29/06/2020 reporterre.net  12 min #176112

Les 150 propositions choc de la Convention citoyenne pour le climat enfin dévoilées

Convention climat : les propositions que le gouvernement a déjà refusées

Emmanuel Macron doit recevoir lundi 29 juin les membres de la Convention citoyenne pour le climat, et apporter une réponse officielle à leurs 149 propositions pour réformer la société. Le chef de l'État avait promis de soumettre au Parlement ou à référendum ces mesures, mais certaines d'entre elles ont déjà été refusées par le gouvernement depuis le début du quinquennat.

L'heure n'est plus aux promesses, mais aux engagements. En janvier 2020, Emmanuel Macron avait rendu visite aux 150 participants de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) et s'était engagé à soumettre « sans filtre » leurs propositions soit au vote du parlement, soit à référendum, soit à application réglementaire directe. Ces propositions sont désormais prêtes.

Pendant neuf mois,  les membres de la CCC ont travaillé sur 150 mesures (149 d'entre elles ont été adoptées par la Convention à la majorité le 21 juin) pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, dans un esprit de justice sociale. Le chef de l'État doit recevoir les citoyens à l'Élysée ce lundi 29 juin et  apporter une réponse officielle à ces propositions.

Une question s'impose : que va décider Emmanuel Macron ? Des organisations environnementales et sociales ont d'ores et déjà affiché leur soutien aux « 150 » et  enjoignent le président de la République à tenir sa parole. Les associations veulent garder espoir, mais il convient de constater que si ces 149 propositions sont ambitieuses, elles ne sont pas nouvelles. Nombre d'entre elles ont déjà été portées dans le débat public, par des ONG comme par des parlementaires. Et surtout, nombre d'entre elles ont déjà été refusées par le gouvernement depuis le début du quinquennat. On rembobine.

Consommer : Un nouveau plaidoyer pour une régulation de la publicité

Des panneaux publicitaires cachent les façades du Petit-Palais pendant son ravalement, le 20 décembre 2001 à Paris. 

La publicité tient une place très importante parmi les propositions du volet « Consommer », les membres de la CCC souhaitent fortement la réguler. Ils estiment qu'une surexposition à la publicité incite à la surconsommation en créant des besoins ou en invitant à renouveler des produits encore fonctionnels. « Les publicités émises nous paraissent souvent en contradiction avec l'Accord de Paris, avance le groupe de travail. Un produit particulièrement nocif pour le climat - sans qu'il soit interdit pour respecter la liberté de commerce et de consommation - ne devrait pas être promu auprès du grand public. » Plusieurs amendements allant dans ce sens (notamment pour interdire la pub des vols intranationaux) avaient déjà été rejetés lors de l'examen du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire - loi promulguée le 10 février 2020.  Des interdictions jugées « excessive s » par la rapporteuse Véronique Riotton. « Il est impossible d'interdire purement et simplement la publicité pour des consommations courantes, hors motifs particuliers, notamment de santé publique - c'est le cas du tabac. Je conçois que cela puisse être agaçant, mais c'est le droit », avait argué Brune Poirson.

En outre, les membres de la CCC demandent une interdiction des panneaux publicitaires dans les espaces publics extérieurs (hors information locale et culturelle) et des écrans publicitaires dans l'espace public, les transports en commun et les points de vente. Or, dans le cadre du projet de loi Énergie-climat en juin 2019, les députés de l'Assemblée nationale  ont déjà rejeté quatre amendements identiques visant à interdire les écrans numériques dans l'espace public. Aucune argumentation n'avait été apportée par le ministre de l'Écologie de l'époque, François de Rugy, ni par le rapporteur du projet de loi pour justifier l'avis défavorable du gouvernement.

Lors de l'examen du projet de loi relatif à l'économie circulaire et à la lutte contre le gaspillage, un amendement moins ambitieux avait finalement été adopté, permettant aux maires d'interdire par arrêté toute publicité numérique ou lumineuse. Les autres amendements consistant à réguler la publicité ont été rejetés « quasi systématiquement », a regretté Résistance à l'agression publicitaire (R.A.P.), qui a dénoncé « un manque de volonté politique de légiférer sur ce sujet pourtant crucial pour l'économie circulaire et la lutte contre le gaspillage ».

Se nourrir : « Une économie de marché compatible avec l'écologie » ?

Manifestation climat à Paris le 15 mars 2019. 

