15/04/2020 cadtm.org  6 min #172392

Pour aider l'Afrique face au coronavirus, Macron veut «annuler massivement» sa dette

« L'annulation massive de la dette africaine » annoncée par E. Macron accouche d'une souris

(CC - Kremlin)

Lors de son allocution du 13 avril 2020, le président français, Emmanuel Macron, a appelé à prendre des mesures pour aider l'Afrique à lutter contre le Covid-19 en « annulant massivement sa dette » [1]. Pour se traduire dans les faits, cette décision aurait impliqué de la part de l'État français une rupture radicale avec la politique de collusion qu'il entretient depuis 40 ans avec les institutions financières internationales. Sans surprise, elle a été démentie le lendemain par le ministre des Finances, Bruno Lemaire, à la veille des réunions de printemps de la Banque mondiale et du FMI (du 14 au 17 avril) [2]. Les nouvelles déclarations tenues par E. Macron ce mercredi 15 avril à RFI n'y changent rien [3].

La dette extérieure publique des pays africains atteint aujourd'hui plus de 500 milliards de $US [4]. Sous l'effet de la crise débutée en 2007-2008, de la chute du prix des matières premières et de l'imposition de mesures néolibérales, cette dette a plus que doublé depuis 2011. Le service de la dette publique a suivi la même tendance et absorbe en moyenne 13 % des revenus des pays africains [5]. Avec cette nouvelle crise sanitaire et économique, les politiques néocoloniales, de dépendance et de pillage des ressources du continent vont s'amplifier. La dégradation de la situation sociale des populations s'accentuera terriblement.

Malgré les deux annonces successives d'E. Macron, il n'y aura pas d'annulation massive de la dette du continent. Plus tôt, le gouvernement s'était déjà exprimé par la voie de B. Lemaire, en faveur d'un moratoire sur les paiements de la dette extérieure de 2020 [6]. Quant à R. Rioux, directeur de l'Agence française de développement (AFD), il avançait une suspension des paiements tout en l'additionnant à de nouveaux prêts [7]. La cacophonie s'est accentuée aujourd'hui depuis qu'E. Macron a, dans la même déclaration, plaidé pour une annulation de la dette et un moratoire sur le paiement des intérêts uniquement.

Alignée sur la proposition du FMI et de la Banque mondiale [8], qui impose depuis des décennies des politiques néolibérales destructrices, la France se contentera donc de retarder le paiement de la dette et n'envisage aucune annulation [9]. Elle est à mille lieux des recommandations de la CNUCED pour une annulation de la dette des pays du Sud à hauteur de 1000 milliards de dollars US.

Tandis que le continent africain se dirige vers une catastrophe humanitaire, avec des besoins urgents en financement ; que l'enjeu est aujourd'hui non seulement de lutter contre la crise sanitaire, mais de rompre avec le consensus néolibéral pour enfin rendre effectif le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, le CADTM appelle l'État français à :

  • Ne pas réitérer les fautes passées (exemple l'initiative PPTE), c'est-à-dire des initiatives d'annulation trop limitées : en pays, en volume, dans le temps, et accompagnées de conditionnalités politiques profitant aux puissances impérialistes et aux classes dominantes ;
  • Annuler immédiatement et sans aucune forme de conditionnalité les 45 milliards de créances qu'elle détient sur 41 pays africains, soit 10 % de la dette extérieure publique du continent ;
  • Soutenir officiellement et publiquement tout pays qui déciderait unilatéralement de répudier sa dette pour des motifs impérieux (état de nécessité, changement fondamental de circonstance et cas de force majeure) et/ou visant à démontrer le caractère illégitime de sa dette ;
  • Agir, en tant que grande puissance revendiquée, dans toutes les enceintes financières internationales pour que leurs membres annulent leurs créances sur les pays du Sud ;
  • Agir en faveur de l'abolition des institutions de Bretton Woods et autres groupes informels tout en plaidant pour la création d'institutions de remplacement garantissant un fonctionnement démocratique sur le principe d'un pays = une voix, les institutions de Bretton Woods ayant fait la démonstration d'une inefficacité massive et mortifère pour les pays africains, tout comme les groupes informels, tels le G7, le G20 et surtout le Club de Paris qui, de surcroît, sont totalement dépourvus de la moindre légitimité démocratique ;
  • Promouvoir et mettre en place des mécanismes de financements d'urgence que les pays africains pourront utiliser sans aucune forme d'ingérence, au mieux de leurs intérêts et de leurs besoins ;
  • Mettre fin ou contribuer à mettre fin à tous les dispositifs et mécanismes entravant l'indépendance et le développement politique, économique des pays africains, en particulier :
  • Sur un plan bilatéral : les Contrats dits de désendettement et de développement (C2D), les accords de coopération imposés au moment des indépendances formelles et perpétuant une logique coloniale, à l'instar des accords monétaires et financiers imposant le franc CFA, et autres outils d'une Françafrique malheureusement toujours vivace ;
  • Sur un plan multilatéral : les accords de partenariats économiques (APE) et autres outils renforçant les asymétries Nord/Sud ;|
  • Reconnaître le caractère illégitime de certaines de ses créances passées, notamment sur ses anciennes colonies à propos desquelles elle porte une très lourde part de responsabilité quant à leur situation désastreuse actuelle, que ce soit aux plans économique, financier, politique ou social ;
  • En conséquence, remplacer son aide publique au développement par une « contribution de réparation et solidarité » inconditionnelle dont le montant respecterait 'enfin' l'engagement de 0,7% du revenu national brut.

Ces revendications nécessitent une solidarité des peuples et des formes de mobilisations internationales. Le CADTM joint ses efforts aux mouvements, organisations, et réseaux qui militent pour sortir de ce système capitaliste où sur la recherche du profit privé maximum prime sur tout et pour assurer la souveraineté des peuples sur leur vie et leur avenir.

Le CADTM Afrique et le CADTM France, le 15 avril 2020

Contact presse : info chez cadtm.org
france chez cadtm.org

Notes

[1] elysee.fr

[2]  boursorama.com

[3]  rfi.fr

[4] Calculs des auteurs d'après les données disponibles sur le site de la Banque mondiale.

[5] Dont l'Angola (56,5 %), le Ghana (41,1 %), l'Égypte (29,8 %), la Tunisie (27,8 %) ou encore la Zambie (22,1 %). Calculs des auteurs sur base des données disponibles dans l'article « Crisis deepens as global debt payments increase by 85% », Jubilee Debt Campaign, 3 avril 2019. Disponible à :  jubileedebt.org.uk

[6]  tresor.economie.gouv.fr

[7]  la-croix.com

[8] Discours la Directrice générale de la BM - Kristalina Georgieva a prononcé son discours inaugural - Affronter la crise : priorités pour l'économie mondiale -des réunions de printemps, 9 avril 2020

[9]  boursorama.com

 cadtm.org

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