Source : Marianne, Laurence Dequay, 24-03-2020
Le groupe britannique Luxfer a fermé en mai 2019 l'unique usine tricolore de production de bouteilles de gaz et d'oxygène à Gerzat dans le Puy de Dôme. Axel Peronczyk, son délégué CGT, explique pourquoi son syndicat réclame à Emmanuel Macron sa nationalisation. Avec en pleine crise de Coronavirus, de vrais arguments.
En mai 2019, le groupe britannique Luxfer, avait fermé le site de Gerzat dans le Puy de Dôme, et licencié ses 136 salariés. Aujourd'hui, en pleine crise du coronavirus, des voix s'élèvent pour imaginer un autre futur à cette usine, qui avant sa fermeture, était la seule en Europe à fabriquer des bouteilles à oxygène médical. Ce mardi 24 mars, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, entre autres, ont demandé sa nationalisation. Ils sont loin d'être les seuls : jeudi dernier, la CGT avait fait la même demande. Axel Peronczyk, délégué CGT de l'usine, explique pourquoi son syndicat réclame à Emmanuel Macron la nationalisation de Luxfer à Gerzat.
Marianne : A 27 ans, délégué CGT du site, vous redoutez aujourd'hui, faute de repreneur, qu'il ne démantèle votre usine. Et réclamez avec votre syndicat, sa nationalisation. Pourquoi l'Etat doit-il absolument intervenir?
Axel Peronczyk : Dans cette guerre contre le coronavirus, nous avons eu de beaux discours de notre exécutif. Il est temps de passer aux actes ! Emmanuel Macron a déclaré que la loi du marché ne pouvait réguler tous les biens. Notre ministre de l'économie Bruno Le Maire a clamé qu'il nationaliserait des entreprises si besoin, pour protéger notre souveraineté économique. Or notre usine Luxfer situé à Gerzat est un actif stratégique : c'est la seule installation du pays capable de fournir 140.000 bouteilles d'oxygène haut de gamme, légères et fiables utilisées dans nos hôpitaux et par nos pompiers, sur une production de 220.000 bouteilles.
Nos plus gros concurrents sont installés aux Etats-Unis, en Chine, en Turquie ou en Grande Bretagne. Nous nationaliser, ce serait renouer avec un passé industriel qui a fait la fierté du pays : avant d'être acheté par Luxfer en 2001, nous appartenions au groupe national Péchiney, et nous sommes toujours Péchiney dans notre tête.
Justement racontez-nous, quels motifs Luxfer a-t-il invoqué pour vous fermer?
On nous a expliqué que nous n'étions plus assez compétitifs. Pourtant en 2018, lorsque notre PDG a pris la décision de baisser notre rideau, notre site réalisait encore 1 million d'euros de bénéfices pour 22 millions de chiffre d'affaires. Mais notre direction nous a asséné que le prix de l'aluminium avait augmenté. Un argument fallacieux puisque cette hausse de prix, nos concurrents la subissent aussi ! Elle nous a martelé que nos marchés allaient changer, alors qu'ils sont hyper stables. A tel point que nos clients qui distribuent nos bouteilles après les avoir remplies, Air Liquide et Linde, souhaitaient le maintien de notre activité. Et bien sûr, dans la crise du coronavirus actuelle, nous pourrions sécuriser en amont l'approvisionnement des hôpitaux en bouteilles d'oxygène.
Non, la réalité selon notre analyse, c'est qu'en nous fermant, Luxfer a conforté sa position dominante sur son marché et vend désormais plus cher à ses clients des bouteilles moins haut de gamme. Nous avons d'ailleurs contesté avec succès, devant l'inspection du travail, le motif économique de nos licenciements. Simplement, le ministère du Travail a validé notre PSE. Nous avons depuis engagé un recours devant le tribunal administratif et occupé notre usine jusqu'au confinement national ordonné le 16 mars.
Pourquoi est-ce si difficile aujourd'hui d'empêcher la fermeture d'une usine, ou d'être soutenu lorsqu'on réclame sa nationalisation ?
Nous avons eu très tôt le soutien du PCF, de la France Insoumise. Mais au niveau national, une forme de résignation semble s'être installée. Il y a tant d'usines qui ferment ou réduisent leurs effectifs ! Dans notre bassin d'emploi, la Seita a fermé en 2016, puis 5 usines ont traversé des difficultés en même temps : Michelin, Dietal (luminaires), MLD (médical), la sucrerie Bourbon et les ACC (rénovation ferroviaire). Pourtant - et c'est le Medef qui le martèle -, un emploi industriel dans un territoire fait vivre trois emplois supplémentaires. Il faut donc se battre, comme nous le faisons pour nos sites de production, en signant notamment la pétition « Nationalisons définitivement de l'usine Luxfer Gerzat«. (en ligne sur Change.org).
Des lois obligent pourtant un groupe mondial qui ferme un site à chercher un repreneur, à le revitaliser en favorisant de nouvelles activités économiques ! Pourquoi aucune solution n'a été trouvée pour Luxfer à Gerzat ?
Or procédure de redressement judiciaire, un groupe privé reste maître chez lui ! Ainsi, nous n'avons pu profiter des protections de la loi dite Florange, parce que Luxfer en Europe compte moins de 1.000 salariés... 973 selon notre décompte.
Certes notre directeur a confié à la société ONEIDA le soin de trouver un repreneur pour notre site. Sans résultat pendant 16 mois...Il faut dire que Luxfer tente d'imposer des conditions dissuasives, avec, par exemple, l'interdiction pour le repreneur de produire des bouteilles de gaz pour les revendre sur la plupart des marchés mondiaux. En outre, dès le mois d'octobre, des pelleteuses ont infligé des dégâts à nos zones de chargement.
Non, il faut désormais que l'Etat tape du poing sur la table. A ma connaissance, près de 70 des 165 anciens salariés (27 intérimaires et 2 CDD compris) sont prêts à se former entre eux, et reprendre la production. Approvisionnée, notre usine pourrait fournir sa première bouteille dans 9 semaines !
Source : Marianne, Laurence Dequay, 24-03-2020