Les membres de la CCC voudraient qu'un choix végétarien quotidien soit mis en place dans la restauration collective publique à partir de 2022, y compris dans la restauration collective à menu unique. Cette proposition va donc plus loin que l'amendement adopté en septembre 2018 lors de la loi Alimentation et agriculture, qui a lancé  l'expérimentation d'un menu végétarien dans les cantines au moins une fois par semaine, pendant deux ans. Le ministre de l'Agriculture de l'époque, Stéphane Travert, s'était fermement opposé à ce choix. « Sur un débat de société, je défends la liberté de choix. Je ne suis pas ici pour que l'on impose les choses comme cela par la loi »,  avait-il déclaré.

« Nous souhaitons le dépôt d'un moratoire sur le Ceta [l'accord économique et commercial entre l'Union européenne et le Canada] pour que la France n'aille pas plus loin dans le processus de ratification nationale de l'accord », demandent encore les 150 citoyens. Ils plaident pour une renégociation du traité, afin d'y intégrer les objectifs climatiques de l'accord de Paris sur le climat. Or, Emmanuel Macron lui-même s'était déjà exprimé sur ce point devant la CCC au mois de janvier. « Nous sommes dans une situation de confiance qui nous permet de ratifier le Ceta »,  avait-il affirmé, en rappelant que le Canada respecte l'accord de Paris sur le climat. « Je crois que le modèle d'une économie de marché ouverte est compatible avec l'écologie », avait-il ajouté.

Au sein du volet « Se nourrir », les 150 citoyens souhaitent également l'adoption d'une loi pénalisant le crime d'écocide. Ils aimeraient que cette proposition soit soumise aux Français, par le biais d'un référendum. Ils proposent la définition suivante : « Constitue un crime d'écocide toute action ayant causé un dommage écologique grave en participant au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires [1], commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées ». La mise en œuvre de cette loi serait garantie par la Haute Autorité des limites planétaires. Mais là encore, le Parlement a déjà rejeté l'année dernière la notion d'écocide. En mai 2019, le groupe socialiste du Sénat avait proposé une loi visant à introduire ce concept dans le Code pénal français. Brune Poirson avait estimé que la « définition de l'incrimination [était] assez imprécise » et que  « la France avait déjà un arsenal robuste ». En décembre 2019, ce sont les députés qui ont à leur tour rejeté la reconnaissance de l'écocide. « Je ne partage pas l'idée que notre droit pénal serait lacunaire ou que les sanctions prononcées seraient dérisoires, rien ne dit que tel doit être le cas »,  avait déclaré la ministre de la justice Nicole Belloubet.

Travailler et produire : La réparation, angle mort du gouvernement

Pour le volet « Travailler et produire », les membres de la CCC se sont particulièrement intéressés à la conception des produits du quotidien. Ils voudraient rendre obligatoire la possibilité de réparer les produits manufacturés vendus en France d'ici janvier 2023, notamment par le consommateur lui-même, et obliger les producteurs à fournir des pièces détachées (d'origine ou compatibles) pendant 15 ans. Mais une fois n'est pas coutume, des amendements similaires à ces propositions ont déjà été rejetés lors de l'examen de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire : ils visaient à prévoir notamment le  libre accès aux documents techniques de réparation, ou encore à interdire les pratiques visant à  empêcher le recours par un consommateur à un réparateur professionnel indépendant, ou à l'autoréparation.

Les 150 citoyens proposent également de séparer les mises à jour correctives (dysfonctionnements, failles de sécurité) des mises à jour évolutives (nouvelles versions et fonctionnalités) sur les équipements électroniques, et de mettre à disposition les mises à jour correctives pour une période de dix ans. Un amendement émis par des députés de la France insoumise a déjà été proposé en ce sens - et rejeté - lors de  l'examen de la loi relative à lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire en décembre 2019. La secrétaire d'État à la Transition écologique, Brune Poirson, avait émis un avis défavorable, au motif que cette mesure poserait  un problème de compatibilité avec le droit européen.

Se loger : Une rénovation énergétique globale des bâtiments enfin envisagée ?


Isolation thermique par l'extérieur d'un bâtiment.

