13/11/2019 wsws.org  7 min #164310

L'Espagne entre Soros-Sanchez et Vox-Franco

Le parti d'extrême droite Vox se pose en principal parti d'opposition à l'ouverture des discussions sur la formation du gouvernement espagnol

Par Alejandro López
13 novembre 2019

Au milieu des appels croissants en faveur d'une grande coalition entre le Parti socialiste (PSOE) social-démocrate et le Parti populaire (PP) conservateur, le parti d'extrême droite Vox s'est déclaré le principal parti d'opposition au parlement.

Les élections de dimanche ont une fois de plus abouti à un parlement sans majorité, le quatrième en autant d'élections depuis 2015. Le PSOE a obtenu 120 sièges, soit 56 sièges de moins qu'une majorité au parlement de 350 sièges. Le PP a remporté 87 sièges, suivi par le parti d'extrême droite Vox, qui est passé de 24 à 52 sièges, devenant ainsi le troisième parti en importance au Parlement. Le parti de pseudo-gauche Podemos en a obtenu 35, en perdant sept depuis les élections d'avril 2019, tandis que le parti de droite anti-catalan Ciudadanos (Citoyens) est passé de plus de 40 à 10 sièges.

Hier, après une réunion de l'exécutif de Vox, son chef Santiago Abascal a déclaré: «Les Espagnols nous ont élus pour faire de nous l'opposition. Nous voterons contre tout gouvernement du PSOE. Nous ne voterons pas pour ou en faveur d'un gouvernement minoritaire du PSOE. La responsabilité appartient aux autres.» Appelant à nouveau à la répression des manifestations en Catalogne, il a menacé: «Tant que nous n'aurons pas répondu à l'urgence nationale en Catalogne, nous ne pourrons pas nous occuper de l'urgence sociale de notre pays.»

Pendant ce temps, une âpre bataille se déroule au sein de l'élite dirigeante sur la manière de former un gouvernement. La presse de droite mène une campagne croissante pour une grande coalition du PSOE-PP. El Mundo a publié un éditorial intitulé «Pedro Sánchez échoue aux élections: c'est le temps d'une grande coalition». Il a averti que les résultats des élections de dimanche sont «plus fragmentés et ont créé un scénario politique plus ingouvernable.» Mettant en garde contre un mécontentement social croissant après une décennie d'austérité profonde, le journal a déclaré que l'Espagne était «enfoncée dans l'immobilisme réformiste, la fatigue sociale et la menace sécessionniste pour l'unité nationale.»

Et d'ajouter: «Par conséquent, seul un grand accord des forces constitutionnalistes, avec une vocation réformiste et avec l'esprit de concorde inhérent à la genèse de notre démocratie, nous permettrait de mettre fin au blocus. Les intérêts généraux de l'Espagne exigent une grande coalition entre le PSOE et le PP. C'est une formule sans précédent dans notre pays, mais absolument nécessaire...»

El Español, qui a appelé à une grande coalition avant les élections, a publié hier un éditorial intitulé «Pas d'excuses ou de retards: l'Espagne a besoin de la grande coalition.» Alors qu'un gouvernement PSOE-Podemos serait «arithmétiquement possible», écrit-il, il «ne garantirait pas... un gouvernement assez fort pour faire face aux défis auxquels notre pays doit faire face.» Il conclut qu'il ne reste plus qu'une «grande coalition, inhabituelle en Espagne mais habituelle dans certains autres pays européens. La situation est si grave qu'elle nous oblige à faire de la nécessité une vertu.»

Le quotidien pro-PSOE El País, bien qu'il ne prône pas ouvertement une grande coalition, appelle à un accord PSOE-PP. Il a écrit: «Il est important d'explorer les possibilités d'un programme minimum qui permette de lancer la législature.»

Pour le moment, cependant, le PSOE a rejeté cette possibilité. Lundi, son secrétaire d'organisation, José Luis Ábalos, a déclaré, après une réunion du comité exécutif du PSOE, «Nous n'allons pas miser sur une grande coalition avec une droite politique qui n'accepte pas sa part de responsabilité.» Toutefois, il a laissé ouverte la possibilité que le PP soutienne un gouvernement PSOE minoritaire: «J'espère que toutes les forces politiques feront preuve de la plus grande responsabilité et n'excluront aucune option sur la table... Le PP pourrait s'abstenir afin de faciliter rapidement un gouvernement du PSOE.»

L'autre scénario est un gouvernement du PSOE avec Podemos. Lundi, Ábalos a déclaré que «notre engagement est de faire en sorte qu'il n'y ait pas une troisième élection, mais un gouvernement progressiste.» Un tel scénario exigerait que le PSOE obtienne le soutien de Podemos (35 sièges), de son émanation de droite Más País (2 sièges), de Ciudadanos (10 sièges) - dont le dirigeant Albert Rivera a démissionné hier après la débâcle de son parti - et aussi du Parti nationaliste basque, de la Coalition canarienne, de Teruel Exists, du Parti régionaliste de Cantabrie et du Bloc nationaliste galicien.

