09/11/2019 wsws.org  8 min #164092

Catalogne : les libertés politiques mises à mal

Les candidats aux élections espagnoles dénoncent le socialisme et soutiennent la répression dans un débat télévisé

Par Alex Lantier
9 novembre 2019

Le débat télévisé de mardi soir entre les chefs des partis établis avant les élections du 10 novembre a conclu la campagne électorale la plus à droite en Espagne depuis la chute du régime fasciste franquiste et la transition de 1978 au régime parlementaire.

Le débat s'est déroulé dans un contexte de répression policière brutale des manifestations de masse en Catalogne contre l'emprisonnement des politiciens nationalistes catalans à Madrid. Cela fait partie d'une vague internationale de manifestations de masse contre les inégalités sociales en Irak, au Liban, en Algérie, à Hong Kong, en Équateur et au Chili, ainsi que de manifestations et de grèves de masse en Europe et aux États-Unis. Cependant, aucun des participants au débat n'avait rien à proposer pour répondre à la colère croissante face aux inégalités sociales, après une décennie d'austérité profonde de l'Union européenne (UE) en Espagne.

Au lieu de cela, le débat a prononcé des dénonciations enragées et nationalistes espagnoles contre le socialisme et la Catalogne, menées par le parti fasciste Vox et le Parti populaire (PP) de droite, auxquels le parti de pseudo-gauche Podemos et le Parti socialiste espagnol (PSOE) au pouvoir se sont adaptés. Ils créent un cadre dans lequel l'opposition à gauche du PSOE est supprimée, et l'initiative est laissée à Vox.

Le chef du parti fasciste VOX Santiago Abascal salue des gens brandissant des drapeaux espagnols lors d'un rassemblement pour promouvoir l'unité espagnole à Madrid en Espagne, le samedi 26 octobre 2019. Le rassemblement de VOX a eu lieu 2 jours après l'exhumation et la réinhumation du dictateur espagnol Francisco Franco depuis le mausolée de la Vallée de los Caidos, près de Madrid, au cimetière de Mingorrubio, à 57 kilomètres de là, dans son nouveau lieu de repos. (AP Photo/Paul White)

Le rôle principal dans le blocage de l'opposition de gauche au PSOE revient à Podemos qui, comme le reste de l'élite politique, est terrifié par le mouvement croissant de la classe ouvrière et déterminé à imposer des politiques de droite. Fait significatif, les journalistes modérateurs du débat ont laissé le secrétaire général de Podemos, Pablo Iglesias, faire des remarques introductives à chaque segment du débat.

«Tous les économistes de l'une ou l'autre conviction reconnaissent effectivement qu'un ralentissement économique est en cours et qu'il pourrait dégénérer en crise», a dit M. Iglesias dans une partie du débat. Dans une autre, il a dit «le système bipartite est terminé», et a appelé le PSOE à «se réunir» avec lui.

Les élections espagnoles de dimanche se déroulent en effet dans un contexte de crise insoluble. C'est la quatrième fois depuis les élections de décembre 2015 qui ont abouti à un parlement sans majorité, après quoi aucune majorité gouvernementale stable n'a pu être formée. Le duopole du PSOE-PP apparu après 1978, suite à la fin du régime mis en place par le dictateur fasciste Francisco Franco, est mort. Tout porte à croire qu'un nouveau parlement sans majorité émergera: l'électorat est divisé entre le Podemos, le PSOE, le PP, Vox, le parti de droite Ciudadanos et les partis nationalistes catalans ou basques.

Cependant, Iglesias - dont le parti, depuis sa fondation en 2014, a été un allié du parti pro austérité Syriza en Grèce - a maintenu son appel de longue date au PSOE pour former un gouvernement de coalition avec lui. Le PSOE, pour sa part, a écrit à la Commission européenne en s'engageant à imposer des milliards d'euros de réductions sociales, quel que soit le résultat des élections. Il injecte également des milliards supplémentaires dans les forces armées espagnoles et organise la répression policière en Catalogne.

Néanmoins, au cours du débat, M. Iglesias a critiqué à plusieurs reprises le Premier ministre intérimaire, du PSOE, Pedro Sanchez, pour avoir envisagé un éventuel gouvernement de «grande coalition» du PSOE-PP, et lui a demandé de s'allier plutôt avec Podemos. «C'est une erreur de se tourner vers la droite en tant qu'allié pour en finir avec le problème catalan», a déclaré Iglesias à Sanchez. Plus tard, il a de nouveau averti: «Peut-être que la question catalane pourrait devenir l'excuse parfaite pour le PSOE pour chercher un accord avec le PP.»

Du fait que Podemos s'efforçe de canaliser l'opposition de gauche derrière le PSOE, il a laissé le champ libre à Vox pour promouvoir sa politique fascisant.

