Le gouvernement d'Emmanuel Macron est composé de lobbies
Plusieurs organisations écologistes mèneront vendredi 19 avril une action de désobéissance civile contre « la République des pollueurs ». Clément Sénéchal, de Greenpeace, décrit l'influence des lobbies les plus polluants sur le pouvoir et comment lutter contre eux.
Clément Sénéchal travaille à Greenpeace, qui co-organise vendredi 19 avril l'action Bloquons la République des pollueurs en Île-de-France
Clément Sénéchal
Reporterre Qu'appelez-vous la République des pollueurs ?
Clément Sénéchal Le concept de République des pollueurs vise à montrer l'alliance entre le pouvoir politique, incarné par Emmanuel Macron et son gouvernement, les multinationales, qui par leurs activités industrielles et économiques détruisent la planète et le climat, et les ultra-riches, qui tirent leurs revenus de ces activités et ont un mode de vie qui détruit lui aussi la planète.
Cette alliance bloque ce qu'il faudrait faire pour climat :
réguler l'économie ;
aller vers plus d'égalité sociale ;
et investir l'argent public dans la transition écologique plutôt que dans la pollution.
Au contraire, cette année, 11 milliards d'euros sont partis dans les niches fiscales pour les activités polluantes. Un montant en augmentation, puisqu'il était de 7,8 milliards l'an dernier. La France subventionne la pollution, malgré ses engagements internationaux et le rapport du Giec sur la nécessité de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C !
Il ne faut pas oublier les politiques de Macron en faveur des ultra-riches : suppression de l'impôt sur la fortune (ISF), flat tax, maintien des niches fiscales sur le transport aérien - kérosène, billets d'avion, etc. - alors que ce mode de transport est marqué socialement. À l'inverse, la taxe régressive sur les carburants automobiles pèse plus lourdement sur les classes populaires, proportionnellement à leurs revenus. Selon l'économiste Jean Gadrey, les 10 % les plus pauvres paient plus de quatre fois plus de taxe carbone que les plus riches, proportionnellement à leurs revenus, alors qu'ils émettent 40 % de moins de gaz à effet de serre.
La République des pollueurs, ce sont ces arbitrages en faveur des premiers responsables du changement climatique et de la crise de la biodiversité.
Comment se manifeste ce lobbying ?
On peut citer pléthore d'exemples. Le gouvernement d'Emmanuel Macron avait promis la fin de la vente de véhicules thermiques à l'horizon 2040 - ce qui est déjà lointain, puisque nous demandions 2030. Mais cet objectif a disparu de la loi d'orientation des mobilités, en cours de discussion au Parlement ! François de Rugy, au lieu de se rendre à la réunion des Nations unies sur le climat, la COP 24, en décembre dernier, a rencontré le lobby des constructeurs automobiles. Cela décontenance, alors que le secteur des transports est le plus émetteur en France et qu'on ne tient pas nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans ce secteur : la loi Grenelle 1 fixait l'objectif de 20 % de réduction des émissions par rapport à 1990, on en est à + 12,4 % ! La facture climatique explose, parce que le pouvoir continue à faire plaisir aux constructeurs automobiles.
De même, alors que l'agriculture est un des trois secteurs les plus émetteurs en France, la loi alimentation adoptée en début de mandature n'a pas du tout pris en compte l'enjeu climatique. Le gouvernement avait promis d'interdire le glyphosate dans trois ans, puis Macron a reviré en disant que ce serait compliqué. Le projet d'interdire l'exportation de pesticides interdits en Europe n'est pas passé. Des cadeaux répétés sont fait à l'agrochimie et à l'agrobusiness.
