L'examen des rouages et des ressorts de la machine à décapiter la civilisation européenne vous a conduits à une première pesée des armes respectives de l'Occident latin et d'un monde anglo-saxon messianisé par une théologie démocratique de la grâce sélective. Les pages qui suivent vous initieront davantage à la connaissance de l'inconscient religieux des civilisations et aux formes de la politique qu'elles pilotent.
1 - L'empire théologique américano-calviniste
2 - Une généalogie du discours théologique
3 - La politologie moderne et l'anthropologie du sacré
4 - Le jansénisme américain et l'empire romain
1 - L'empire théologique américano-calviniste
Pourquoi la France de la raison, qui avait servi de moteur cérébral au Vieux Continent depuis le XVIe siècle est-elle demeurée les bras croisés, pourquoi n'a-t-elle pas accouché de la pensée critique qui aurait ensemencé les premiers arpents du IIIè millénaire, pourquoi n'a-t-elle pas armé le monde d'une connaissance anthropologique des secrets théologiques des empires? La clé d'une science des arcanes psychobiologiques du sacré était pourtant à portée de main des fils du Discours de la méthode. Mais les esprits étaient occupés ailleurs : tout le monde assistait passivement au spectacle de l'assujettissement d'une antique civilisation à une démocratie mythique, tout le monde observait que la candidature des nations du Vieux Monde à leur entrée dans l'Alliance atlantique les vassalisait d'avance ; elles n'étaient autorisées à signer le Traité de Rome de 1950 qu'après avoir obtenu au préalable leur mise sous le joug militaire de l'empire de l'OTAN. Mais pourquoi demandaient-elles leur asservissement à cor et à cri, sinon parce qu'elles voulaient participer de la pastorale et de la catéchèse d'un empire de la grâce. La démocratie mondiale était devenue le nouveau royaume du salut.
Aussi l'étude anthropologique approfondie de la boîte osseuse du simianthrope dichotomisé à l'échelle planétaire
par Calvin doit-elle se fonder sur l'examen et la pesée critique des relations, schizoïdes à leur tour, que la France entretient désormais avec les représentants officiels de la démocratie bénédictionnelle américaine. Seule la connaissance expérimentale de l'histoire du basculement de l'Europe dans la parole rédemptrice américaine conduira les simianthropologues français de demain sur le chemin des derniers secrets de fabrication de la machine sotériologique à décapiter la civilisation.
2 - Une généalogie du discours théologique
Certes, les entrailles de la révolution anthropologique que le Réformateur français a introduite dans la politologie occidentale doivent également être observées à partir des cuisines : la révolution dite "orange" en Ukraine a été entièrement montée par le financier international Georges Soros. Des tonnes d'étoffes de cette couleur ne sont pas surgies du pavé de Kiev par un miracle du ciel de la grâce démocratique et les manifestations d'une théologie de la liberté politique appelée à faire tourner les moulins à prière du Tibet à la veille des jeux olympiques de Pékin ne sont pas nées du cerveau séraphique d'une humanité tout subitement convertie à une démiurgie des droits de l'homme. Les théologiens jansénistes de la démocratie choisissent leur cible à bon escient. Leur stratégie du salut les met toujours au coude à coude avec les puissants. Si le champ de bataille des " droits de l'homme " était aussi planétaire que leur ciel le prétend, il s'étendrait non seulement à la Palestine, à l'Irak, à l'Afghanistan, mais jusqu'aux fortins inexpugnables de Guantanamo et d'Abou Ghraib. La géographie de la vertu est beaucoup plus sélective que sa théologie.
Mais il n'en est pas moins décisif d'étudier les arcanes cérébraux de la diplomatie française dont la première décennie du troisième millénaire a offert le spectacle et qui est demeurée à mille lieues de toute connaissance anthropologique du fonctionnement religieux de l'encéphale anglo-saxon. Car les pays latins entretiennent depuis des siècles des relations d'Etat à Etat distinctes de celles des spécimens qui les composent, alors que l'Amérique ne s'allie qu'à des compagnons de route secrètement convertis à son ciel politique. Assurément, elle les fait quelquefois bénéficier, mais toujours avec une condescendance appuyée, de la qualité d'alliés de sa divinité. Les nouveaux assermentés sont appelés à se mettre au service des idéalités évangéliques censées catéchiser un empire démocratique de type viscéralement messianique. Le monde entier a vocation d'incarner une sotériologie dont l'Amérique concède quelquefois qu'elle n'est pas encore devenue parfaitement apostolique, mais qu'elle se trouve sur le chemin des bénéficiaires-nés d'un salut dont elle a l'ambition d'accélérer le pieux avènement parmi les hommes de bonne volonté.