Le chef de Vox Santiago Abascal, qui a salué le bilan sanglant de l'armée franquiste pendant la guerre civile espagnole de 1936-1939, s'est engagé à suspendre le gouvernement catalan, à saisir ses chaînes de télévision, ses écoles et sa police, à interdire les partis «criminels» et à emprisonner leurs membres. Vox a déjà appelé à l'interdiction des partis marxistes et régionaux-nationaux en Espagne, affirmant récemment que le parti valencien-nationaliste Compromis, allié de Podemos, est «sur le point» d'être interdit.

Abascal a également exigé une «réduction drastique des dépenses politiques des gouvernements régionaux», qui financent une grande partie des dépenses de santé et d'éducation de l'Espagne. Abascal a dénoncé les gouvernements régionaux du fait qu'ils coûtent de «60 à 90 milliards d'euros.» Tout en appelant à vider de leur substance la santé et l'éducation, il se pose démagogiquement en défenseur de «nos travailleurs» contre le «mondialisme», lançant des appels fascisants pour des «frontières sûres» et une «immigration légale... réglementée.»

Soutenu par le leader de Ciudadanos Albert Rivera, qui a brandi un morceau de trottoir de Barcelone fracassé par des manifestants, le leader du PP Pablo Casado a lancé des attaques nationalistes espagnoles contre le socialisme et la Catalogne.
«Vous pensez que la Catalogne est une nation ? Pour M. Sanchez, la Catalogne est définitivement une nation, et l'Espagne est une nation de nations», a déclaré Casado, dénonçant Sanchez pour avoir prétendument «adopté» un concept d'Espagne prôné par les nationalistes catalans. S'engageant à réduire davantage les impôts sur le revenu, Casado a averti: «Le socialisme crée toujours plus de crises.»

Abascal a également dénoncé Sanchez et Iglesias, faisant référence aux liens historiques de Podemos avec le Parti communiste stalinien d'Espagne (PCE): «Si quelqu'un ici a quelque chose à cacher sur son histoire, c'est vous deux.»

La cible de ces attaques contre le socialisme n'est pas le PSOE et Podemos, qui sont des partis d'austérité et de guerre bien connus, mais les travailleurs. L'élite dirigeante est terrifiée à l'idée que les manifestations de masse puissent se transformer en une lutte internationale de la classe ouvrière pour prendre le pouvoir, renverser le capitalisme et construire le socialisme. Après plus d'une décennie de chômage de masse, qui a touché plus de la moitié des jeunes à son apogée après le krach de 2008, le capitalisme espagnol est discrédité. Les politiciens bourgeois redoutent tous l'impact du prochain krach majeur.

Le virage de la bourgeoisie vers la politique fascisante et la répression est un pas préventif contre ce danger. On ne peut cependant pas le combattre au sein du système de partis existant: le PSOE et Podemos eux-mêmes aident à construire le cadre toxique dans lequel Vox se développe rapidement. Vox devrait doubler son vote, à 14 %, et obtenir 46 sièges au Congrès.

Le principal facteur permettant à Vox de s'élever est la capacité résiduelle du PSOE et de Podemos à bloquer une lutte politique de la classe ouvrière.

La principale initiative de M. Sanchez dans le débat a été de souligner la répression de son gouvernement contre les manifestations en Catalogne et de faire écho aux appels néo-fascistes visant à réprimer le gouvernement régional catalan élu. En Catalogne, il a proposé de reprendre les écoles pour «enseigner les valeurs civiques», de «modifier la loi générale audiovisuelle» et de faire fonctionner la télévision catalane depuis Madrid, faisant écho aux appels néo-fascistes visant à mettre fin à la télévision en langue catalane, et d'interdire les référendums comme celui de 2017.

La réponse d'Iglesias à Abascal et Casado fut impuissante et réactionnaire. D'une part, il s'est fait passer pour un critique du nationalisme espagnol en déclarant: «L'Espagne est une nation de nations... L'Espagne est un pays plurinational, juste en le disant que ça ne fait rien.» Cependant, en accord avec le national-populisme réactionnaire de son parti, Iglesias a insisté sur le fait qu'il est plus nationaliste espagnol qu'Abascal: «M. Abascal, vous n'allez pas me donner de leçons de comment être espagnol.»

En fait, l'octroi de droits démocratiques et linguistiques fondamentaux aux minorités nationales comme les Basques et les Catalans était un élément essentiel du passage du régime fasciste au régime parlementaire. L'autonomie des autorités régionales était un élément clé de la constitution bourgeoise adoptée en 1978. La montée en puissance de Vox et la décision de toute l'élite dirigeante de mettre en place des gouvernements catalans non élus imposant l'usage de l'espagnol castillan est liée à la répudiation par la bourgeoisie de ce règlement, et à son tour à une austérité profonde et un autoritarisme fascisant.
La perspective esquissée par Iglesias pour une défense nationaliste espagnole des minorités linguistiques menée par le PSOE est en faillite et réactionnaire. La voie à suivre est une lutte pour faire évoluer le mouvement international en développement de la classe ouvrière et de la jeunesse vers une défense des droits démocratiques et une lutte révolutionnaire pour le socialisme et les États unis socialistes d'Europe.

(Article paru en anglais le 8 novembre 2019)

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