18/11/2018 histoireetsociete.wordpress.com  9 min #148428

Les premières images des deux immeubles effondrés à Marseille (Photos, Video)

Il n'y aura (peut-être) pas d'après-rue-d'Aubagne

beau billet qui met en évidence l'extraordinaire vitalité des marseillais à l'image de cette ville foutrarque qui est toujours trahie y compris par ceux qui l'aiment. Je me souviens d'un jour au local du parti qui était à l'époque rue saint Bazile, c'était u lendemain d'éléction qui avaient été décevante pour le pCF. Paul Cermolacce s'est mis tout à coup à crier, amoureux et exaspéré: « cette ville est une pute »... et j'ajoute qu'elle a pas mal de souteneurs amoureux de leur gagneuse... (note de danielle Bleitrach)

Billet de blog
Blaah

16 Nov 2018  13


Symbole ultime et tragique d'une incurie municipale que chacun constatait depuis 20 ans, l'effondrement des immeubles de Noailles précipite la colère de la ville. Mais dans cette fin de règne où transparaît l'impatience d'enfin tout reconstruire, la lutte oppose moins les Marseillais à leurs institutions qu'entre elles les multiples facettes d'une même ville.

On se serait surpris à imaginer, mercredi, Jean-Claude Gaudin reclus dans son bureau municipal, derrière les portes verrouillées d'un Hôtel de ville que des rangées de grilles et de policiers isolaient encore un peu plus de la colère. 53 ans de mandats électifs, dont 23 à la tête de la ville : une telle longévité ne s'obtient pas sans aimer Marseille, quoi qu'on en dise. C'est ce qui rend le gâchis encore plus cruel. Marseille était peut-être son Rosebud ; aussi assourdissantes soient les huées au moment de quitter la scène, jamais elles ne tortureront le chef déchu autant que son propre regard sur ce demi-siècle, et cet amour perdu de vue jusqu'à l'aveu fait à soi-même d'une trahison pure et simple.

Au rythme des perquisitions, rapports de la cour des comptes et tout simplement des lacunes constatées par tout un chacun depuis plusieurs années, l'incompétence municipale ne faisait plus guère de doute. Moqueries et commentaires acerbes aidaient les usagers à s'accommoder tant bien que mal de cette pétaudière si marseillaise. Puis il y eut Simona. Fabien. Niasse. Taher. Chérif. Ouloume. Marie-Emmanuelle. Julien. Huit noms jetés dans la médiocre cuisine phocéenne, qui rappellent que si l'incompétence fait rire, si l'incompétence exaspère, surtout : l'incompétence tue. « Huit vies sur la conscience », froid constat à jamais opposable à ceux qui n'ont de cesse, depuis dix jours, de se débattre dans leur médiocre irresponsabilité. Huit vies emportées brutalement, mais combien d'autres non comptabilisées, éteintes à petit feu dans les logements insalubres, au bord des routes et du port pollués comme jamais... « La mairie tue » : le raccourci est trop facile dans cet enchevêtrement de responsabilités, mais il en demeure pertinent. L'inaction, le mépris ont bien tué, et une telle faillite de la part de ses représentants paraît si inconcevable, si insupportable, qu'elle ne peut qu'en marquer un point de non-retour. Après le drame, plus rien ne sera comme avant, lit-on.

Et après ?

Et pourtant, il paraît bien incertain, cet « après-rue-d'Aubagne » auquel on voudrait tant croire. L'émotion proclame la fin imminente d'un système municipal délétère, en oubliant que si Marseille l'a perpétué si longtemps, c'est que Marseille y trouve aussi son compte. Le Marseille populaire et le Marseille militant ont ces derniers jours crié leur désarroi légitime. Mais le Marseille clientéliste cessera-t-il de voter pour qui lui promet un emploi ou un logement ? Cessera-t-il de récompenser les paniers garnis du troisième âge, les inaugurations de boulodromes, les soutiens aux communautés diverses, et tous ces renvois d'ascenseurs bâtis sur une réciprocité d'intérêts bien sentis, hormis l'intérêt général ? Le drame de la rue d'Aubagne changera-t-il quelque chose au Marseille du repli, celui qui voit se multiplier les lotissements clôturés, surprotégés, tandis qu'à un jet de pierre d'autres quartiers n'en finissent pas de se recroqueviller sur leur propre délabrement ?

Que des têtes tombent, c'est inéluctable, mais quid de l'après ? Un successeur qui utilisera les mêmes recettes électorales maquillées d'un peu de « changement dans la continuité » ? Un maire de transition, présentant bien et respectant les équilibres, mais qui n'aura pas l'once du commencement de la puissance nécessaire à faire évoluer une administration viciée ? Remettre celle-ci en ordre de marche nécessitera des efforts, voire des combats, longs et colossaux, quand bien même l'infamante mise sous tutelle des secteurs les plus vitaux viendrait alléger le fardeau.