Les 150 citoyens souhaitent rendre obligatoire la rénovation énergétique globale des bâtiments (toit, isolation, fenêtre, chauffage et ventilation mécanique contrôlée) d'ici 2040. Cette proposition est portée depuis plusieurs années par les associations. En décembre 2019, lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2020, le groupe Socialistes et apparentés de l'Assemblée nationale avait présenté un amendement pour  créer un nouveau programme permettant « de financer des actions uniquement consacrées à la réduction de la consommation énergétique, portant sur l'ensemble des bâtiments, afin d'engager l'État dans une trajectoire lui permettant de respecter le décret tertiaire ». L'amendement a été rejeté.

« Dans la proposition de la CCC, les mots "obligation" et "globale" sont importants, analyse Anne Bringault, responsable de la transition énergétique au Réseau Action Climat. Lors de la loi Énergie climat, cette question de l'obligation de la rénovation des bâtiments a été mise au débat. La seule chose qui a été acceptée, c'est une vague obligation de faire des travaux dans les passoires thermiques d'ici 2028. C'est absolument sans sanction, donc il n'y a vraiment pas d'effet. »

Se déplacer : « Le gouvernement se refuse à augmenter le malus des véhicules les plus polluants »

Sur le volet des mobilités, les membres de la CCC plaident pour une augmentation du bonus pour les véhicules peu polluants. En compensation, ils veulent « renforcer très fortement » le malus sur les véhicules polluants et introduire le poids comme un des critères à prendre en compte. En octobre 2019, lors du projet de loi de finances pour l'année 2020, un amendement allant dans ce sens a déjà été présenté... et rejeté. « Actuellement, le gouvernement se refuse à augmenter le malus des véhicules les plus polluants alors que justement, c'est au moment de l'achat des véhicules neufs qu'il faut agir, s'indigne Anne Bringault du RAC. Ces véhicules-là vont consommer du carburant pendant dix ans ! » Durant la discussion du budget rectificatif du troisième projet de loi de finances rectificative (PLFR3) à l'Assemblée nationale, le 24 juin 2020, la commission des Finances  a là encore rejeté les propositions de malus au poids, ainsi que la baisse de la TVA sur les billets de transport collectif.

Les 150 membres de la CCC veulent également inciter les Français à utiliser des moyens de transport doux ou partagés en généralisant et en améliorant le forfait mobilité durable, prévu par la récente loi d'orientation des mobilités (loi LOM). Il s'agit d'une prise en charge (facultative) par un employeur des frais de transport personnels de son salarié, pour se rendre sur son lieu de travail à l'aide de mobilités douces. « Une augmentation de ce forfait, c'est ce que demandent toutes les ONG, dit Anne Lassman-Trappier, responsable du réseau transports chez France Nature Environnement. Nous voulons que ça devienne une obligation pour les entreprises, et que ce soit encore plus ambitieux. »

La crainte d'un « détricotage »

Et la liste de propositions refusées est loin d'être exhaustive. La réaction d'Emmanuel Macron est donc largement attendue. « Le Premier ministre a dit à l'Assemblée nationale que ce qu'a réalisé la Convention citoyenne pour le climat est une contribution qui a vocation à susciter du débat. Non ! Ça a vocation à ce qu'on prenne des décisions », lance Delphine Batho, présidente de Génération écologie. Tout comme 50 parlementaires  ayant adressé une lettre à Emmanuel Macron, la députée espère que toutes les propositions de la CCC seront reprises dans un projet de loi.

Alors projet de loi, référendum, décret ? Quelle que soit la réponse apportée par le chef de l'État, les 150 citoyens et les associations craignent surtout un « détricotage » des mesures. « Le gouvernement doit prendre ces propositions comme un tout, et ne pas faire le tri, alerte Marie Chéron, responsable mobilité au sein de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l'Homme. Il y a une cohérence entre les mesures, on ne peut pas les isoler les unes des autres et les juger une par une. Ça n'aurait pas de sens. »


[1] Les limites planétaires sont une notion scientifique avançant que l'humanité ne doit pas dépasser neuf seuils, comme les pertes de biodiversité ou l'acidification des océans, pour ne pas perdre l'hospitalité de la Terre.
Source : Justine Guitton-Boussion pour Reporterre

Photos :
chapô : venue d'Emmanuel Macron devant les membres de la Convention citoyenne pour le climat lors de la quatrième session, le 10 janvier 2020. Capture d'une vidéo du Conseil économique et social sur YouTube
publicité : © Jean-Pierre Muller/AFP
écocide : © Éric Coquelin/Reporterre
isolation : Isolation thermique d'une façade par l'extérieur.  Wikimedia (Cjp24/CC BY-SA 4.0)
isolant :  Pixabay (CC0)

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