07/12/2019 usbeketrica.com  14min #165650

 Acte 56 : vers la convergence des luttes entre syndicats et Gilets jaunes ?

« On est prêt » : « On part des petits gestes mais les défis iront crescendo »

Youtubeurs, sportifs, chanteurs et autres célébrités sont plus de 150 à s'associer pour une nouvelle campagne du mouvement «  On est prêt », pour pousser les citoyens à l'action face aux urgences écologiques. L'an dernier, le mouvement avait participé au succès de la  pétition historique qui a recueilli plus de 2,3 millions de signataires en soutien à l'action en justice contre l'Etat français pour inaction climatique. On a discuté des ambitions du mouvement avec sa fondatrice, Magali Payen.

2050, la nature est au bord de l'extinction. Désespérés, les enfants de célèbres et très éclectiques youtubeurs des années 2010 comme  Norman,  Shera Kerienski ou  Max Bird, tentent une dernière stratégie pour sauver le monde : envoyer une vidéo en 2019, année charnière où l'on pouvait encore éviter le pire, et tenter de convaincre les citoyens d'agir pour changer de cap...

Voilà pour le pitch de la vidéo de lancement de la saison 2 de la campagne écolo  On est prêt. Fondé l'an dernier par Magali Payen, ce mouvement avait fait le pari de rassembler plusieurs dizaines de youtubeurs et influenceurs d'horizons divers pour mobiliser leurs millions d'abonnés et les inciter à agir pour l'environnement : un défi par jour du 15 novembre au 15 décembre 2018.

La campagne revient donc pour une saison 2, plus courte, du 9 au 19 décembre, centrée sur la biodiversité. Avec de nombreuses nouvelles têtes d'affiche et des objectifs ambitieux : rien de moins que « produire et diffuser massivement des récits inspirants pour transformer la société » et mobiliser citoyens industriels et politiques autour de moyens d'action concrets. On a discuté imaginaires, crises écologiques et mobilisation avec Magali Payen.

Usbek & Rica : Une campagne Youtube et sur les réseaux sociaux est aujourd'hui l'outil le plus pertinent pour mobiliser rapidement et massivement face aux crises écologiques ?

Magali Payen : Nous n'aurions clairement pas pu mobiliser 2,3 millions de signataires sur la pétition de  l'Affaire du siècle si nous n'avions pas chauffé les créateurs et les communautés pendant un mois auparavant. Cette idée de Marie Toussaint [cofondatrice de l'association Notre affaire à tous, maintenant députée européenne EELV, ndlr] d'attaquer l'État en justice est arrivée comme défi final, à la toute fin de notre campagne.

Plus globalement, quel bilan tirez-vous de cette première campagne On est prêt lancée il y a un an ?

Le bilan est double. D'abord, du point de vue des youtubeurs et des créateurs : ils étaient une quinzaine à peine au début du projet, une soixantaine lors du lancement et plus de 150 lors du grand défi final de l'Affaire du siècle. Certains d'entre eux ne venaient pas de l'écologie et ont beaucoup évolué avec cette campagne. Certains ont arrêté de prendre l'avion, d'acheter des vêtements neufs, de manger de la viande ou de prendre la voiture. D'autres tendent vers le zéro déchet ou ont carrément déménagé.

Du point de vue des communautés, le bilan est aussi très positif. Beaucoup de gens ont adoré la sincérité des créateurs qui relevaient les défis à l'écran, qui montraient leurs difficultés, leurs vulnérabilités. Montrer que personne n'est parfait a été très apprécié. Au total, le reach, le nombre de personnes touchées sur les comptes Twitter et Instagram se compte en dizaines de millions. Et pour chaque défi, les ONG nous ont fait remonter les effets bénéfiques. Le moteur de recherche Ecosia a par exemple noté une hausse d'affluence de 1 000 % et a pu planter 45 000 arbres.

« On veut montrer que les Français sont prêts pour des changements profonds »

Que savez-vous du profil du public touché ? N'y a-t-il pas un risque de s'adresser essentiellement à des personnes déjà sensibilisées à ces questions ?

Mobiliser des créateurs qui ne sont pas forcément écolo permet justement de s'adresser à leurs communautés, qui ne sont à la base pas non plus concernées par ces sujets. Cette saison 2 en particulier mobilise des gens d'horizons très différents. Il y a bien sûr des youtubeurs écolo comme le Professeur feuillage, Max Bird ou Et tout le monde s'en fout, mais d'autres qui le sont moins, comme Norman ou Natoo. Et on a des personnalités comme les sportifs Nikola Karabatic ou Alizée Cornet, les chanteurs Gauvain Sers ou Tim Dup ou encore cinq acteurs de Plus belle la vie.

Nous avons aussi réalisé une enquête qui nous a montré que le public touché concernait essentiellement les moins de 45 ans, des jeunes principalement autour de 20 ans, et autant de femmes que d'hommes.

(Vidéo de la saison 1 de On est prêt, en novembre 2018)

On est prêt invite les citoyens à relever des défis, faire des gestes pour l'environnement. Que répondez-vous aux nombreux auteurs,  comme l'universitaire et activiste américain Raj Patel ou le co-fondateur de Darwin  Jean-Marc Gancille qui dénoncent cette stratégie des petits gestes et insistent plutôt sur la nécessité d'une réponse politique et systémique ?  Une étude du cabinet Carbone4 concluait en juin 2019 que même avec un comportement « héroïque », les éco-gestes d'un citoyen ne réduiraient au mieux son empreinte carbone que de 25 %...

Je crois qu'il faut tout faire en même temps plutôt que d'opposer les stratégies. Changer les citoyens, les politiques et les entreprises, et ce sont souvent les citoyens susceptibles de faire ces petits gestes qui travaillent dans les entreprises et peuvent les changer de l'intérieur.

