16/10/2020 reporterre.net  7 min #180475

Désobéissance civile, horizontalité... En Suisse, la grève pour le climat débat de sa stratégie

Une journaliste du média Le Courrier revient sur l'émergence de la grève du climat en Suisse. Plus d'un an après les premières mobilisations, le mouvement entend devenir un contre-pouvoir, aller chercher des militants dans le monde du travail et enclencher une grève générale.

En Suisse, 2019 a été une année spéciale. Le mouvement des jeunes pour le climat - la Grève du climat - a débuté en janvier 2019, et l'année a aussi été marquée par la grève féministe du 14 juin. Retour en quelques faits marquants :

  • Les débuts : Le vendredi 18 janvier, plus de 20.000 jeunes débrayaient pour le climat dans tout le pays. À Lausanne, on en comptait 8.000. À Genève, entre 4.000 et 5.000. Des étudiants, lycéens, universitaires... Et aussi des apprentis - donc le monde du travail - et de jeunes collégiens. On n'avait pas vu un tel soulèvement à Lausanne depuis la mobilisation contre la guerre en Irak. Les manifestants exigeaient des autorités de déclarer l'état d'urgence climatique et de sortir des énergies fossiles d'ici à 2030. Une autre revendication s'est greffée plus tard : celle de la justice climatique et de la justice sociale.

À la suite de cette première manifestation, les grèves se sont enchaînées.  Les grévistes ont fait pression sur le parlement, notamment vaudois, et la grève du samedi 2 février a réuni  entre 40 et 60.000 personnes dont Jacques Dubochet à Lausanne, prix Nobel de chimie. Les manifestations n'avaient pas systématiquement lieu le vendredi mais également le samedi, afin de faire participer le reste de la population. Avec un certain succès.

  • L'émergence d'Extinction Rebellion (XR) : pendant le sommet de l'été, un éventuel virage vers plus de radicalité a été discuté. L'émergence d'XR a créé beaucoup de discussions. La grève du climat n'arrive pas à converger totalement vers la désobéissance civile.

En septembre et en décembre, à Lausanne, XR a organisé ses propres blocages mais les a aussi introduits dans des marches de la grève du climat : ainsi, le 27 septembre,  la grève du climat, la grève féministe et Extinction Rebellion organisaient, ensemble, une journée d'action.

  • Le mouvement prend de l'ampleur : Du 21 au 25 septembre, la grève du climat a tenté d'occuper la place fédérale à Berne. 200 activistes du climat l'avaient investie à l'aube, alors que le parlement, tout proche,  bouclait sa session sur la taxe CO2 - un projet de législation qui doit permettre à la Suisse de réduire d'ici 2030 ses émissions de CO2 de 50 % et de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Ils ont été évacués de force le lendemain matin par la police.

Le 28 septembre, dans la capitale, une grande manifestation nationale réunit environ  100.000 personnes. Il devient clair que les jeunes ne sont pas les seuls dans ce mouvement. À quelques semaines des élections fédérales, on sent que quelque chose de plus gros va se jouer pour les Verts.

  • Octobre 2019 : percée des Verts au Parlement avec un  doublement des scores des deux partis Verts par rapports aux dernières élections.

  • Un an de lutte et la volonté de convaincre les travailleurs : le 17 Janvier 2020, la grève du climat, en présence de Greta Thunberg, a réuni plus de 10.000 personnes. Tous les yeux étaient tournés vers elle.

Aujourd'hui, la grève du climat en Suisse est un mouvement à la stratégie fluctuante. Les militants ne tiennent pas le même discours sur la désobéissance civile, point qui semble réellement soulever des questions. Autre souci : la volonté d'horizontalité au niveau national crée des crispations importantes en interne. Certains voudraient avoir des porte-parole tournants, d'autres sont catégoriquement contre toute forme de désignation personnelle. La grève du climat veut toutefois construire une stratégie de contre-pouvoir, aller chercher des militants dans le monde du travail et enclencher une grève générale. Ils voulaient par exemple organiser une « grève pour le futur » le 15 mai, avec des ONG et des syndicats mais ils ont été entravés par la pandémie.

Un activiste acquitté au nom de « l'état de nécessité » face à l'urgence climatique

En septembre et en octobre, les jugements de deux procès ont été rendus. L'un, à Genève, concernait un jeune maraîcher membre du collectif Breakfree qui avait marqué les murs extérieurs d'une succursale de Crédit Suisse avec l'empreinte de ses mains peintes en rouge, pour dénoncer ses investissements dans l'énergie fossile.  Il avait été condamné pour dommages à la propriété mais vient d'être acquitté, en appel, par une cour de Genève ce mercredi 14 octobre, au nom de « l'état de nécessité » face à l'urgence climatique.

Action de Lausanne Action Climat.

Autre procès : douze militants de LAC -  Lausanne Action Climat, un collectif qui existait avant l'émergence de la grève du climat et d'Extinction Rebellion - ont été condamnés pour avoir mimé une partie de tennis en 2018 dans une succursale du Crédit Suisse à Lausanne. Leur objectif : dénoncer les investissements de la banque dans les énergies fossiles et interpeller le tennisman Roger Federer, ambassadeur de la banque. Ils avaient été acquittés en première instance, le juge reconnaissant une fois encore « l'état de nécessité » face à l'urgence climatique. Revers judiciaire :  ils ont été condamnés, finalement, en appel. L'« état de nécessité » n'a pas été retenu et les juges ont invité les jeunes à parler aux médias. Les activistes feront recours au Tribunal fédéral.

Les actions auprès de Roger Federer continuent via des tweets, des lettres déposées au Crédit Suisse ou encore  auprès de sa fondation à Zurich... Pour les militants, il n'est pas possible que ce joueur si apprécié ait une fondation destinée à aider des enfants tout en contribuant à la destruction de la planète en restant le visage de Crédit Suisse.


Source : Selver Kabacalman (Le Courrier)

Photos :
chapô. Pancarte lors de la grève pour le climat, Lausanne (Suisse) le 2 février 2019. Gustave Deghilage /  Flickr
Jeune femme. Grève pour le climat, Lausanne (Suisse) le 2 février 2019. Gustave Deghilage /  Flickr
Action contre Roger Federer. Lausanne Action Climat /  Flickr

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