19/05/2020 reporterre.net  7 min #174097

2020, « l'année de tous les dangers » pour le secteur associatif

« 2020, c'est l'année de tous les dangers. » À l'évocation de la situation économique de la Ligue de protection des oiseaux (LPO), son directeur général, Yves Verilhac, ne cache pas son inquiétude. Comme un grand nombre d'associations, la LPO a été fortement affectée par la crise sanitaire et les mesures de restriction mises en place par le gouvernement. « C'est une année qui va être très, très compliquée pour nous », confie-t-il.

Une récente enquête du Mouvement associatif, l'organe représentatif des associations françaises, montre que la LPO n'est pas la seule à craindre pour son avenir : 40 % des associations employeuses se déclarent inquiètes quant à leurs difficultés de trésorerie. Près d'un quart des répondants affirment disposer d'à peine trois mois de budget devant eux. Les associations sociales et environnementales sont les plus touchées.

« Les bénévoles qui comptaient pour nous les outardes n'ont pas eu le droit de sortir »

Cette situation s'explique avant tout par la mise à l'arrêt de la plupart de leurs activités rémunératrices. Depuis la mise en place du confinement, seulement 22 % des associations ont réussi à maintenir une activité minimale. À la LPO, l'ensemble des animations à destination du grand public ont été annulées. La boutique en ligne, dont le chiffre d'affaires varie entre 2 et 3 millions d'euros, a été fermée. Les collectes de rues, qui constituent une part importante de ses revenus, ont également été interrompues. Eau et Rivières de Bretagne a elle aussi dû brutalement mettre un terme aux activités d'éducation à l'environnement qu'elle organise en milieu scolaire, qui constituent près de 40 % de ses recettes. « Ça a été un choc », raconte Arnaud Clugery, son directeur opérationnel.

Très présentes auprès des plus démunis pendant la crise, notamment à travers la distribution de plusieurs dizaines de milliers de repas, les associations gestionnaires du tiers-lieu parisien des Grands Voisins ont également vu leurs recettes fondre. « Nous avons dû fermer le bar et le restaurant, explique Axel Henry, membre de l'association Yes We Camp et habitant des Grands Voisins. Nous tirons également des revenus de la location d'espaces à des petites entreprises et des artistes, dont beaucoup sont précaires. À cause de la crise, certains ne peuvent plus payer le loyer, ce qui nous met en difficulté. » Leurs pertes s'élèvent aujourd'hui à 150.000 euros. « À l'échelle de ce projet, c'est énorme », déplore Clémence Dumanoir, membre de l'association Aurore et coordonnatrice de projets aux Grands Voisins.

La cantine solidaire des Grands Voisins.

La situation est particulièrement difficile pour les associations naturalistes, qui ont l'habitude de réaliser au printemps leurs inventaires d'espèces. Ces derniers sont généralement rétribués par l'État ou les collectivités territoriales. En temps normal, explique Bénédicte Hermelin, directrice générale de France Nature Environnement (FNE), la plupart sont réalisés grâce au travail de bénévoles. Cette année, confinement oblige, ils n'ont pas pu se rendre sur le terrain. « Certains de nos programmes, comme celui de Suivi temporel des oiseaux communs (Stoc), risquent de pâtir de la situation, confesse Yves Verilhac. Par exemple, les bénévoles qui comptaient pour nous les outardes n'ont pas eu le droit de sortir. Nous risquons donc d'avoir quelques trous dans nos banques de données. »

« Certaines entreprises qui nous soutenaient risquent d'avoir d'autres priorités dans les mois qui viennent »

Le directeur général de la LPO se veut néanmoins rassurant sur les conséquences de cette interruption des inventaires de la biodiversité : « Nous avons pu collecter d'autres types de données. Nous allons par exemple avoir une connaissance extraordinaire de l'avifaune des jardins grâce à l'opération  "Confinés mais aux aguets", qui nous a permis de récolter des dizaines de milliers de données que nous n'aurions pas pu avoir en temps normal », se rassure-t-il. L'association s'est également « battue » pour obtenir des dérogations gouvernementales afin de poursuivre des activités essentielles à la protection de certaines espèces menacées, comme les busards [des rapaces diurnes]. « Nous avons pu intervenir pour éviter que leurs nids ne se fassent détruire par les moissonneuses-batteuses en respectant les consignes de sécurité et les gestes sanitaires », souligne-t-il.

