Après cinq semaines de mobilisation pour le climat et de « leçons » au gouvernement, la jeunesse francilienne fait le point dans cette tribune. Et appelle à poursuivre les marches et à « accentuer encore la désobéissance et l'action directe ».
Ce texte a été écrit par les Camille du groupe « revendications » constitué à la suite de l'assemblée générale (AG) interfac rassemblée vendredi 8 février 2019 et comportant des étudiant.e.s et lycéen.ne.s de divers établissements de la région parisienne. Cette AG a été organisée par plusieurs associations étudiantes parisiennes écologistes en vue de lancer le mouvement de grève pour l'environnement de la jeunesse reconduite chaque vendredi à partir du 15 février.
Le 12 février 2019, Reporterre publiait leur manifeste pour le climat et leur premier ultimatum : déclarer l'état d'urgence écologique et sociale afin de débloquer un plan interministériel à la hauteur des risques encourus. Leur deuxième ultimatum concernait l'énergie, le troisième, l'alimentation, le quatrième l'écoféminisme et, le cinquième, l'organisation capitaliste mondialisée.
Voilà déjà cinq semaines que la jeunesse francilienne se mobilise chaque vendredi pour l'environnement. Nos modes d'actions sont multiples : chaque semaine, outre la grève scolaire, nous publions une revendication thématique en tribune de Reporterre, initions une marche et une action de désobéissance civile sur un lieu en lien avec la revendication, et participons aux ateliers de sensibilisation et aux conférences-débats organisées localement dans plusieurs universités et lycées.
Saluons sur ce dernier point la très bonne dynamique des campus de Sorbonne-Université, de Dauphine, de Tolbiac et de l'ENS-Ulm. Du point de vue des actions réalisées par l'équipe organisation, le bilan du mouvement jusqu'à présent est excellent. Cependant, du point de vue des avancées concrètes permettant d'amorcer la révolution écologique dont nous avons urgemment besoin, rien n'a été acquis : l'exemple le plus évident est celui du vote, le jour même de la grève mondiale, au petit matin, par l'Assemblée nationale, du report de trois ans de la fin de la production des pesticides.
Les marches ont à chaque fois rassemblé de quelques centaines à quelques milliers de jeunes durant les quatre premières semaines de mobilisation. Pour le vendredi 15 mars, jour de grève scolaire mondiale, les effectifs ont explosé : nous étions plus de 50.000 à participer à la marche, ce qui fait de Paris la ville la plus mobilisée du monde ! Attention, cependant, à ne pas considérer le nombre de manifestant.e.s comme seul indicateur de la réussite d'un mouvement. Ne jurer que par les effectifs, et organiser des marches toujours plus nombreuses mais également bien policées, qui ne viennent aucunement troubler l'odieux système économique et politique responsable de la catastrophe écologique qui chaque jour se poursuit un peu plus : voilà précisément ce qu'attendent de nous le gouvernement et les médias. Ainsi, autant cette dernière marche que les précédentes étaient pour nous des succès grâce aux multiples actions spontanées qu'elles ont provoquées : recouvrement de publicités, plantations de légumes sur l'esplanade des Invalides, détournement inopiné du trajet de la marche pour la faire traverser un fast-food...
Mettre en œuvre, de manière inventive et créative, les changements que nous désirons voir advenir
Voilà pourquoi la désobéissance civile est, et restera un élément essentiel de notre mouvement. Nous avons bloqué le trafic du boulevard Saint-Germain, la Caisse des dépôts, et le Salon de l'agriculture, nous avons régulièrement mené des actions antipubs et, le 15 mars, nous étions 150 jeunes activistes à occuper le siège le la Société générale à La Défense pendant quatre heures. Plusieurs d'entre nous étaient présents sur les Champs-Élysées le samedi 16 mars auprès des Gilets jaunes. Les nombreux débats au sein de l'équipe organisatrice ont permis pour beaucoup de commencer une réflexion sur la nécessité de considérer la crise écologique dans sa dimension systémique et non individuelle, d'adopter une position nettement anticapitaliste et de multiplier les modes d'action. Dans les semaines qui suivent, au vu du fossé qui existe entre la ligne suivie par les représentants de l'État et les revendications des jeunes, il sera nécessaire d'aller plus loin encore, afin de ne plus se contenter d'actions purement symboliques.
Le contenu de réflexion que proposent nos revendications hebdomadaires est une spécificité parisienne dans le monde. Il est pour nous nécessaire de lier à notre engagement une réflexion sur la cause profonde du problème écologique, mettant en évidence les points essentiels que devra respecter toute société durable et socialement juste, et certains moyens politiques pour y parvenir. Naturellement, nous ne nous attendons pas à ce que le gouvernement actuel mette en œuvre ces propositions, puisque sa politique économique est fondamentalement irréconciliable avec l'adoption de mesures écologiques significatives. Mais l'intérêt de nos revendications est multiple :
- mettre l'État face à ses propres contradictions, en montrant à quel point les mesures nécessaires pour éviter le chaos climatique et environnemental sont contradictoires avec les objectifs (notamment économiques) du gouvernement ;
- mettre fin au discours omniprésent d'écologie consensuelle des « petits pas » et des initiatives individuelles, qui ne suffisent évidemment pas ;
- présenter une réflexion de qualité sur l'ampleur des mesures à prendre, et faire réfléchir les lecteurs sur la radicalité des changements qui s'imposent ;
- montrer que la jeunesse mobilisée a compris que la réponse à la crise écologique nécessite une mutation profonde de la société et qu'elle est plus clairvoyante que la plupart des politicien.ne.s.
Pour les prochaines semaines de mobilisation, nous appelons donc à multiplier les actions locales sur les campus les vendredis matins, à suivre les marches mondiales lorsque celles-ci ont lieu puisque Paris a été la ville la plus mobilisée du monde le 15 mars, mais surtout à accentuer encore la désobéissance et l'action directe, à multiplier la création de groupes d'actions locaux qui mettent en œuvre par eux-mêmes, de manière inventive et créative, les changements qu'ils désirent voir advenir (réappropriation des lieux de vie, actions antipubs, végétalisation des espaces publics, paralysie de chantiers et d'entreprises écocides...), et à occuper des lycées ou des universités afin de trouver à la fois des lieux et du temps pour s'organiser ensemble.