Pourquoi la pensée politique et philosophique française s'est-elle trouvée dans une incapacité non moins radicale de relever le défi que ce type d'encéphale lui lançait que celle de l'Eglise du Moyen-Age, dont l'impuissance intellectuelle a été mise en évidence par les exploits des Copernic et des Galilée? J'ai déjà rappelé que les sciences humaines contemporaines n'ont pas encore commencé d'étudier le cerveau schizoïde d'une espèce qui n'a basculé hors du mutisme animal que pour se livrer au surréel, à l'invisible et au fascinatoire que charrie nécessairement la parole.
Le premier dédoublement cérébral du chimpanzé lui a été dicté par le débarquement du sonore dans la politique, parce que la voix véhicule l'absence, donc un ego rendu bicéphale par la coupure du monde entre l'abstrait et le singulier. Il va falloir brancher l'universel sur des corps, donc greffer les relations verbales que la horde entretient avec elle-même sur des congénères hissés dans les airs par des sons soudain vaporisés par leur propre voix et porteurs d'une étrange délivrance. Comment retrouver dans le vide ouvert par la parole la charpente solitaire, la carcasse à la fois présente et soudain démunie, le squelette dans lequel chacun se sent à son aise, mais sur lequel un rebelle va tenter de se greffer : à savoir la proie offerte au dominateur et au manipulateur qu'on appelle le mot. Et puis, voici que le cosmos va se rendre loquace à son tour.
3 - La politologie moderne et l'anthropologie du sacré
Les diverses théologies de la grâce sont les états-majors du psychisme du simianthrope ancien et moderne. Ce qui s'y joue depuis les origines n'est autre que la question des relations entre la chair muette et la société bavarde dans laquelle le simianthrope se trouve immergé. La parole enchaîne et libère tour à tour l'espèce absentifiée par l'abstrait. Que révèle le document anthropologique central qu'on appelle une théologie, sinon que ce moteur céleste est celui où le sujet terrestre négocie en secret les relations vocales du groupe auquel il appartient avec le surmoi dont les dieux sont censés tenir les rênes et le sceptre entre leurs mains ? On comprend que les théologies de la " grâce " soient sécrétées par les diverses psychophysiologies des peuples et des nations, parce que les poids respectifs du serviteur et du maître qu'arbitrent les idoles varient au gré des races, des époques et des lieux.
Aussi toute divinité décide-t-elle en tout premier lieu du poids et de l'élasticité des ressorts axiaux fondateurs du simianthrope, qui s'appellent l'humilité et l'orgueil, et dont nous partageons l'acier et la ouate avec le chimpanzé. Mais comment les traits originels d'une espèce que le langage a rendue schizoïde obéiraient-ils au même registre sous toutes les latitudes et à toutes les époques ? Aussi longtemps que les relations du simianthrope avec les maîtres invisibles, mais vocalisés que sa voix a enfantés et logés dans sa boîte osseuse demeurent principalement partagés entre ses soucis guerriers et ceux dont les déchaînements aveugles de la nature lui présentent le spectacle, les tractations avec les dieux obéissent à des règles simples : on se contentera d'apporter des monceaux d'or et d'argent dans les temples des Célestes en colère.
Le négoce avec le ciel que notre espère ritualisait à l'école du Vatican a pris la forme genevoise dont la géopolitique occidentale illustre désormais les paramètres anthropologiques. Dans un premier temps, le calviniste se présente devant son idole sous une apparence plus modeste que le catholique latin devant la sienne, parce que son statut d'élu d'une divinité tenue pour omnipotente et omnisciente, donc imprévisible par définition, le ligote plus étroitement à la volonté et aux ordres de son souverain des nues que le catholique attaché à ses prières tarifées et à ses chapelets rentés. Le roi du ciel qui lui dispense ses bienfaits ne laisse pas à ses fidèles la lourde tâche de calculer leurs propres mérites la règle à la main ou de dicter à leur maître les droits et les récompenses qui leur reviennent.
Mais toute théologie met en place un équilibre entre les assaillants et les défenseurs. Le Dieu janséniste embarrasse fort ses adorateurs sur ce point. Aussi les voit-on donner leur langue au chat depuis près de cinq siècles au chapitre de la validité respective des preuves terrestres et des preuves célestes de son existence. Comment écarter l'épée de Damoclès capricieuse, baladeuse, hasardeuse, qui se balance jour et nuit au-dessus de votre tête et dont l'omniscience impénétrable d'un despote brandir la menace - au point que le jésuite Molina avait réussi le tour de force d'imposer de sévères garde-fou à la tyrannie du Créateur - avec l'aide empressée, il est vrai, d'une Eglise romaine qui avait encore la tête bien vissée sur les épaules et qui ne s'en laissait pas si aisément conter.
