31/03/2020 les-crises.fr  10 min #171389

Coronavirus : au moins deux maires présents lors du premier tour des municipales sont morts

Municipales et coronavirus: la colère monte dans le personnel politique

Source : Pauline Graulle et Manuel Jardinaud, pour  Mediapart, le 28/03/2020.

Le nombre d'élus locaux et de militants atteints par le Covid-19 explose. D'aucuns font le parallèle entre le maintien du premier tour, le 15 mars dernier, et l'affaire du sang contaminé.

Difficile de s'y retrouver dans le vertige des nombres et des lieux. Toute cette semaine, les journaux locaux ont tenté de remonter, au compte-gouttes, les noms des élus, militants politiques ou assesseurs atteints par le coronavirus qui ont participé au premier tour des municipales. Des dizaines, pour l'instant. Des centaines, peut-être, bientôt.

Plus la maladie gagne du terrain, plus ils sont nombreux, dans le monde politique, à redouter les effets sanitaires du vote du 15 mars. Un scrutin qui, malgré l'abstention record, a déplacé 20 millions d'électeurs qui se sont pressés dans les isoloirs, dans des conditions d'hygiène parfois douteuses. De quoi augurer un scandale sanitaire que personne, ou presque, n'avait vu venir ?

Depuis ce fameux dimanche, la revue de presse des contaminés du premier tour s'allonge de jours en jours. Le 24 mars, La Voix du Nord titre sur « Le maire et une adjointe d'Anzin-Saint-Aubin en confinement ». Le 25 mars, Le Progrès rapporte « une vague de cas de Covid-19 après la tenue du premier tour » à Bron, à Villeurbanne ou à Lyon. Le 26 mars, l'AFP recense sept élus positifs de Coudekerque-Branche (Nord). Des malades ont aussi été identifiés à Angers ou à Saint-Fons (au moins huit cas sur la liste de Chafia Zehmoul, qui pourrait porter plainte pour « blessures involontaires » contre Édouard Philippe). Mais encore à Marseille,  en Corse, à Paris ou à Saint-Ouen - Mediapart s'en est fait l'écho  ici.

Paule Beaujour et Brahim Fellah, conseillers municipaux à Drancy (93), décédés du Covid-19. © DR

Vendredi 27 mars, la nouvelle est tombée, tragique, dans  Le Parisien : à Drancy, deux conseillers municipaux, Paule Beaujour et Brahim Fellah, sont décédés du Covid-19. Non loin de là, les maires de trois villes ont été hospitalisés : François Asensi, maire Front de gauche de Tremblay-en-France, Stéphane Blanchet, maire divers gauche de Sevran, et Hervé Chevreau, maire divers droite d'Épinay-sur-Seine. « François et Stéphane reprennent des forces », assure Clémentine Autain, la députée La France insoumise (LFI) du coin, qui affirme n'avoir pas encore eu d'échos d'autres cas dans les villes de sa circonscription.

Pourtant, dans ce même département de Seine-Saint-Denis, le nombre des contaminés explose. À Bondy, « ça commence à être vraiment très dur », indique Sergio Coronado, tête de liste, soutenu par LFI. « Rien que dans ma liste, trois personnes ont été touchées, dont un cas sévère, aujourd'hui en réanimation, avec complications cardiaques. » « On est encore loin de tout savoir ! Il y a évidemment beaucoup plus de malades qu'on ne le dit aujourd'hui », ajoute un militant de Saint-Denis, qui pointe le fait que, dans sa ville, un bureau de vote a été installé au beau milieu d'une résidence pour personnes âgées.

