Le suremballage et les objets jetables se sont imposés pendant la pandémie, comme remparts supposés au virus - alors que le virus peut survivre neuf jours sur le plastique. Les producteurs prônent pourtant la réhabilitation durable de ce matériau.
On pensait les couverts en plastique définitivement bannis des cantines scolaires à compter du 1er janvier 2020. Ils accompagnent pourtant, depuis le 12 mai, la réouverture de certaines écoles. Pierre Knoché, directeur général de la santé et de l'enseignement chez Elior, entreprise de restauration collective, prévoyait ainsi dès le 4 mai « beaucoup d'emballages individuels et des couverts souvent jetables » au micro du 13 h de France 2.
La production d'emballages plastiques, notamment ceux utilisés pour protéger les produits alimentaires ou les matériels médicaux s'est en effet envolée avec l'arrivée de la pandémie. Trois quarts des entreprises de ce secteur sondées par le syndicat Plastalliance enregistraient ainsi un bond de leur activité en avril 2020 par rapport à avril 2019 - la hausse atteignait 30 % pour certaines d'entre elles. Dans le détail, cette proportion concerne trois firmes agroalimentaires sur dix et sept spécialistes du matériel médical sur dix.
Plus de la moitié des répondants à un sondage mené du 30 mars au 3 avril par l'association professionnelle Elipso qui regroupe des ateliers fournissant principalement le secteur alimentaire, ont également signalé une progression pouvant aller jusqu'à 30 %. Paru le 25 mai, le dernier communiqué de ce lobby relativise cependant cette croissance, évoquant une « hausse en trompe l'œil de certaines familles d'emballages (alimentaire à destination de la grande distribution et hygiène) en début de confinement [qui] ne compensera pas la baisse de l'ensemble des emballages plastiques », principalement pour les secteurs fortement touchés par la crise comme l'automobile et le BTP. Quatre de ses adhérents sur dix continuent toutefois de voir leurs commandes augmenter.
Or, à l'autre bout de la chaîne, les usines de recyclage tournent au ralenti, encore amputées d'un cinquième de leur productivité au 18 mai, selon la Fédération des entreprises du recyclage. Certaines villes françaises ont d'ailleurs, à l'image de Paris, suspendu le tri sélectif pendant les deux mois de confinement. Ce recul concerne aussi les déchets hospitaliers. Non seulement, les 200 millions de masques jetables produits par semaine ne sont pour l'heure pas recyclés - bien qu'un collectif de praticiens hospitaliers, ingénieurs et chimistes réclament une révision de ce paradigme - mais cet usage unique s'étend, sur recommandation du Haut Conseil de la santé publique, à l'ensemble des déchets contaminés ou susceptibles de l'être, désormais traités comme à risque infectieux.
« Cela signifie que ces plastiques ne sont plus recyclés », précise Cédric Alliès, consultant en responsabilité sociale des entreprises et des organisations au sein de l'agence spécialiste des établissements de santé Primum Non Nocere. « Ce n'est pas incohérent au regard du principe de précaution mais il faudrait que ces pratiques disparaissent en même temps que le virus », estime-t-il.
Le virus survit jusqu'à neuf jours sur les surfaces tels le plastique, le verre et le métal
Ce spécialiste admet que, pour certains équipements médicaux, il n'existe guère d'alternative au plastique à usage unique. Les dispositifs concernés sont d'ailleurs exclus à la fois de la directive européenne du 5 juin 2019 et de la loi du 10 février visant toutes deux à supprimer le plastique à usage unique. Et l'augmentation du matériau les constituant paraît donc logique dans le contexte d'engorgement des établissements de santé. Le suremballage ne s'avère cependant, toujours selon Cédric Alliès, « pas si utile que ça. Le Sars-Cov2 est classé agent infectieux de catégorie B. Or, on prend des dispositions extrêmes semblables à celles pour les agents de catégories A (tels Ebola, Creutzfeldt-Jakob). Cela est dû à l'impératif de rassurer toutes les parties prenantes », observe-t-il. Mais c'est exagéré.
