03/03/2008  9min #15469

Xix - Une psychophysiologie de la servitude

L'alignement de la France sur l'OTAN au Kosovo souligne de manière saisissante l'étendue et la nature de la vassalisation de l'Europe. Mais, un siècle après Freud et un siècle et demi après Darwin, l'étude des fondements de la servitude politique permet de changer les paramètres de la politologie classique. Pourquoi l'esclavage moderne se révèle-t-il compatible avec les idéaux de la démocratie, sinon parce que le secret de toute soumission est dans l'inconscient du sacré'

La débâcle politique de l'Europe n'est déchiffrable qu'à la lumière d'un approfondissement anthropologique des sciences humaines, tellement l'abaissement de la civilisation de la pensée renvoie à la capitulation de la forteresse qu'elle occupait depuis des siècles, celle du "Connais-toi". J'étudierai trois faces de ce désastre : la psychophysiologie de la servitude, l'avenir de la raison mondiale, le génie isaïaque du politique.

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1 - Les Tartuffes de la vassalité

Le défi politique que votre génération est appelée à relever n'a pas de précédent dans l'histoire de la vassalisation d'une vieille civilisation par une civilisation rudimentaire. Afin d'apprendre à exercer une lucidité et à armer un courage que vos pères ignoraient, il vous faudra prendre la mesure de la cécité feinte dont les élites asservies ne cessent de perfectionner les recettes.

Les trois générations d'échines courbées dont l'Europe aura donné le spectacle ont inculqué à vos parents une servilité dont l'apparence de bon aloi a pu vous donner l'illusion de la dignité. Tout le génie de la vassalité est précisément de sécréter une fierté aux allures franches du collier. Vous trouverez les bouffons du roi peints en pied dans Chamfort, Vauvenargues, La Bruyère. Voyez comme ils s'exerçaient hier à flatter l'encolure de leur souverain sous les dehors d'un affichage de leur indépendance d'esprit. Il a fallu trois siècles aux courtisans d'autrefois pour apprendre l'art de caresser les monarques sous les apprêts d'une liberté de ton dont le défi trompeur n'était que le gage bien masqué de leur servilité. Par bonheur, soixante ans n'ont pas suffi à l'Europe pour réapprendre les raffinements et les ciselures de la dépendance. Vous arrivez entre chien et loup; frayez-vous un chemin dans la nuit où tous les chats sont gris et vous enseignerez à la France de demain à rire de la valetaille dorée d'aujourd'hui.

Depuis que la France a renoncé à son rôle d'éveilleur et de prophète du Vieux Continent qu'elle exerçait depuis 1958, voyez comme la servitude de notre civilisation s'étale au grand jour et commence de faire monter le rouge de la honte au front de l'Allemagne, de l'Italie, de l'Espagne et même de l'Angleterre. Astérix permettait à ces nations de cacher à tous les regards le sceau d'infamie qui les marquait au fer rouge. A brandir le drapeau de sa souveraineté, notre nation attirait tous les regards sur elle seule. Depuis qu'elle se joint docilement au cheptel des troupes auxiliaires de l'OTAN au Kosovo, tout le Continent éprouve une pudeur de vassaux gênés par leur livrée. A leur tour d'affronter le regard que votre génération porte d'ores et déjà sur leur domesticité : vous êtes partis cinq cents incendier l'ambassade des Etats-Unis à Belgrade, mais, disait Rodrigue, "nous étions cinq mille en arrivant au port ".

2 - L'odeur de la servitude

Sachez que la lâcheté de l'Europe actuelle n'est qu'un fruit blet de la candeur et de la sottise de vos pères et de vos grands-pères. Mais les classes dirigeantes du Vieux Monde ne sont pas aussi stupides qu'elles affectent de le paraître : c'est seulement afin de vous tromper plus sûrement qu'elles affichent une sottise exagérée. En vérité, elles préfèrent payer en cachette le prix de leurs vains atours que de courir le danger de se les retirer au vu et au su de tout le monde. Il est préférable, pensent-elles, de jouer la carte de l'infantilisme politique le plus voyant que de faire étalage de leur livrée. Ces séraphins retors savent qu'il vaut mieux chanter à l'unisson des apôtres menteurs que de faire reluire au grand jour le harnais du cynisme. Les anges de leur servitude savent que le spectacle des lâchetés bien récitées les pare des charmes de l'innocence. On prête des vertus à la bêtise naïvement débitée, tandis que les serfs vieillis sous leur accoutrement blasonné, on les voit, au fil des ans, arborer les rubans des routiers chenus du tartuffisme politique. Devenez de fins connaisseurs de vos élus aux pieuses grimaces, surpassez Molière par votre science des saintes pitreries d'une démocratie des esclaves.

Pour emprunter le chemin de ronces et de rocailles de vos retrouvailles avec l'Europe de la droite raison, dites-vous bien que, depuis le haut Moyen-Age, les classes dirigeantes de la civilisation de la pensée ont brûlé vives quelque vingt mille sorcières dans la seule Allemagne et que la dernière possédée du Démon est montée sur le bûcher plus de deux siècles après la mort de Copernic. Ne croyez pas que la classe politique du Vieux Monde serait tout subitement devenue capable d'observer le bandeau de la piété démocratique qu'elle se met sur les yeux. De même que les procès en sorcellerie d'autrefois exprimaient la dévotion des saints inquisiteurs et témoignaient de la bonne foi de toute la population, la piété démocratique de l'élite asservie d'aujourd'hui ne dispose en rien d'un globe oculaire capable de recevoir sur sa rétine les gigantesques bases militaires que catéchise l'occupant. Il faut une vue perçante pour détecter les manigances du diable qui enserrent tout le continent.