À Melun (Seine-et-Marne), là aussi, c'est panique à bord. L'Insoumise Bénédicte Monville enrage contre le maire sortant, Louis Vogel (centre-droit), qui a annoncé, sur Facebook, le 26 mars, être sorti « d'une convalescence de plusieurs jours » après avoir contracté le coronavirus. « Qui a-t-il contaminé entre-temps ? Il n'a prévenu personne quand il l'a su ! », s'émeut la tête de liste insoumise de « Bien vivre à Melun », qui s'étonne qu'à sa connaissance, personne n'ait été mis au courant de sa maladie après le diagnostic. D'autant que l'équipe de l'édile n'a pas lésiné pour inciter le 3e âge à aller voter. Un « pitch » a été transmis aux militants pour aller convaincre 2 700 personnes répertoriées dans un fichier. Il s'achevait ainsi : « Ne laissez pas un virus décider pour vous, votez Louis Vogel ! »

Un message Twitter. © DR

Partout, la colère monte. Parfois, contre des élus locaux qui ont joué au poker électoral avec le principe de précaution. Mais surtout contre un gouvernement qui a décidé de maintenir, coûte que coûte, le premier tour des municipales.

Un pouvoir qui, pour l'instant, prend bien garde à ne pas ouvrir la boîte de pandore de ce maudit premier tour. Dès le lendemain du scrutin, Sibeth N'Diaye, porte-parole, affirmait ainsi, sur France Inter, que le gouvernement n'avait « absolument pas [regretté] d'avoir organisé [ce] moment démocratique qui s'est bien passé ». Elle ajoutait que la décision de maintenir le scrutin s'était « toujours » faite avec « l'approbation » du comité scientifique. Un comité qui a pourtant répété, dans un avis rendu le 12 mars, que « que cette décision [de maintenir ou non le premier tour], éminemment politique, ne pouvait lui incomber ».

Depuis lors, Fabien Desage, maître de conférences en science politique à Lille, fulmine. Coauteur d'une  tribune incendiaire dans Libération (il s'était aussi exprimé dans Mediapart  ici, la veille du premier tour), il n'hésite plus à comparer le premier tour des municipales à l'affaire du sang contaminé : « S'il s'avérait qu'une partie des décideurs politiques avaient connaissance des risques de contamination depuis plusieurs jours, et ont maintenu le 1er tour des élections municipales en dépit de ces risques connus et des appels de plus en plus pressants à la "distanciation sociale" de médecins, avouez que la similitude serait troublante, estime-t-il dans  une interview au journal Mediacités. Certains seront fondés à se demander s'ils n'ont pas été contaminés en votant ou en participant au dépouillement, dans des conditions sanitaires qui étaient forcément très variables d'un bureau de vote à un autre. »

En attendant, la majorité est bien décidée à se couvrir, continuant d'invoquer à la fois le soutien du comité scientifique, mais aussi celui des autres organisations politiques. « Si le 1er tour a eu lieu, c'est parce que les scientifiques ont considéré qu'il pouvait se tenir, martèle ainsi Yael Braun-Pivet, la présidente La République en marche de la commission des lois à l'Assemblée. Par ailleurs, une décision d'annuler, à quelques jours du scrutin, ne pouvait se faire que si chaque camp politique était d'accord. Sinon, ce serait passé pour un coup de force. »

Le premier tour maintenu : la faute des oppositions ? « Mensonge ! », accuse Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste, dont trois salariés sont atteints des symptômes du Covid-19. Comme les autres responsables de partis, reçus trois jours avant le premier tour à Matignon, le député de Seine-et-Marne certifie qu'Édouard Philippe n'a jamais demandé l'avis de l'opposition sur le report (ou non) de l'élection : « Ils essaient de nous faire porter le chapeau, mais on n'a jamais été consultés sur ce sujet. Par ailleurs, on aurait été mal placés pour donner notre feu vert, vu qu'on n'avait pas les informations dont le pouvoir dispose ». Pour le patron du PS, même Gérard Larcher, le président du Sénat pointé du doigt pour avoir voulu maintenir les élections, ne serait pas à blâmer...

Entre le manque de visibilité et les envies légitime d'achever la campagne harassante des municipales, finalement, peu ont dénoncé haut et fort la tenue du scrutin. La moitié des présidents de région, de droite comme de gauche (l'autonomiste corse Gilles Simeoni, la socialiste d'Occitanie Carole Delga, les présidents des Régions Île-de-France et Hauts-de-France, Valérie Pécresse et Xavier Bertrand, de Les Républicains), ont certes exhorté à ne pas se rendre aux urnes. Mais pour le reste, pas de grands cris d'alarme.