C'est avec le même objectif de rassurer que la grande distribution a recommencé à suremballer les produits alimentaires, surtout les fruits et légumes. Les consommateurs sont parfois même incités par certains responsables politiques, comme le chef du gouvernement italien Giuseppe Conte, à préférer les aliments sous vide. Sans aucune justification scientifique, puisqu'une étude publiée par le Journal of Hospital Infection révèle que le Sars-Cov2 survit jusqu'à neuf jours sur les surfaces tels le plastique, le verre et le métal. Il résiste même plus longtemps sur le plastique et l'acier inoxydable, que sur la cuivre et le carton, selon une autre étude parue dans le New England Journal of Medecine.
Les lobbies du plastique se gardent évidemment de démentir l'idée reçue (et donc fausse) selon laquelle l'emballage plastique protégerait du virus. « Cette crise n'est pas une aubaine, tempère Joseph Tayefeh, le secrétaire général du syndicat Plastalliance. Mais un rappel qu'avant d'aller vers des mesures draconiennes pour bannir totalement et à l'aveugle tous les produits en plastique à usage unique, il est nécessaire de réfléchir et de voir quels sont ceux dont on ne peut pas se passer », dit-il incluant dans cette catégorie les emballages alimentaires. Il espère que cette crise remette en question leur interdiction à l'horizon 2040.
De son côté, le Medef n'a pas hésité à adresser un courrier en ce sens à la ministre de la Transition écologique Élisabeth Borne, dans lequel il réclame « un moratoire sur la préparation de nouvelles dispositions énergétiques et environnementales ». Cette missive fait notamment référence à la loi adoptée le 10 février dernier, fixant le cap du zéro plastique à usage unique d'ici vingt ans et prévoyant l'interdiction des pailles, couverts jetables, touillettes et boîtes en polystyrène dès l'an prochain.
La ministre du Travail recommande l'usage de lingettes et de bouteilles jetables
« Opposer écologie et économie, c'est totalement dépassé », a rétorqué la ministre sur France info. Tandis que la secrétaire d'État à la Transition écologique Brune Poirson a affirmé, devant les membres de la commission du développement durable du Sénat, que les dates d'application du texte demeureront « inchangées ». Elle a expliquer cependant « retravailler un peu les calendriers d'élaboration et de concertation de certaines mesures réglementaires » en raison de la crise sanitaire et économique.
Une détermination que contredisent les recommandations adressées aux entreprises par leur collègue du ministère du Travail, Muriel Pénicaud, le 9 mai, soit deux jours avant le déconfinement. Parmi elles, la mise à disposition de lingettes nettoyantes ou encore le remplacement des fontaines à eau par des bouteilles individuelles - deux objets pourtant ciblés par la loi du 10 février. « Ce sont des solutions de facilité », selon Marta de Cidrac, sénatrice LR et rapporteure du texte, qui les juge seulement transitoires. « Il faut rester lucides sur ce que l'on met en place. D'accord pour que ces outils dépannent pendant une période restreinte mais surtout, surtout, qu'on ne les pérennise pas », insiste-t-elle.
Pour autant, rien n'oblige à attendre la fin de la pandémie pour retrouver les bonnes pratiques, parfois abandonnées mi-mars. Zero Waste France appelle ainsi à soutenir les commerçants proposant la vente en vrac et à continuer à réduire ses déchets. « Ces réflexes sont ancrés plus profondément que les quelques mois de crise qu'on a vécus, espère Laura Châtel, responsable du plaidoyer au sein de cette association, interrogée par Reporterre. L'objet personnel [type gourde, Tupperware] peut aussi être vu comme rassurant dans la mesure où on le maîtrise mieux en étant le seul à le laver, contrairement à un contenant à usage unique qui vient de l'extérieur. »
Laura Châtel reconnaît certes que « pendant le confinement, il semblait logique que la priorité absolue consiste à limiter le risque de contagion. Mais là, on entre dans une phase qui va s'installer dans le temps et donc ça devient embêtant que le tout jetable continue à avoir la cote. » Tout dépend, encore une fois, de quel côté on se place. Ce ne sont pas les fabricants de lingettes désinfectantes, dont le prix a flambé de 21 %, qui diront le contraire.
Source : Augustine de Passilly de Reporterre
Photos :
chapô : Bouteille en plastique et lingettes jetables. © Elsa Bastien/Reporterre
Légumes sous plastique. Flickr
Légumes. Tony Webster / Flickr