Mais puisque la classe politique du Vieux Monde n'a pas d'yeux pour apercevoir les légions en chair et en os de l'empire américain, ni leur dégaine, ni leur charpente, il vous faudra perfectionner les narines du Vieux Continent. Si vous parvenez à aiguiser le sens olfactif de l'Europe, l'odeur de l'occupant en viendra à empester l'atmosphère de l'Allemagne, de l'Italie, de l'Espagne, de la Hollande, de la Pologne. Mais la connaissance anthropologique de l'inconscient religieux de toute servitude en est encore aux balbutiements

voir :  XVIII - Toute la vérité sur la politique étrangère française, 19 février 2008

Les vassaux le sont-ils de naissance ? Sinon, dans quelle mesure leur cécité est-elle apprise ? Si elle ne se nourrit pas exclusivement de son propre fourrage, dans quelle proportion s'alimente-t-elle de l'avoine des orthodoxies ?

3 - Psychanalyse de l'esclave

Certes, le dévot italien ou allemand éprouve le plus grand besoin de se frapper d'une cécité à toute épreuve ; sinon il courrait le danger d'assister, à son corps défendant, au spectacle du campement des armées étrangères qui quadrillent son territoire et qui brandissent effrontément leurs étendards sur son sol. Tout vassal se protège de la honte de se voir sous la défroque qui l'habille. Tartuffe a fini par se prendre au piège de ses prières afin de se protéger du spectacle de sa tartufferie démasquée. La psychanalyse de Tartuffe fera partie de votre spectrographie du simianthrope. Votre anthropologue critique sera appelée à accoucher d'une science nouvelle, la psychobiologie des dévotions, parce qu'un siècle de servitude consentie de l'Europe fera, de cette discipline novatrice, un instrument indispensable à la connaissance des arcanes et des entrailles de l'histoire de l'humanité. C'est pourquoi l'organe nasal est un détecteur plus utile à Clio que l'ouïe et la vue. Voyez combien de gens commencent de se boucher le nez. Consacrez une part de votre génie à affiner celui de vos cinq qui vous fera connaître la puanteur de la servitude.

Puisque les dirigeants actuels de l'Europe ont les yeux crevés et les oreilles bouchées, apprenez que la servitude est l'odeur du monde et que cette pestilence est celle de la peur de l'esclave qu'éblouit tantôt l'éclat de son maître sur la terre tantôt la lumière de son idole dans le ciel, tantôt les feux de leur étroite alliance, parce que les courtisans d'un souverain mythique de l'univers signent fatalement un pacte avec son représentant et sa doublure sur la terre - impossible de briser les liens entre un maître et ses serviteurs. Puisque la divinité armée de sa foudre et de ses parfums fascine le croyant en retour, il vous faudra devenir les chimistes des odoriférances de ses imitateurs tour à tour maladroits et d'un grand génie. Ne croyez pas que la classe dirigeante d'une Europe placée sous un protectorat militaire inutile supporterait la mauvaise odeur des troupes étrangères qui ont établi leur quartier général sur leurs terres si les narines italiennes, allemandes, néerlandaises, ou polonaises ne respiraient, dans l'ivresse, les effluves des esclavages sacralisés par les idéaux de la démocratie. L'armure d'acier du souverain américain ne serait rien si elle ne répandait le parfum délicieux d'une vassalité politique rendue enivrante sur le modèle de la foi que les siècles de l'autel ont forgée.

Le mythe a inventé les offertoires chargés de le servir. On y immole une offrande vivante, on y mêle le parfum des prières à celui de l'encens. Tout cela démontre que l'idole a du nez. Mais ses narines sont celles de la piété de sa créature. Si vous ne respirez l'odeur de l'histoire agenouillée, vous ne connaîtrez pas les senteurs de la servitude humaine et vous ne remarquerez pas que les propitiatoires du souverain étranger sur lesquels l'Europe présente ses sacrifices et ses prières sont ceux devant lesquels vos pères se sont prosternés.

4 - Le soleil noir de la servitude

L'histoire du monde s'adresse à votre odorat, à votre toucher, à votre langue, à votre ouïe. Puis elle emprunte le chemin de votre tête et alerte votre cerveau. Celui-ci met votre intelligence aux prises avec les âmes abaissées par leur ciel. A partir de là, votre raison aura peu de chemin à parcourir, parce que ni la grandeur, ni la servitude ne changent de nature à changer de longitudes et de latitudes. Vous serez la première vague d'une France de l'intelligence politique qui se frottera les yeux au spectacle d'un siècle de domesticité de ses élites, parce, que depuis plus de deux générations déjà, vous avez la chance d'habiter la seule patrie libérée des garnisons étrangères qui se sont enracinées pour toujours sur le territoire des nations de l'Europe.

Il y a quarante deux ans, le Général de Gaulle écrivait au Président des Etats-Unis que la France se proposait " de recouvrer sur son territoire l'entier exercice de sa souveraineté actuellement entamé par la présence permanente d'éléments militaires alliés, et de ne plus mettre de forces à la disposition de l'Organisation atlantique " ? Quatre décennies plus tard, votre génération porte la responsabilité d'enseigner aux peuples asservis du Vieux Monde à secouer le joug des génuflexions sous lequel leur classe dirigeante les fait passer. L'intermède sarkozien servira d'accélérateur du vrai destin de l'Europe, parce qu'il fallait un violent repoussoir pour que le soleil noir de la servitude montât dans le ciel de la connaissance. ?

Le 3 mars 2008
 pagesperso-orange.fr