Dans un second temps, la revanche de l'orgueil sera immense chez ce type d'otages de leur ciel, parce que des armées de croyants qui se tiendront pour recrutés à titre individuel par un monarque du cosmos au règne sans partage se montreront fatalement fiers de leurs exploits solitaires, et se voudrait moins asservis aux ordres des Etats et d'une caste ecclésiale fière des prestiges attachés aux clochettes de ses autels. Les manifestations mondiales contre la Chine ont démontré que des peuples latins habitués depuis tant de siècles à payer sou par sou les traites que leur ciel leur présente à signer et à surveiller de près la comptabilité généreuse ou avare de leur caissier du ciel ne montent pas dans les airs du même pas que les champions jansénistes du mythe. Certes, le mode de sélection à la fois drastique et ritualisé de son clergé auquel l'Eglise romaine s'exerce depuis plus de quinze siècles n'a pas moins de poids politique et d'autorité éthérée que celui des calvinistes, qui lâchent avec tellement de légèreté et d'imprévoyance la bride sur le cou à leur Olympe que leur Caïn se trouve damné de toute éternité et qu'Abel était innocent avant même que de naître. Mais dans les deux théologies, l'orgueil et l'humilité demeurent connectés d'avance au mode de sélection à l'aide duquel un maître du cosmos incontrôlé et désenchaîné met ses serviteurs fiables à l'écart du troupeau des ignorants et des sots qui se pressent à sa cour.
Comment une diplomatie française étrangère à toute connaissance anthropologique de l'inconscient politique qui pilote les théologies simiohumaines aurait-elle compris le sens para-religieux de la qualité " d'alliés " accordée à l'Europe en raison d'une certaine bénévolence dont la foi américaine veut bien témoigner et dont la culture française ignore encore les sources dans les théologies de la grâce ? Sans spectrographie
simianthropologique du sacré, pas de politologie moderne.
4 - Le jansénisme américain et l'empire romain
Officiellement, la révolution anthropologique chrétienne - le calvinisme n'en est que l'ultime paradigme - a amolli les négociations serrées des cités d'autrefois avec leur divinité, mais pour retrouver aussitôt une collectivité politique plus sacralisée que jamais, puisque la voici médiatisée par des citoyens sanctifiés à l'école de leur théologie des " droits de l'homme ". Depuis le Golgotha, le clergé en tenue de ville du simianthrope n'est plus un otage que son Olympe apostropherait de l'extérieur. Tite-Live raconte (L. 22, chap.1) qu'en Sicile les javelots de plusieurs soldats s'étaient soudainement enflammés, puis que le bâton qu'un cavalier tenait à la main sur les remparts de Palerme avait subi le même sort, puis que deux boucliers avaient sué du sang, puis que le soleil s'était rapetissé, puis que les effigies des loups sur la Voie Apienne avaient transpiré. On avait remédié à ces désordres par une offrande de cinquante livres d'or à Jupiter, d'autant en argent à Junon et à Minerve et l'on avait fait retentir la ville du cri des Saturnales pendant un jour entier et une nuit. La piété du sauve-qui-peut demeurait néanmoins festive : le peuple avait été invité à tenir chaque année cette journée mémorable pour une fête religieuse.
Après le désastre du Lac Trasimène il avait fallu remettre de l'ordre dans un ciel dont Hannibal se jouait. " On avait décidé que tout ce que le printemps aura apporté aux troupeaux de porcs, de moutons, de chèvres, de boeufs et qui n'aura pas été déjà consacré à une divinité, sera sacrifié à Jupiter, et cela à partir du jour où le sénat et le peuple l'auront ordonné. " Puis on avait " exposé six lits garnis de coussins: un pour Jupiter et Junon, le second pour Neptune et Minerve, le troisième pour Mars et Vénus, le quatrième pour Apollon et Diane, le cinquième pour Vulcain et Vesta, le sixième pour Mercure et Cérès. " (Tite-Live, 22,10)
Vingt-trois siècles plus tard, les élus du ciel de la grâce américaine se retrouvent dichotomisés entre la portion glorifiée de leur encéphale, qui leur demande de donner en public et à tout le monde la chaleureuse apparence de traiter leurs congénères comme des frères et la nécessité, non moins catéchétique de proclamer leur gratitude spécifique à l'égard du Dieu qui n'a accordé qu'à eux seuls une suprématie théologique tellement gratuite que seuls les mystères insondables de sa grâce peuvent les expliquer.
Quel est le trait commun à la piété du peuple romain avant les guerres puniques, d'une part, et à l'inconscient théologique des démocraties modernes du salut, d'autre part ? Si vous le découvrez, vous aurez franchi un pas décisif vers le réarmement intellectuel de l'Europe. Je vous laisse souffler jusqu'à lundi..
Le 28 avril 2008