Le premier ministre Édouard Philippe à l'Élysée, le 25 mars. © Crédit Francois Mori / POOL / AFP

Y compris à La France insoumise, pourtant toujours prête à croiser le fer avec la Macronie, Jean-Luc Mélenchon a appelé, tard dans la nuit du 14 mars, à se rendre à l'isoloir. Sur un post sur Facebook intitulé « Puisque le vote à lieu, votez ! », il écrivait : « Il me paraît à cet instant que les demandes d'annulation pourraient être de nature à créer par elles-mêmes un désordre inutile. » « Si le bureau de vote ne pouvait ouvrir, faute d'assesseurs, si le dépouillement ne pouvait se faire, on imagine les rassemblements, impatiences et autres qui en résulteraient », justifiait celui qui a voté par procuration à Marseille.

« On a envoyé les gens au casse-pipe », s'énerve aujourd'hui Bénédicte Monville, qui souligne qu'elle était parmi les rares, sur la boucle Telegram de LFI, à réclamer une prise de position publique du mouvement contre l'organisation du premier tour. « Il y a eu des débats, mais Jean-Luc Mélenchon, entre autres, craignait que Macron ne soit obligé d'utiliser l'article 16 [celui donnant les pleins pouvoirs au président de la République - ndlr] pour repousser le scrutin. Pour le coup, je pense qu'il aurait pu le faire sans recourir à cet article, et qu'on aurait dû dire clairement qu'on ne voulait pas de ce premier tour qu'on savait dangereux d'un point de vue sanitaire et problématique d'un point de vue démocratique », ajoute-t-elle. « Le problème était complexe, on ne peut pas avoir une lecture manichéenne », tempère l'eurodéputée LFI Manon Aubry.

Même sentiment d'impuissance chez les Verts : « Oui, on regrette ce scrutin, il n'aurait jamais dû se tenir, reconnaît l'eurodéputé écologiste David Cormand. Mais c'est toujours plus facile à dire après coup. » « L'organisation du scrutin a été chaotique, abonde David Belliard, tête de liste Europe Écologie-Les Verts à Paris, où l'on recense plusieurs cas de contamination, dont la tête de liste dans le XVIIe arrondissement. Le gouvernement a appelé à la fois à se déplacer (pour voter) et à la fois à ne pas se déplacer (pour se confiner) : c'était ubuesque ! Après, oui, sans doute, on aurait dû dire publiquement qu'on ne le sentait pas, mais on n'avait pas toutes les informations, et la donne n'a fondamentalement changé que le samedi soir, quand Philippe a appelé au confinement général. »

Au Parti communiste, Sébastien Jumel, député de Seine-Maritime, département dans lequel  le maire de la commune d'Eu est aujourd'hui sous respirateur à l'hôpital de Dieppe, juge avec le recul que la campagne fut « surréaliste ». « Sur les municipales, on a eu ce débat [au sein du parti], sur le fait qu'il fallait ou non maintenir le premier tour. Avec les informations que nous avions, on pensait qu'il pouvait se tenir », reconnaît celui qui, la dernière semaine, a enchaîné quatre meetings alors qu'il sortait de trois semaines ininterrompues dans le chaudron de l'Assemblée nationale, identifiée depuis comme un « cluster » - l'élu assure avoir demandé à être testé pour être certain ne pas être un risque pour la population, ce qui lui a été refusé car il ne présentait aucun symptôme.

Contacté par Mediapart, le député UDI (centre) de Seine-Saint-Denis Jean-Christophe Lagarde, continue, lui, de relativiser le rôle de catalyseur des élections : « Il y avait plus de risque à aller ce jour-là chez son boulanger qu'au bureau de vote ! » Il s'interroge en revanche sur la succession erratique des décisions gouvernementales. « Fallait-il annuler le scrutin ? La question est plutôt : que savait l'exécutif exactement ? »

Une mission d'information doit d'ores et déjà se mettre en place au Palais-Bourbon. Certains, dans l'opposition, souhaitent qu'elle se transforme en commission d'enquête avec des pouvoirs étendus. Auquel cas, la question sera sans nul doute au programme.

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