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Depuis plusieurs semaines, les collégiens et lycéens belges font la « grève de l'école » en manifestant tous les jeudis pour pousser leurs dirigeants à l'action contre le changement climatique.
- Bruxelles (Belgique), reportage
Jeudi 31 janvier, plusieurs milliers de collégiens et de lycéens ont traversé Bruxelles à vive allure certainement pour mieux braver le froid du nord au sud, dans une ambiance festive, et ce, pour la quatrième fois en un mois. Brandissant des pancartes en français, en néerlandais et en anglais, ces jeunes Belges « brossaient » les cours [expression belge pour parler de l'école buissonnière] afin d'interpeller les dirigeants politiques sur une préoccupation de plus en plus fondamentale pour eux : leur avenir... sur cette planète.
« Nous avons un rôle à jouer, pas en tant qu'élèves, mais en tant qu'êtres humains », explique Fanny, 13 ans, venue manifester avec sa camarade Camille et la maman de celle-ci. « Que voulez-vous qu'on leur dise ? C'est leur avenir aussi », dit Claire, la mère de famille. Les deux adolescentes, originaires d'Ottignies, dans le Brabant wallon, sèchent pour la première fois les cours pour participer à la manifestation. « Je crois que la jeunesse a un vrai pouvoir de mobilisation. Je les soutiens parce que je pense qu'elles apprennent beaucoup en venant ici », explique Claire.
Camille 13 ans a manifesté le dimanche avec ses parents, ce jeudi sa maman est venue manifester avec elle.
« L'administration de l'école n'est pas très contente »
Hannah et Isra, 13 ans également, sont venues de Mechelen (Malines), en Flandre. Ce jeudi matin, elles ont pris le train avec une trentaine de camarades de leur école. Elles assurent avoir le soutien de leurs parents, qui ont dû écrire une lettre pour autoriser leur absence. « L'administration de l'école n'est pas très contente », concèdent-elles. Toutes les deux tiennent des pancartes en anglais, langue qu'elles maîtrisent remarquablement bien pour leur âge. « C'est parce qu'on veut parler à tout le monde, pas uniquement au gouvernement belge », expliquent les deux adolescentes, qui se disent surtout préoccupées par la fonte de la banquise et la disparition des animaux.
Hannah et Isra, 13 ans, pour leur premiere manifestation sont venues de Mechelen en Flandre.
Ces marches sont organisées par Youth For Climate, une organisation lancée récemment par des étudiants flamands pour répondre à l'appel de Greta Thunberg, rendue célèbre par son intervention à la COP24, à organiser une « grève scolaire » pour le climat. En Belgique, le discours de la militante suédoise s'est télescopé avec un autre événement d'actualité : alors que les Belges venaient de marcher le 2 décembre 2018 pour demander des politiques plus ambitieuses sur le climat, le gouvernement fédéral n'a finalement pas soutenu le paquet énergétique européen, censé aider l'UE à atteindre ses objectifs pour l'Accord de Paris. « Ça a été une claque pour tous ceux qui étaient venus à peine deux jours avant », commente Claire.
Anuna de Wever et Kyra Gantois, 17 ans, les deux Flamandes qui ont lance Youth For Climate.
La marche du 2 décembre, organisée par une coalition de 70 organisations de la société civile, a rassemblé près de 100.000 personnes, « un score historique et important pour un petit pays comme la Belgique », souligne Nicolas Van Nuffel, président de la Coalition climat. L'engagement de plusieurs personnalités et artistes belges, à travers une vidéo intitulée « Je peux pas, j'ai climat ! », a joué dans la prise de conscience de la population, de même que la publication du rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) peu de temps auparavant. L'été 2018 particulièrement chaud, a également marqué les esprits, révélant ainsi concrètement les effets du réchauffement climatique.
« On nous répond que c'est aux citoyens de changer leurs habitudes, alors qu'en fait, c'est les ministres qui doivent changer les politiques »
En un mois, devant la faiblesse de la réaction politique, les événements se sont emballés Youth For Climate a appelé, dans une vidéo diffusée le 28 décembre, à une première grève scolaire le 10 janvier, qui a rassemblé 3.000 Belges, principalement des Flamands. Le jeudi suivant, 12.500 jeunes ont participé à la journée de mobilisation. Côté wallon ainsi que chez les francophones de Bruxelles, on n'a pas voulu être en reste et quelques jeunes ont créé la page Facebook Génération climat : « Il n'y avait qu'un événement flamand et on voulait mobiliser aussi en Wallonie », explique Youna Marette, une des administratrices. Résultat : ils étaient 35.000, le 24 janvier 2019, dans les rues de la capitale et quelques milliers à Liège et à Anvers. La mobilisation a attiré l'attention de la presse internationale, mais aussi des politiciens.