Parmi les associations environnementales, seules celles qui se concentrent sur le plaidoyer semblent relativement épargnées par la crise. « L'effet de la pandémie de Covid-19 n'a pas été très fort pour nous, assure Anne Bringault, responsable de la coordination des activités sur la transition énergétique au Réseau Action Climat (RAC). Nous nous sommes adaptés en organisant des points presse et des réunions avec des cabinets, des ministères et des parlementaires en ligne. » Arnaud Clugery, d'Eau et Rivières de Bretagne, confirme : « Toute la partie plaidoyer de l'association a pu rester très active pendant le confinement. » « Nous sommes plus inquiets pour les associations qui sont en lien avec le public et font de l'animation dans les écoles ou les parcs naturels », confie Anne Bringault.

La Ressourcerie créative, aux Grands Voisins.

De nombreuses incertitudes demeurent en effet quant à l'avenir de ces dernières : si les associations employeuses ont pu bénéficier du chômage partiel et du report de leurs charges, beaucoup n'ont pas été en mesure d'obtenir de prêts garantis par l'État, selon Bénédicte Hermelin. La question du mécénat d'entreprise génère également beaucoup d'inquiétudes. « Certaines entreprises qui nous soutenaient risquent d'avoir d'autres priorités dans les mois qui viennent, explique Yves Verilhac. Nous avions déjà subi cela lors de la crise de 2008. Cette fois, ça risque d'être pire. » Bénédicte Hermelin craint également que la crise ne modifie le comportement des donateurs individuels : « Vont-ils continuer à donner pour des causes environnementales dans ces conditions ? C'est un gros point d'interrogation. »

« Il faut que le gouvernement prenne davantage en compte la question des associations dans l'après-crise »

Selon Florian Martinez, militant à l'Union syndicale Solidaires, les employés sous contrats atypiques risquent d'être les premières victimes de cette baisse de revenus. « Le secteur associatif compte beaucoup de personnes précaires, dont la grande majorité sont des femmes, rappelle-t-il. Le taux de CDI ne dépasse pas 60 %. Avec la crise sanitaire, beaucoup de CDD, de vacations et de stages n'ont pas été renouvelés. Cette crise ne fait qu'aggraver des conditions de travail qui étaient déjà très mauvaises », regrette-t-il.

Afin de soulager les associations, certaines collectivités territoriales, comme l'Occitanie, la Nouvelle-Aquitaine et la Bretagne ont mis en place des fonds d'urgence. Le gouvernement a également publié, jeudi 7 mai, une circulaire stipulant qu'aucune sanction ne pourra être prononcée contre les associations qui, en raison de la crise, ne seront pas en mesure de réaliser des projets subventionnés. Elle recommande aux autorités administratives de décaler ces projets, voire de transformer les subventions accordées sur projet (un inventaire, par exemple) en subventions de fonctionnement. Un dispositif vital, selon Bénédicte Hermelin, mais insuffisant : « Il faut que le gouvernement prenne davantage en compte la question des associations dans l'après-crise », insiste-t-elle. Cela pourrait être fait, selon elle, en mettant en place des aides similaires à celles prévues pour le secteur du tourisme. « L'associatif permet de combler les vides laissés par les politiques publiques. Il faut absolument aider les associations à passer ce cap difficile. Sinon, cela va devenir très compliqué pour certaines d'entre elles. »

Source : Hortense Chauvin pour Reporterre

Photos : © Astier/Reporterre sauf :
chapô : Allain Bougrain Dubourg, le président de la LPO, le 1er juillet 2017, à Châtelaillon-Plage (Charente-Maritime), lors du congrès national de l'association. © Xavier Leoty/AFP

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