25/03/2020 reporterre.net  7 min #170991

Matthieu Orphelin : « Nous devons parler rupture et radicalité, dans ce qu'elles ont de positif »

Matthieu Orphelin est député (ex-La République en marche) de la première circonscription du Maine-et-Loire. Il est à l'initiative du « Grand plan de transformation de notre société en faveur du climat, de la biodiversité, de la solidarité et de la justice sociale » rejeté, dimanche 22 mars, par le gouvernement.

Matthieu Orphelin à l'Assemblée nationale.

Dimanche 22 mars, le Parlement a adopté des mesures instaurant un état d'urgence sanitaire pour deux mois. La loi a été publiée, dès lundi matin, au Journal officiel. 45 députés d'étiquettes différentes, de l'UDI au Parti communiste, avaient déposé un amendement destiné à intégrer au projet de loi un « Grand plan de transformation de notre société en faveur du climat, de la biodiversité, de la solidarité et de la justice sociale ». Cette initiative a été rejetée par le gouvernement.

Plan de transformation de notre société

Reporterre - Vous êtes à l'origine du plan de transformation, amendement rejeté par le gouvernement. En quoi consistait-il ?

Matthieu Orphelin - N'utilisons pas l'imparfait, tout est devant nous et, avec les 45 cosignataires, nous allons continuer à tenter de convaincre le gouvernement que notre société est prête à une grande transformation. Nous aurons l'occasion de reproposer ce plan dans les jours et les semaines à venir. Nous traversons une crise sans précédent, mondiale, et nous devons déjà penser le jour d'après, pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. C'est le sens de ce plan.

Cette crise est d'abord sanitaire et met en lumière l'immense vulnérabilité de nos systèmes de santé. Nous subissons un certain nombre de choix effectués ces dernières dizaines d'années. Nous constatons  notre manque d'autonomie en tests médicaux ou encore en masques, le manque d'investissement dans la recherche fondamentale,  notre manque de reconnaissance envers des métiers essentiels comme les aides-soignantes, les aides à domicile, les travailleurs des Ephad [établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes], qui doivent être revalorisés.

Cette crise est aussi économique. Le parallèle avec 1929 est assez pertinent : la crise est aiguë, elle va avoir des conséquences très fortes sur le PIB [produit intérieur brut]. Plus que tout, c'est aussi une crise de notre modèle de société, qui révèle toutes ses limites sous la menace. Nous sommes confrontés à un virus, mais le changement climatique aussi s'accélère et nous invite à repenser notre fonctionnement.

Il s'agit, dès maintenant, d'inventer ensemble un autre modèle, plus résilient, de tisser des liens de solidarité. Dans ce moment très grave, un très grand plan de transformation sur l'écologie et la biodiversité, la solidarité, la justice sociale et la santé est essentiel. Ce plan doit tout questionner. Il ne peut pas y avoir de retour à la normale après cette crise, parce que l'état « normal » fait partie du problème.

La semaine dernière, nous avons travaillé dans l'urgence à l'Assemblée nationale. Nous avons réuni les signatures de 45 députés, du Parti communiste à l'UDI. Nous avons réfléchi à un plan qui a évolué et évoluera au gré de suggestions de chacune et chacun. C'est participatif, nous souhaitons l'élaborer avec les citoyens, les ONG, les acteurs politiques, les pouvoirs publics, l'État. Pour aller vers un changement profond de modèle, nous avons besoin de tous les acteurs.

Le pic du nombre de morts liés au coronavirus n'est pas atteint en France. Est-il vraiment temps de penser à l'après ?

La priorité, c'est la gestion de la crise. Bon nombre de Français sont en pointe dans la guerre que nous menons contre le coronavirus : le monde médical, les éboueurs, les caissières des supermarchés, les transporteurs... Ils tiennent notre système de santé, économique et social, et les Français sont derrière eux. Le gouvernement a sorti un plan d'urgence avec 45 milliards d'euros d'aide aux entreprises et 300 milliards de prêts garantis. On fait tous bloc. Mais c'est aussi le moment de penser collectivement à l'après. Ça ne dénature pas ce moment de solidarité nationale. Ça le renforce, le prolonge.

Qu'est-ce que ce plan apporterait de plus que  la convention citoyenne pour le climat ou  le « pacte vert » européen ?

