14/06/2019 reporterre.net  6 min #157808

La publicité, carburant des migrations internationales

Ce vendredi, les auteurs et autrices d'une opération antipub de soutien aux exilés ont été condamnés à verser 1773,35 euros de dommage et intérêt à JC Decaux. Dans cette tribune, ils justifient leur action contre la publicité, « fer de lance d'une logique consumériste insoutenable » génératrice de « guerres pour les matières premières » et de « dérèglement climatique », donc des « migrations qui en découlent ».

Les Afficheurs solidaires sont « des personnes issues d'horizons divers, militants à la mesure de nos possibilités quotidiennes, certain-es habitués des actions de désobéissance, certain-es engagés auprès des exilés ».

En juin 2017 nous nous sommes réunis à Montpellier pour  une action antipub destinée à sensibiliser sur les conditions d'accueil réservées aux personnes cherchant l'asile en France. Nous sommes des personnes issues d'horizons divers, militants à la mesure de nos possibilités quotidiennes, certain-es habitués des actions de désobéissance, certain-es engagés auprès des exilés.

Nous avons, en plein jour et à visage découvert, ouvert sans dégradation des panneaux de publicités commerciales principalement aux arrêts de tram et bus et les avons remplacées par des affiches faites maison : « La solidarité comme le soleil n'a pas de frontière. » « Aucun être humain n'est illégal. » « L'asile est un droit. » « La publicité abrutit, la solidarité enrichit. »

Après une interpellation par la brigade anticriminalité (BAC) et un dépôt de plainte de JCDecaux, nous avons comparu au tribunal de police le 10 mai 2019. La société JCDecaux s'étant portée partie civile, elle nous réclame 3.000 euros de dommages et intérêts ; le procureur quant à lui a requis 300 euros d'amende pour chacun des quatre prévenus. Ce vendredi 14 juin, nous avons été condamnés à verser 1773,35 euros de dommage et intérêts.

Nous nous élançons vers un mur, à fond de caddie bourré des dernières promos

Nous assumons pleinement cette action de désobéissance civile. Pour plusieurs raisons. Nous désapprouvons la politique migratoire actuelle, qui déshumanise les personnes migrantes en les considérant comme un « flux à maîtriser », sans égard pour leurs droits fondamentaux. Cette politique conduit à criminaliser toujours plus les personnes à la recherche d'un avenir meilleur. Elle conduit à des humiliations quotidiennes, à de la misère, à des morts.

Nous côtoyons au quotidien des personnes qui ont laborieusement commencé à reconstruire leur vie ici, à y trouver une activité, à s'y faire des amis, et qui se retrouvent brutalement expulsés, notamment en raison d'une  procédure Dublin, aussi absurde qu'injuste.

D'un point de vue politique et écologique, comment pouvons-nous ne pas faire le lien entre la surconsommation, la surproduction, les guerres pour les matières premières, le dérèglement climatique et les migrations qui en découlent ? La publicité est le fer de lance d'une logique consumériste insoutenable.

Nous nous élançons vers un mur, à fond de caddie bourré des dernières promos. Ces « dirigeants », qui se pâment devant les rapports révélant la destruction des écosystèmes, n'ont d'autre intérêt que de maintenir ce système où les échanges entre humains sont écrasés sous le poids du profit.

Voitures de luxe, hamburgers et paris en ligne sont omniprésents dans nos rues : la multiplication de panneaux publicitaires, souvent illégaux [1] et maintenant numériques, constituent une agression et une tentative de manipulation à laquelle on ne peut se soustraire.

Face à cette confiscation de l'espace public pour une exploitation consumériste, nous avons utilisé un droit de réponse sur le même support. En écrivant une vérité sur un mensonge, nous n'avons pas dégradé, nous avons « regradé ».

Museler toute voix dissonante dans l'empire de la consommation

Les discours nous promettant un meilleur pouvoir d'achat n'endorment plus grand monde, ceux cherchant à faire de l'étranger un responsable des conséquences du capitalisme sont de plus en plus nauséabonds.

Deux chiffres sont intéressants à confronter : 5 milliards d'euros et 14 euros. 5 milliards d'euros, c'est l'estimation de la fortune personnelle de la famille Decaux en 2017. 14 euros, c'est ce que peut percevoir par jour au maximum un demandeur d'asile pour se loger, se nourrir et se vêtir.

La criminalisation des actions de désobéissance comme la nôtre, actions qui n'ont malheureusement qu'un impact très faible au regard du chiffre d'affaires annuel de ces grands groupes, est une façon évidente de museler toute voix dissonante dans l'empire de la consommation.

Le système judiciaire, chaque fois qu'il prononce une peine à l'encontre d'un désobéissant, cautionne ni plus ni moins la financiarisation du monde. Les lois ne sont pas des concepts indépendants d'un contexte politique : lorsqu'elles protègent l'intérêt de ceux qui, en prônant une surproduction jetable et délirante, nuisent aux personnes et à leur environnement, elles s'en rendent complices.

D'un côté, les montants colossaux des recettes publicitaires [2], de l'autre des moyens d'accueil indigents et une situation humanitaire déplorable pour nombre de personnes étrangères privées de la satisfaction de leurs besoins fondamentaux : désobéissons pour inverser cette logique.

[1] Selon Que Choisir (avril 2002), un tiers des panneaux publicitaires sont illégaux.

[2] En 2018, les recettes nettes totales du marché publicitaire des médias s'élèvent à 14,4 milliards d'euros. Baromètre unifié du marché publicitaire.

Source : Courriel à Reporterre

Photos : © Les Afficheurs solidaires

- Dans les tribunes, les auteurs expriment un point de vue propre, qui n'est pas nécessairement celui de la rédaction.
- Titre, chapô et intertitres sont de la rédaction.

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