29/10/2019 actu.fr  7 min #163635

L'agriculture de conservation permet de régénérer les sols

A 25 ans, Clément Ambrois, agriculteur à Perche-en-Nocé, n'a jamais labouré (Amine El Hasnaouy/Le Perche)

Clément Ambrois a repris les parcelles de ses grands-parents à Perche-en-Nocé (Orne), il y a un an et demi. Il s'est installé en agriculture de conservation : une technique entre l'agriculture conventionnelle et l'agriculture biologique qui place le sol au cœur d'un système qui repose qui trois piliers complémentaires.

L'agriculture de conservation est assez récente. Elle considère le sol comme un milieu vivant et non pas comme un support de culture. Si elle se démocratise, elle est encore loin de faire l'unanimité : « Dans le monde agricole, c'est culturel de labourer, observe Clément Ambrois. Changer, comme ça, cela ne se fera pas du jour au lendemain. »

« A toutes les cultures »

« La pratique se développe. Mais il nous a fallu une dizaine d'années pour avoir assez de recul et la mettre en place. »

A 25 ans, Clément Ambrois n'a jamais labouré. Il s'est formé auprès de son père, à Thoigné (Sarthe), qui a arrêté de labourer en 1995. « Il était l'un des pionniers », assure le jeune homme qui a multiplié les recherches pour améliorer la technique.

« C'était dur. Il a fallu étudier la question, se documenter, faire des essais. On avançait petit à petit, par petites surfaces de culture. Puis, de culture en culture. »

« En 2012, on a étendu progressivement l'agriculture de conservation à toutes les cultures : blé, colza et maïs, principalement. »

Le lauréat du prix de la dynamique agricole trouve son compte dans ce procédé. L'agriculture est un milieu en crise. « Là, on produit autant, mieux et avec moins ».

« Pour mon blé, je ne consomme que 5 litres de fuel à l'hectare. Classiquement : le labour et les semis demandent autour de 60 litres à l'hectare. »

« Produire autant avec moins »

Comme il ne travaille plus la terre, il change de moins en moins de matériels. Résultat :

« Je diminue mes dépenses en carburant, en matériels, en engrais et pesticides. »

« Ce qui me permet de gagner en rentabilité. Nous vendons le blé au même prix que le conventionnel. »

La pratique est, semble-t-il, « bénéfique pour l'environnement » : « On diminue l'érosion (car le sol est moins travaillé), le sol est vivant, on capte du carbone (les couverts captent le CO2 par la photosynthèse et l'intègrent dans le sol). »

« Et c'est la seule technique agricole capable de régénérer un sol en fertilité depuis la nuit des temps. L'existant n'est pas consommé. »

Pour le jeune paysan, l'agriculture de conservation est « une philosophie » qu'il aimerait voir se développer malgré les réticences liées, pense-t-il, à l'esthétique : « La technique n'est pas très vendeuse car le champ n'est pas très, très beau, avec des résidus. Ça fait peur. Et aujourd'hui, on attache beaucoup trop d'importance au visuel. »

« C'est compliqué, c'est moche, c'est nouveau et ça impose une remise en question. Ce changement fait peur. »

« Se rapprocher du bio »

Comment voit-il l'avenir ? « Aujourd'hui, on a du mal à se passer des pesticides. Le but est de se rapprocher du bio avec la même production que le conventionnel, dans le respect de l'environnement. »

A titre personnel, Clément Ambrois diminue tous les intrants mais il ne se les interdit pas.

Cet amoureux du grand air se réapproprie la nature. « En France, un agriculteur, en moyenne, passe trois heures sur son tracteur à l'hectare. Nous, en conservation, nous passons : une heure sur le tracteur, une heure en formation et une heure en observation. »

Trois piliers complémentaires

L'agriculture de conservation est un système qui repose sur trois piliers complémentaires : les semis sans travail du sol ; la couverture permanente du sol ; la diversité et rotation des cultures.

« Le but est d'avoir un sol le plus vivant possible », précise Clément Ambrois. Ainsi, dans sa parcelle à Perche-en-Nocé où le colza doit pousser, le jeune agriculteur sème plusieurs espèces : du trèfle blanc, du violet, du lin, du sarrasin, de la féverole... Pour n'en récolter qu'une seule au final.

« Le mélange est réfléchi de façon à être le plus complet possible. »

Couvert en permanence pour être protégé, le sol est travaillé par les racines, à plus d'un mètre de profondeur, ce qui permet aux plantes de capter l'azote de l'air pour le restituer dans le sol. Cela réduit les fertilisants.

Dans le respect des êtres vivants

Observateur de la terre, Clément Ambrois a appris à connaître les animaux vivants dans le sol. Là, on voit un carabe, une limace.

« La limace a une mémoire gustative, explique-t-il. Elle ne mangera en priorité que ce qu'elle est habituée à manger. Ici, du trèfle. »

« Quand je sème mon blé, je ne détruis pas le trèfle pour que la limace continue de se nourrir sans toucher à ce blé. Quelque part, on la dupe. La limace, si elle est là, c'est qu'elle sert à quelque chose, elle a son utilité. Son rôle principal est de véhiculer les spores de champignons. Plus le sol est travaillé et plus l'équilibre naturel du sol est déréglé. »

« Le carabe est un petit insecte. C'est le prédateur de la limace. Quand on empoisonne la limace, on empoisonne le carabe. La chaîne alimentaire est perturbée et la limace n'a plus de prédateur. »

S'il ne trouve pas d'alternative, le jeune agriculteur ne s'interdit pas d'utiliser des insecticides.

Insecticide naturel

Le mélange de plantes trouble l'altise, l'un des principaux ravageurs du colza. Le couvert associé au colza joue un rôle dans la perturbation de l'insecte au niveau de son odorat et de sa vision.

Le blé et le trèfle repoussent. (©Le Perche)

En survolant les parcelles, le prédateur confond les espèces et il est repoussé par l'odeur de certaines plantes.

« L'an dernier, les agriculteurs ont utilisé en moyenne entre trois à six insecticides pour lutter contre les altises. Alors que dans l'agriculture de conservation, l'association de plantes m'a permis d'éviter l'utilisation de ces insecticides cette année-là. »

Certaines plantes répulsives repoussent les insectes n'aiment pas leur odeur.

Vers de terre, signe de richesse

Après la moisson, le couvert de trèfle en place depuis le semis du colza protège le sol et sa biodiversité des rayons du soleil. Il produit de l'énergie par la photosynthèse pour fertiliser le sol.

La terre est aérée, elle respire. (©Amine El Hasnaouy/Le Perche)
« J'ai eu l'opportunité de faire une deuxième récolte (en foin de trèfle), un mois après la moisson du colza. »

Une troisième récolte aurait été possible mais Clément Ambrois a préféré laisser le trèfle sur sa parcelle pour nourrir les vers de terre tout en formant un paillage. Celui-ci couvre et protège durablement le sol, ce qui permet de diminuer l'utilisation d'herbicides.

« En moyenne, en conventionnel, on tourne entre 600 et 900 kg à l'hectare. En agriculture de conservation : on trouve de 3 à 5 tonnes de vers de terre à l'hectare ! »

« Pour qu'ils se développent, il faut les nourrir et arrêter de les embêter avec le travail du sol. »

Ce paillage permet « de diminuer par deux les herbicides ».

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