Tout ça est convergent et doit s'articuler. En France, différentes initiatives, à différents niveaux, vont dans le même sens. Les citoyens ont notamment la convention citoyenne pour le climat : leurs conclusions ne sont pas encore publiées, mais pour tous ceux qui ont suivi leurs week-ends de travail, on imagine bien qu'il va y avoir une forte ambition dans ce qu'ils vont proposer. La société civile organisée a également proposé le  Pacte du pouvoir de vivre, avec 66 mesures écologiques et sociales pour changer la donne.

Notre plan s'inscrit dans cette même dynamique. 45 députés ont signé l'amendement déposé ce week-end, mais je suis persuadé que d'autres députés se mobiliseront et que de nombreuses forces politiques sont en train de se réinventer autour de l'écologie. On pourrait étendre cette réflexion au niveau européen, où  le Green Deal se prépare et la règle des 3 % de déficit est pour la première fois mise de côté. Nous en sommes à un point où il faut un vrai changement à toutes les échelles et dans une concordance des temps.

Le chercheur François Gemenne remarque sur  Twitter que beaucoup de gouvernements risquent de profiter de la crise sanitaire afin de « remettre en cause les mesures de lutte contre le changement climatique, au nom de la relance économique ». La République tchèque ou la Pologne demandent déjà l'abandon du Green Deal européen. Comment éviter le retour au « business as usual » ?

Ça ne va pas être simple, mais cette crise doit nous ramener à l'essentiel. Nous devons ralentir, décélérer, nous détacher de ce modèle fondé sur le « toujours plus ». Nous n'avons pas besoin de « toujours plus ». Dans le plan, nous avons abandonné le mot « relance ». Si on se « relance » droit dans le mur, on va se le prendre en pleine face. Nous devons maintenant parler rupture et radicalité, dans ce qu'elles ont de positif. Ce sont des mots qui aident à conceptualiser ce changement de direction et nous montrent l'ampleur de ce qu'il y a à faire. Ça ne peut plus être un changement à la marge, une « relance » à moitié verte. Le temps de la transition à moitié est fini. On l'a tellement attendue qu'il faut la faire en catastrophe.

On entend aussi des responsables politiques assumer pleinement l'idée d'une radicalité, d'une rupture. Emmanuel Macron dit quand même que « beaucoup de certitudes, de convictions seront balayées, remises en cause, et nous agirons avec force ».

Vous y croyez ?

Tout cela doit se traduire en actes !

Vous avez rompu avec LREM, parce que vous estimiez que ce parti et le gouvernement n'allaient pas assez vite, n'étaient pas à la hauteur des transformations à mener...

Pas parce que ça n'allait pas assez vite par rapport à ce que moi j'avais en tête, mais par rapport à ce que les scientifiques nous disaient. Effectivement, pour contenir l'augmentation de température à +2 °C d'ici la fin du siècle il faut faire trois fois plus que ce qu'on fait aujourd'hui. Pour rester sous les +1,5 °C, il faut faire cinq fois plus. On connait déjà les secteurs sur lesquels on peut faire beaucoup plus et qui constituent le point de départ de cette transformation : la rénovation énergétique des bâtiments, le développement des mobilités alternatives à la voiture. Je ne dis pas que le gouvernement ne fait rien, mais il peut et doit faire beaucoup plus.

Votre amendement a été rejeté par le gouvernement et par les députés. Y a-t-il encore à espérer quoi que ce soit de la part de nos élus ?

Le gouvernement n'a pas voulu de cet amendement, mais nous n'allons pas baisser les bras. Nous n'avons pas le droit d'échouer. J'ai cru comprendre, des appels que j'ai eus de l'Élysée, que le Président comptait prendre des initiatives là-dessus dès ses prochaines allocutions à la télé. On attend tout ça avec bienveillance et exigence. Dans ce moment de sortie de crise, il faudra être ambitieux, en rupture, mais nous n'allons pas réussir cette transformation les uns contre les autres.

  • Propos recueillis par Alexandre-Reza Kokabi

Source : Alexandre-Reza Kokabi pour Reporterre

Photos :
chapô : ouverture de la 1re séance d'examen du projet de loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, dimanche 22 mars, à l'Assemblée nationale.

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