Cela témoigne de l'extraordinaire fragilité de tout gouvernement du PSOE qui pourrait être constitué sur cette base. Pour éviter de compter sur le soutien de la gauche républicaine catalane séparatiste, dont le dirigeant Oriol Junqueras a été condamné à 13 ans de prison à l'issue d'un procès spectacle organisé par le PSOE, Sánchez aurait besoin du soutien d'au moins sept partis pour obtenir une majorité parlementaire.

Aucun des gouvernements de coalition proposés n'a rien à offrir aux travailleurs. Ils représentent tous un militarisme accru, des attaques contre les droits démocratiques et l'austérité sociale. Le gouvernement en exercice du PSOE a présenté un plan d'austérité pour la Commission européenne, y compris des coupes dans les soins de santé et dans l'éducation, pour réduire les dépenses de 3,7 milliards d'euros d'ici la fin 2020. La Commission européenne demande cependant 6,6 milliards d'euros de réductions.

La semaine dernière, Sánchez a adopté un décret-loi sans vote parlementaire, permettant à Madrid d'intervenir avec des réseaux «exceptionnels et temporaires» et des services de télécommunications - téléphonie, fibre optique et Internet - contre «les menaces à l'ordre public». Cela permet au gouvernement d'ordonner la suppression urgente, sans l'approbation du tribunal, de toute communication numérique pour des raisons de «sécurité publique», de «protection civile», d'«urgence», de «défense de la vie humaine» ou d'«interférence avec d'autres réseaux.»

La loi ouvre la porte à la censure de masse au milieu d'une montée explosive de protestations et de grèves de masse qui va de l'industrie automobile américaine en Irak, au Liban et en Algérie au Moyen-Orient, en Équateur et au Chili en Amérique latine, et en Catalogne en Espagne même. Elle souligne le fait que la montée de Vox n'est que la manifestation la plus évidente de la volonté de toute l'élite dirigeante de s'orienter vers un régime d'État policier.

Vox, un parti qui, jusqu'à tout récemment, n'avait pas obtenu plus de 50.000 voix lors d'élections nationales, a mené une campagne fascisante. Il a appelé à la suspension du gouvernement régional catalan, à l'état d'urgence, à l'envoi de troupes pour réprimer les manifestations de masse dans la région, à la prise de contrôle directe des chaînes de télévision, des écoles et des unités de police catalanes, à l'interdiction des partis sécessionnistes, nationalistes et de gauche, et à la révocation des lois qui condamnent le franquisme.

La montée de Vox, ainsi que d'autres partis néofascistes à travers l'Europe, est orchestrée d'en haut, par les médias, l'État et des sections des forces militaro-policières. Elle a bénéficié de la promotion du nationalisme espagnol sans fin par les médias et de la répression policière de l'État en Catalogne. Ses 52 députés comprennent des généraux à la retraite franquistes, d'anciens policiers et gardes civils, des militants anti-LGBTI, des négationnistes de l'holocauste, des avocats et des fondamentalistes catholiques.

Le fait qu'un parti fasciste puisse se présenter comme le principal parti d'opposition au Parlement est surtout dû au rôle de Podemos. Podemos n'a cessé d'appeler à un gouvernement de coalition avec le PSOE pro-austérité et militariste, alors même que le PSOE fomentait le chauvinisme espagnol et appelait à une nouvelle répression contre les nationalistes catalans.

Podemos exige également que la population approuve le verdict réactionnaire qui a emprisonné neuf militants et politiciens catalans comme prisonniers politiques; soutient la répression policière en Catalogne; et a mené une campagne fondée sur le patriotisme. Lors de sa dernière réunion de campagne à Madrid, le chef de Podemos, Pablo Iglesias, a qualifié Podemos de «seule force politique patriotique en Espagne». Il a dit qu'il faisait appel au «vote de la patrie, du peuple, d'un peuple qui veut que la démocratie se défende contre les puissants». Cette promotion sans fin du nationalisme et de la patrie espagnole par Podemos a donné l'initiative à Vox dans la politique officielle.

Podemos appelle une fois de plus à un gouvernement PSOE-Podemos. Hier, Iglesias a dit: «Si après les élections d'avril, c'était une occasion historique, c'est maintenant une nécessité historique.» Il ajoutait cyniquement que c'était «la seule façon de stopper l'extrême droite.»

(Article paru en anglais le12 novembre 2019)

 wsws.org

 Commenter