : l'impartialité garantie par soi-même,  www.libertescheries.blogspot.com, 22 octobre 2017
10 Roseline Letteron, Magistrats du parquet : l'indépendance dans la dépendance,  www.libertescheries.blogspot.com, 11 décembre 2017.
11 Roseline Letteron, Modernisation des présidentielles et impartialité du Conseil constitutionnel,  www.libertescheries.blogspot.com, 23 avril 2016.

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Source :  Proche & Moyen-Orient, Guillaume Berlat, 10-09-2018

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