18/06/2020 wsws.org  8 min #175569

Violence policière et domination de classe

Par Niles Niemuth et Joseph Kishore
18 juin 2020

Voilà maintenant un peu plus de trois semaines que l'assassinat de George Floyd le Jour du souvenir, a déclenché des manifestations de masse aux États-Unis et dans le monde entier. Les représentants politiques de la classe dirigeante y ont réagi par la force brute et les menaces de répression militaire d'une part, et de l'autre en promettant de «réformer» et de «rendre des comptes».

Hier, Trump a signé un décret qui prévoit d'intégrer à la police davantage de travailleurs sociaux et de professionnels de la santé mentale. Il prévoit aussi de créer une base de données nationale pour suivre les agents licenciés ou condamnés pour usage excessif de la force et d'interdire les étranglements, excepté comme il l'a expliqué, «lorsque la vie d'un agent est en danger».

Trump a annoncé son décret dans un discours devant des policiers, plein d'appels à «l'ordre public» et de dénonciations des manifestants. La mise en garde de Trump sur les étranglements laisse la porte grande ouverte à la poursuite de cette pratique mortelle étant donné que les policiers affirment régulièrement qu'ils craignent pour leur vie lorsqu'ils blessent gravement ou tuent quelqu'un.

Les Démocrates ont proposé leur propre liste de changements cosmétiques. Celle-ci imite en grande partie celle de Trump, notamment sur l'interdiction des étranglements et la création d'une base de données nationale sur les agents abusifs; tout en rejetant explicitement la demande, populaire parmi les manifestants, de «couper le budget» de la police. L'ancien vice-président Joe Biden, le candidat Démocrate présumé à la présidence, a demandé 300 millions de dollars de fonds supplémentaires pour renforcer les services de police dans tout le pays. Pour le sénateur Bernie Sanders, les policiers devaient être mieux payés.

Rien ne sortira de telles mesures. On pourrait tout aussi bien proposer de changer la couleur des uniformes de la police. Inévitablement, les «réformes» de ces représentants de la classe dirigeante finiront par renforcer la police comme appareil répressif de l'État.

La classe dirigeante a proposé à maintes reprises une réforme de la police comme solution supposée à une violence excessive. Après les rébellions urbaines des années 1960, les Démocrates affirmaient que le problème serait résolu par la présence d'un plus grand nombre de policiers noirs, puis par plus de chefs de la police noirs pour la superviser et enfin par plus de maires noirs.

Un demi-siècle plus tard, les Afro-Américains représentent plus de 13 pour cent des agents de police, une surreprésentation par rapport à l'ensemble de la population. Les chefs de police noirs dirigent des départements dans tout le pays et les villes, grandes et petites, ont élu des maires noirs. Cette dernière décennie, on a proposé comme autre panacée de placer des caméras dans les véhicules de police, puis sur les policiers eux-mêmes.

Et pourtant, les meurtres et les abus se poursuivent, et se sont même intensifiés.

Ce qui est absent de tous les commentaires des médias sur la violence policière, et encore plus des déclarations des politiciens bourgeois, c'est un examen quelconque de ce qu'est la police et de son rapport à la société capitaliste.

L'explication uniforme que la violence policière est une manifestation de racisme n'explique rien. Il y a bien sûr du racisme dans la police. Les sentiments fascistes sont omniprésents dans les couches qu'on y recrute. Mais les victimes de la violence policière sont les pauvres et les opprimés de toutes les races. Même au moment où les protestations se poursuivent, les meurtres continuent, comme celui de Rayshard Brooks à Atlanta, en Géorgie, qui était noir, et celui d'Hannah Fizer à Sedalia, dans le Missouri, qui était blanche.

La police ne fonctionne pas comme instrument d'oppression raciale mais comme instrument de la lutte de classe. Puisque que Floyd a été tué à Minneapolis, il est utile de rappeler le rôle qu'y a joué la police il y a quatre-vingt-six ans, tabassant les grévistes durant la grève générale dans cette ville, en 1934.

Ce n'est là qu'un exemple parmi tant d'autres. Dans chaque grande bataille de classe ou conflit social en Amérique, de la grande grève des chemins de fer de 1877 à la grève historique des mineurs de cuivre de Phelps Dodge en Arizona en 1983-1985, en passant par le massacre de Haymarket en 1886, les travailleurs ont affronté dans la police l'instrument destiné à imposer la «légalité» de la classe dirigeante. Une nouvelle vague de grèves verra certainement les policiers jouer leur rôle «classique» c'est-à-dire attaquer les piquets de grève. Les manifestants qui ces dernières semaines ont eu l'occasion d'observer les flics en action devraient se rappeler la tristement célèbre émeute policière de Chicago en 1968. Des milliers de manifestants contre la guerre au Vietnam furent brutalement tabassés alors qu'ils manifestaient pacifiquement devant la Convention nationale démocrate.

La police d'État de l'Arizona, lourdement armée, tire des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc sur les grévistes de Phelps Dodge en septembre 1984 [Crédit photo: David North]

Les inégalités sociales et les tensions de classe se sont accrues dans les quatre dernières décennies, la taille et le budget de la police ont augmenté en conséquence. La police représente entre 20 et 45 pour cent du financement disponible du budget des grandes villes américaines. Au total, les dépenses consacrées à la police s'élèvent à 115 milliards de dollars, contre 42 milliards il y a quarante ans, tenant compte de l'inflation.