ANV-COP21 avaient fait irruption au siège de la Société générale, à La Défense. " title="Désobéissance civile : une centaine d'étudiants épaulé par des activistes de l'association ANV-COP21
ANV-COP21 avaient fait irruption au siège de la Société générale, à La Défense. " title="Désobéissance civile : une centaine d'étudiants épaulé par des activistes de l'association ANV-COP21 avaient fait irruption au siège de la Société générale, à La Défense. ">
L'agrobusiness profite aussi de la manne des agrocarburants, largement subventionnés par l'État. La France est complètement frileuse sur le fait de réduire sa consommation d'agrocarburants de première génération. Nicolas Hulot avait dit qu'on arrêterait l'huile de palme dans les carburants pour lutter contre la déforestation qui représente 15 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Il s'est fait finalement tordre le bras et a été obligé d'accorder à la raffinerie Total de la Mède l'autorisation d'importer massivement de l'huile de palme, pour l'aider à faire des profits à court terme. Une première livraison de 20.000 tonnes est ainsi discrètement arrivée à la Mède il y a quelques semaines, avec le soutien du gouvernement. Quand, lors des débats sur le dernier projet de loi de finances, les députés se sont prononcés contre la niche fiscale bénéficiant à l'huile de palme dans les agrocarburants, ils se sont heurtés au gouvernement ! Heureusement, l'Assemblée nationale a tenu bon, ce qui est une victoire. Mais pour le projet de loi de finances 2020, Total a déjà annoncé qu'il allait faire pression sur les députés pour les faire revenir en arrière. Sur les dossiers écologiques, on assiste à une confrontation entre la représentation nationale, plutôt du côté des ONG et de la rationalité écologique, et une alliance entre Macron et Total.
Comment en est-on arrivé là ?
Cela tient à la sensibilité néolibérale d'Emmanuel Macron, qui pense qu'il ne faut surtout pas toucher au business et laisser les multinationales engranger des profits et favoriser la compétitivité et la concurrence pure et parfaite. On sait aussi quel milieu social a financé la campagne électorale de la République en marche.
Mais s'il fallait incriminer un fonctionnement plus institutionnel, ce serait le pantouflage. Macron a été inspecteur des finances, puis il a pantouflé à Rothshild, avant de rétro-pantoufler au sommet de l'État. Aujourd'hui, on n'a pas un gouvernement soumis à la pression des lobbies, mais un gouvernement composé de lobbies ! Emmanuelle Wargon vient de Danone, Brune Poirson de Veolia... Édouard Philippe était lobbyiste en chef à Areva, et la dernière version de la programmation pluriannuelle de l'énergie correspond au scénario défendu par EDF : elle repousse de dix ans la transition énergétique et les investissements dans les énergies renouvelables et prévoit d'investir 10 milliards d'euros dans une industrie nucléaire qui court à sa perte !
Que peut-on faire, en tant qu'individu, pour lutter contre ces lobbies ?
On peut déjà baisser drastiquement sa consommation de viande et de produits laitiers pour lutter contre le lobby de l'agrobusiness, arrêter de prendre l'avion contre les lobbies aérien et fossile, favoriser le train contre le lobby automobile, choisir une banque coopérative plutôt qu'une des six grandes banques françaises qui continuent à investir quatre fois plus dans les fossiles que dans les renouvelables...
Ces pratiques individuelles de consommation sont importantes, mais pas suffisantes. Il ne faut pas tomber dans une gestion individuelle de la question climatique, qui est un fait social et politique, pas seulement de consommation. Pour dépasser ce seuil, il faut devenir militant et agir politiquement. Via la désobéissance civile, on combat un système de légalité qui a perdu sa légitimité. L'État français s'est engagé sur une trajectoire pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C, qu'il ne respecte pas. Quand il est arrivé au pouvoir, Emmanuel Macron a décidé de ne pas respecter la loi sur la transition adoptée en 2015, en repoussant des fermetures de réacteurs nucléaires. Face à cet État qui ne respecte pas la loi, on est obligé de hausser le ton, de prendre des risques, d'incarner vraiment le monde qu'on veut voir advenir. Des gens sont prêts à prendre des risques physiques et juridiques parce qu'ils ont la raison historique de leur côté.
Il est important de se grouper, de faire lien, de faire politique ensemble et de construire un rapport de force plus frontal, avec un pouvoir qui n'est pas du tout du côté de l'écologie. Emmanuel Macron a démontré qu'il n'était pas le champion de la Terre, mais le champion des multinationales et le président de la République des pollueurs. Cette République des pollueurs qu'on a vraiment envie d'affaiblir, de dénoncer et de paralyser demain et dans les mois qui viennent.