La politique des « petits pas », si elle est appliquée par le gouvernement, c'est immoral, car celui-ci doit agir plus vite. Mais les petits gestes des citoyens sont importants car changer de paradigme, changer de culture, ça passer par changer ses gestes. Souvent, l'action précède la réflexion : ces gestes peuvent préparer des gestes plus grands.

Lors de la pétition de l'Affaire du siècle, le gouvernement avait répondu que les Français n'étaient pas prêts à aller plus vite et avait utilisé comme preuve de cela le mouvement des gilets jaunes. Il tente de diviser pour mieux régner et notre campagne vise aussi à répondre à ça. On veut montrer que les Français sont prêts à changer leurs habitudes et prêts pour des changements profonds. On a œuvré à la convergence entre gilets jaunes et mouvement étudiant pour le climat. Un sondage a montré que si elles étaient socialement justes, les mesures écologiques étaient acceptées par la population.

« Je n'ai jamais vu quelqu'un passer en une seule soirée de l'ignorance du sujet à la désobéissance civile devant le siège de Total »

Vous qualifiez d'immorale l'inaction du gouvernement. Le journaliste Nathaniel Rich,  dans son ouvrage Perdre la Terre (Seuil, 2019), invite également à placer le débat climatique sur le plan moral, le seul à même selon lui de faire basculer l'opinion et d'éviter les compromis tièdes propres aux questions politiques plus classiques...

Il ne faut surtout pas être culpabilisateur ni moralisateur avec les gens, sinon ils se braquent et on n'avance pas. En revanche, l'inaction des Etats et des grandes entreprises depuis des décennies, qui refusent de prendre leurs responsabilités, là oui, c'est une forme d'immoralité.

Les gens sont par ailleurs dans leurs bulles et n'ont pas toujours accès à la bonne information, n'ont pas conscience des enjeux. C'est pour ça que les petits gestes individuels ne sont pas dépassés. Ils sont une phase préparatoire pour aller plus loin. Je n'ai jamais vu quelqu'un passer en une seule soirée de l'ignorance du sujet à la désobéissance civile devant le siège de Total. On tente donc de faire monter le plus vite possible les citoyens sur cette échelle de l'engagement. Tous les jours pendant 11 jours, il y aura trois niveaux de défis possibles proposés selon son niveau d'engagement. Tout le monde peut participer. Le premier défi sera de planter une graine, quelque chose de symbolique pour se reconnecter à la terre et au vivant, puis les défis iront crescendo et les trois derniers auront plus d'envergure...

« Il est primordial d'imaginer le monde d'après et d'imaginer des utopies lucides »

Depuis votre première campagne, la crise climatique s'est  encore aggravée et la crainte d'un effondrement de notre civilisation s'est largement répandue dans l'opinion. 6 Français sur 10 redouteraient un tel scénario  selon un récent sondage. Vous parliez de changer de paradigme, il semble que les imaginaires soient aussi en train de changer...

Il y a plein d'imaginaires différents projetés dans ce terme d'effondrement. On peut déjà parler de l'effondrement de la biodiverstié, qui est au cœur de la saison 2 de On est prêt. Cet effondrement va à une vitesse inédite. Même la météorite et le grand nuage de poussière qui ont entrainé la disparition des dinosaures avaient provoqué un effondrement bien plus lent qu'aujourd'hui. C'est en outre la première fois qu'une espèce est elle-même responsable d'un effondrement de masse, et nous sommes nous-mêmes dans le collimateur de cet effondrement.

Ensuite, concernant l'effondrement de notre civilisation, je crois qu'il faut sortir des récits purement dystopiques. Il faut certes être lucide : même si on arrêtait maintenant toute émission de gaz à effet de serre, le climat continuerait de se réchauffer. Les choses vont empirer. Mais qu'il se réchauffe de 2°C, 3°C ou 7°C, ça n'a rien à voir.

Que notre civilisation arrive à son terme,  même la Nasa le dit. La question, c'est de quelle manière on affronte ça. Il est primordial de se fixer un cap commun, d'imaginer le monde d'après et donc d'être lucide, mais d'imaginer des utopies lucides. On tente de mettre avec cette campagne les premières briques de la fabrique de nouveaux récits. Ça passe par faire revivre des expériences de nature aux gens. Il faut aussi, selon moi, qu'on soit beaucoup plus connectés entre humains. Comme le dit Jean-Marc Jancovici : il est plus facile de faire le deuil de ce monde si on a un nouveau monde en ligne de mire.

L'urgence des crises écologiques est-elle compatible avec le temps long  nécessaire pour faire émerger ces nouveaux imaginaires ?

Le changement opéré ces deux dernières années est déjà énorme. Nous nous devons de faire le maximum, même si on ne sait pas si cela sera suffisant. Le changement des récits est en bonne voie, il doit maintenant déboucher sur des mesures radicales, c'est-à-dire qui change le système à la racine. La grande valeur aujourd'hui, c'est le consumérisme et un des grands récits gagnants des siècles passés c'est celui de l'argent, comme l'explique l'historien  Yuval Harari.

Les Etats, les grandes entreprises, les foyers, les individus ont tous la capacité de vivre de manière plus sobre et plus joyeuse. Beaucoup d'écolieux, de lieux en transitions et de nouvelles formes de gouvernance existent déjà en France et se mettent en place à grande vitesse. Ces changements se font à la campagne mais ils doivent aussi se faire en ville. D'où l'importance des maires et des prochaines élections municipales. Mais là je tease un peu sur notre campagne... à laquelle j'invite tout le monde et tous vos lecteurs à participer !

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