Le financement de la police fédérale, y compris du FBI, et les subventions aux agences de police des États et locales, ont plus que quintuplé dans la même période. En 1980, les dépenses totales consacrées à la police et aux institutions connexes sont passées de 1 pour cent du revenu national à 2 pour cent, tandis que les dépenses consacrées aux programmes d'aide sociale ont chuté de 1 pour cent à 0,8 pour cent.

Les forces de police sont en outre de plus en plus intégrées à l'armée, l'instrument de la domination impérialiste américaine à l'étranger. Le pentagone a transféré quelque 7 milliards de dollars d'équipements militaires aux forces de police locales ces deux dernières décennies. Quand Trump qualifie les manifestants de «terroristes intérieurs», il ne fait qu'étendre la logique de la «guerre contre le terrorisme» à l'opposition à l'intérieur des États-Unis. Les équipes paramilitaires des SWAT brandissent des fusils d'assaut et se déplacent en véhicules blindés pour affronter des manifestants ont toutes les caractéristiques d'une force d'occupation.

Si l'ampleur des meurtres policiers aux États-Unis est unique dans les économies avancées, la brutalité policière est un phénomène universel.

Le Brésil, où des policiers corrompus sévissent dans les favelas pauvres du pays, est régulièrement en tête dans le monde en matière de brutalité policière, avec plusieurs milliers de morts par an. Aux Philippines, des milliers de travailleurs pauvres ont été victimes de la «guerre contre la drogue» du président fasciste Rodrigo Duterte.

En France, l'État a déchaîné toute sa force contre les gilets jaunes, majoritairement blancs, ainsi que sur les immigrants africains qui protestent pour l'égalité. En Hongrie, la police fait l'objet de près de mille plaintes pour usage excessif de la force chaque année, sans rélles conséquences pour les agents fautifs.

Des manifestations importantes contre la violence policière et en solidarité avec George Floyd ont éclaté au Kenya, au Ghana, au Nigeria et en Afrique du Sud, pays où les forces de police sont notoirement brutales. Les forces de sécurité des États tuent des centaines de personnes chaque année dans chaque pays. Un reportage de BBC News note en avril que «les forces de sécurité tuent plus de Nigérians que le COVID-19».

Des acteurs étatiques ont tué au moins 1.476 personnes au Nigéria au cours de l'année écoulée, selon le Conseil des relations extérieures américain (CFR). Dans son rapport sur la période de verrouillage sanitaire au Nigeria, la Commission nationale des droits de l'homme du Nigeria (NHRC), une agence gouvernementale, a déclaré avoir trouvé «8 incidents distincts d'exécutions extrajudiciaires ayant entraîné 18 décès».

Comment expliquer cela par le racisme? Le caractère international de la violence policière - ainsi que la prolifération de cette violence dans les villes supervisées par des chefs de police et des maires noirs - réfute le récit raciste, l'affirmation que ce qui est en cause aux États-Unis est l'oppression de «l'Amérique noire» par «l'Amérique blanche».

La violence policière est liée au caractère de la société capitaliste. La brutalité particulière de la police aux États-Unis doit s'expliquer par la brutalité particulière des rapports de classe en Amérique, terre d'inégalité et foyer de l'oligarchie financière.

Dans son livre «L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'État», écrit en 1884, Friedrich Engels fournit l'explication marxiste classique de l'État. L'État, écrit-il, «n'est donc pas un pouvoir imposé du dehors à la société».

Il s'agit plutôt d'un produit de la société à un certain stade de développement; c'est l'aveu que cette société s'est empêtrée dans une contradiction insoluble, qu'elle s'est scindée en antagonismes inconciliables qu'elle est impuissante à dissiper.

Un trait distinctif central de l'État, poursuit Engels, est l'établissement d'un «pouvoir public», qui «n'est pas seulement constitué d'hommes armés, mais aussi d'adjoints matériels, de prisons et d'institutions de coercition de toutes sortes... Il [le pouvoir public] se renforce... à mesure que les antagonismes de classe au sein de l'État s'accentuent et que les États voisins deviennent plus grands et plus peuplés».

Autrement dit, l'État n'est pas un arbitre neutre. Il est, avec les «institutions de coercition de toutes sortes», un instrument politique de la classe dominante, né de la nature irréconciliable des intérêts de classe.

Le Parti de l'égalité socialiste est en faveur de l'abolition de la police. Mais l'abolition de la police est liée à l'abolition de la société de classe. Rien ne changera avec la couleur de la peau des policiers ou l'origine raciale des autorités municipales ou encore avec telle ou telle réforme symbolique.

La fin de la violence policière et la défense des droits démocratiques exigent la mobilisation de la classe ouvrière, aux États-Unis et dans le monde, afin d'abolir l'État capitaliste. d'exproprier les oligarques au pouvoir et d'établir un contrôle démocratique sur la vie économique, sur la base du besoin social et non du profit privé. En d'autres termes, cela exige une révolution socialiste.

(Article paru d'abord en anglais 17 juin 2020)

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