Car dans la foulée, le 27 janvier, les Belges de tous âges étaient de nouveau 70.000 à descendre dans la rue pour appeler les dirigeants à l'action, à l'initiative du collectif citoyen Rise For Climate Belgium et non plus à celle des ONG. « C'est bien, cela montre que les citoyens se disent eux-mêmes : il faut qu'on se bouge », analyse Nicolas van Nuffel. Le Premier ministre, Charles Michel, s'est donc finalement décidé la semaine dernière à ouvrir le débat pour une nouvelle politique climatique avec la Coalition climat. Les jeunes de Génération climat ont également été reçus par la ministre chargée de la question. « On ne pense pas qu'on ait été entendus. On nous répond que c'est aux citoyens de changer leurs habitudes, alors qu'en fait, c'est les ministres qui doivent changer les politiques, estime Piero Amand, lycéen de 17 ans. On va cependant continuer à répondre aux invitations des politiques, pour ne pas être accusés de refuser le dialogue. »
Piero Amand, Lea Dechambre et Youna Marette ont lance la page Generation Climat et ont ete recus par la ministre federal et le ministre wallon du climat.
L'objectif de toutes les personnes mobilisées est désormais de faire pression sur le gouvernement jusqu'aux élections fédérales de mai. Les lycéens, rejoints progressivement par les étudiants, veulent poursuivre leur grève tous les jeudis (le jour de la semaine où le gouvernement définit son agenda, et non les vendredis, comme avait appelé initialement Greta Thunberg).
« C'est nous qui allons hériter des conséquences, donc si c'est pas nous qui nous mobilisons, ce sera qui ? »
Cette motivation, pour les écoles et les parents, n'est pas sans poser de problèmes. Mais comme l'explique Johanna Vandenbussche, professeure en secondaire à Gand et membre de Teachers for Climate, présente à la manifestation avec son fils de 6 ans, « les enseignants, dans leur ensemble, pensent que la mobilisation est une "bonne école" aussi pour eux. Certes, les établissements sont un peu perdus, et ne savent pas ce qu'il faut faire quand les élèves sèchent les cours. Certains sont très sévères et les élèves reçoivent des relevés d'absence, d'autres ont décidé de ne pas les compter et mettent en place des cours de rattrapage. Les élèves demandent qu'on les soutienne ».
À un carrefour, justement, le cortège est acclamé avec un enthousiasme béat par une vingtaine de « grands-parents pour le climat » criant « Bravo les jeunes ! » tandis que plus loin, ce sont des parents qui attendent la troupe, avec des messages humoristiques, mais cette fois sur un ton plus contrit, voulant dire à la fois « On vous pardonne » [de rater les cours] et « Pardonnez-nous » [de notre inaction]. À l'écart, un homme, un néerlandophone à la belle barbe blanche, observe la troupe joyeuse en ouvrant des yeux ronds. Il commente, perplexe : « Pour moi, c'est juste une mode. Cela passera, comme toutes les modes. »
Le groupe des « grands-parents pour le climat ».
Jeudi 31 janvier, à Bruxelles.
Pourtant, dans le discours des jeunes, une demande se fait récurrente, celle d'être pris au sérieux. « On nous dit que nous sommes jeunes, que nous ne savons pas ce que nous disons, qu'on est manipulés, mais nous écoutons les scientifiques et eux nous disent qu'on a raison », lance au micro Adelaïde Charlier de Youth for Climate. « C'est nous qui allons hériter des conséquences, donc si c'est pas nous qui nous mobilisons, alors ce sera qui ? » complète Piero. « Leur volonté est très forte. C'était une grande surprise pour nous de les voir se mobiliser. C'est parti d'eux et ils veulent rester autonomes. Nous pouvons leur apporter notre expérience s'ils le souhaitent », observe Nicolas Van Nuffel, pour qui la société civile, en Belgique, a la particularité d'être très bien organisée et depuis longtemps. « Les ONG, les syndicats, les organisations de jeunes, etc. travaillent tous ensemble, restent toujours dans le dialogue et avancent dans le même sens. Cela explique que la société civile a su rebondir sur les événements et sait organiser l'action. »
« On espère bien contaminer aussi nos camarades français ! »
Au-delà des manifestations et de la « grève de l'école », les Belges explorent d'autres formes de mobilisation. Par exemple, les activistes d'Act for Climate Justice suggèrent aux gens d'appeler au téléphone directement les ministres le pays possède pas moins de quatre ministres du Climat : fédéral, bruxellois, flamand et wallon ! afin qu'ils mettent en place une politique ambitieuse. Youth For Climate a lancé une plateforme participative pour déposer ses idées.
La Coalition climat, quant à elle, soutient la démarche d'un groupe de juristes et d'universitaires qui a carrément rédigé un projet clé-en-main de « loi spéciale » (un texte juridique à valeur semi-constitutionnelle) qui définirait l'ambition de la Belgique et les mécanismes pour atteindre un objectif de « climat sûr et sain pour l'humain et la biodiversité ».
Jeudi 31 janvier, à Bruxelles.
Pour ce jeudi, les jeunes ont déjà appelé à faire la grève et à manifester plutôt chacun dans sa ville d'origine. Ils prévoient également de se joindre à la grève scolaire internationale du 15 mars. « On espère bien contaminer aussi nos camarades français ! » s'enthousiasme Camille. Les Australiens, les Suisses, les Canadiens et les Allemands ont déjà repris l'idée de la désobéissance civile via l'école buissonnière. En France, la jeune Ysée Parmentier, 14 ans, commence à faire parler d'elle après avoir lancé toute seule dans son collège du sud de la France, une grève pour le climat.