« Je t'en foutrai, du vivre-ensemble »

Dans l'éditorial de ce jour, Libération évoque la fin d'un système. Ceci n'a rien d'une évidence, car le discrédit de l'équipe municipale ne représente que l'écume : ce ne sont pas contre ses politiques que Marseille devra se battre mais, comme toujours, contre ses propres démons. Artiste, étudiants venus grâce à l'ouverture européenne, immigrés africains, bénéficiaires d'aides sociales : malgré la récupération hypocrite de Stéphane Ravier, les victimes incarnent tout ce que l'extrême-droite méprise. Passé le temps du deuil, ses discours mortifères poursuivront leur œuvre de gangrène auprès d'un électorat toujours plus à l'écoute. En centre-ville, le fracas de l'effondrement s'est mêlé aux bruits de la Plaine, là où deux Marseille se toisent sans s'entendre car d'écoute la mairie n'a jamais voulu. Pour paraphraser Alessi Dell'Umbria, le Marseille qui habite tente de résister au Marseille qui réside, celui qui lutte contre les « usages déviants » de l'espace public, fait fermer les salles de concerts, et rêve sans doute d'imposer aux usagers de la ville de l' »occuper bourgeoisement », comme il est écrit dans les règlements d'immeubles. Certains dans ce Marseille-là s'attristent des vies perdues, en refusant de voir qu'elles sont aussi le prix de ce laisser-pourrir préludant aux grandes opérations d'urbanisme. Quel candidat aux municipales promettra de construire des HLM en lieu et place des bâtiments évacués ou détruits dans ce centre-ville empli de potentialités lucratives ? Quel électeur validerait une telle promesse ?

Le Marseille qui s'exprime aujourd'hui, c'est celui de l'action, du mélange, celui du bruit, celui des rues et des places, le Marseille qui n'attend pas la permission pour vivre ensemble. Il évoque le mythe fondateur de la génération Chourmo, c'est aussi celui incarné dans les groupes de supporters ; il ne va pas sans débordements, sans contradictions, voire parfois sans compromissions, mais il demeure essentiel. Il n'y avait pas meilleur endroit pour faire ses humanités que les rues du centre, ce mélange permanent et forcé où il est impossible de trouver sa place sans faire l'effort de comprendre l'autre. Qu'on l'idéalise ou non, ce creuset méditerranéen et populaire est une réalité de Marseille, et c'est cette réalité qui dit aujourd'hui sa soif de changement. Mais l'émotion et le fracas ne doivent pas faire oublier la force - ne fût-ce qu'une force d'inertie - de l'autre Marseille, celui qui comme le reste du monde occidental a peur, s'isole et se dit « à quoi bon ». Plein de bonne volonté, Laurent Joffrin incitait le Marseille qui manifeste à transcrire cette mobilisation dans les urnes ; il semblait croire à un Grand Soir municipal comme si, par magie, ces immenses masses du Marseille conservateur et du Marseille désabusé avaient soudain cessé d'exister. Plus encore que les intrigues successorales, les choix de ces électorats ressemblent pourtant à un enjeu majeur.

« On n'oubliera jamais que le bonheur est dans l'action »

Qui occupera l'hôtel de ville, voici donc un futur incertain et peu propice à l'optimisme. Mais l'énergie des habitants, elle, demeure. Quoi qu'en disent ceux qui y voient une nouveauté, nombre de Marseillais n'ont jamais attendu que la ville s'écroule pour se prendre en main, tout simplement parce qu'il s'agissait de la seule alternative à l'invisibilité des pouvoirs publics. Pour ne parler que de l'année écoulée, ce sont ces militants qui vont, truelles et pinceaux en main, repeindre eux-mêmes une école délabrée. Ce sont ces parents qui, lassés d'attendre une réponse de la voirie, achètent et installent eux-mêmes un ralentisseur. Ce sont les associations parfois alliées de la tambouille municipale, mais aussi et parfois seuls actrices du lien social dans certains quartiers. C'est la débrouille et l'improvisation quotidiennes de part et d'autre de la ville, pas parce que ça fait bien, pas parce que c'est militant, mais tout simplement parce qu'ici, on n'a pas le choix. Imposée par des années de désintérêt réciproque entre les habitants et les institutions publiques, cette vie sociale parfois à la lisière de l'autogestion est une richesse paradoxale, et en tout cas un trésor que bien d'autres collectivités en manque de démocratie participative pourraient nous envier.

À l'heure où l'institution municipale paie le prix d'une éternité de délitement moral et fonctionnel, il serait tentant d'opposer la saine et unanime colère du peuple et sa volonté massive de faire table rase. Cette vision paraîtrait étrangement simple, tant la marseillologie est faite de paradoxes et de contradictions. La transition avec les années Gaudin sera-t-elle aussi brutale que l'émotion ambiante le laisse présager ? Et surtout, les électeurs marseillais soutiendront-ils cette volonté de justice envers ces classes populaires ignorées pendant des décennies ? L'enjeu ne se trouve même pas ici, serait-on tenté de dire ; au-delà de l'échéance électorale, c'est cette force d'agir ensemble et d'occuper l'espace public qui est à cultiver. Manifester et dénoncer quand l'actualité l'exige et en tous temps, partager, discuter, rire et vivre ensemble, car c'est dans ses rues que se fait la ville. Lieu de mélange et de dialogue pour les idéalistes, huis-clos aux protagonistes condamnés à s'insupporter éternellement pour les cyniques, toujours est-il que de cette tension, de ces crispations, naît cette vitalité foutraque qui irrigue Marseille. Cette énergie collective, c'est à peu près la seule digue qui protège la ville quand le monde entier nous incite au repli. C'est elle qui attirait l'auteur de ces lignes et qui maintient aujourd'hui, encore un paradoxe, un amour immodéré pour cette ville où il n'est pourtant jamais revenu vivre. C'est peut-être le même esprit qui fit venir Simona, Fabien, Niasse, Taher, Chérif, Ouloume, Marie-Emmanuelle, Julien, dans cette ville à qui il arrive de tuer ceux qu'elle aime. Pour eux surtout, les manifestants et plus largement ceux qui bougent, ceux qui crient, ceux qui font, ont montré que l'énergie des Marseillais ne s'éteignait pas.

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