Dans toute la France, plusieurs centaines de milliers de personnes ont défilé, samedi 28 novembre, pour s'opposer à la loi de sécurité globale et aux violences policières.
- Paris, reportage
« Floutage de gueule » ou encore « Non à la toute puissance policière », pouvait-on lire dans les cortèges. Samedi 28 novembre, des centaines de milliers de personnes ont défilé à Paris et dans toute la France pour dire non à la loi de « sécurité globale », qui porte gravement atteinte à la liberté d'informer. Dans la capitale, un flot discontinu de manifestants ont marché entre Bastille et République. Les organisateurs ont annoncé entre 150.000 et 200.000 participants. Le ministère de l'Intérieur fait état de 46.000 manifestants à Paris et 133.000 dans toute la France. Quel que soit le bon chiffre, « on n'avait pas vu cela depuis longtemps », se réjouit une manifestante.
Cette « Marche des libertés » a illustré l'opposition puissante contre la loi de « sécurité globale », mais surtout contre les violences policières, sous le feu de l'actualité cette semaine avec l'expulsion de personnes migrantes lundi soir, place de la République, et l'agression de journalistes qui couvraient l'évènement. La vidéo de lynchage de Michel Zecler, producteur de musique, révélée par le média Loopsider n'a pas aidé à l'apaisement des esprits. Même Didier Lallement, le préfet de police de Paris, a dû demander aux force de l'ordre de tenir « la ligne républicaine ». L'ONG Reporters sans frontières (RSF) a d'ailleurs porté plainte contre lui pour des « violences injustifiées » contre des journalistes.
Le succès de cette mobilisation est en partie attribuable au travail de la coordination « Stop Loi Sécurité Globale » qui a réussi le tour de force de réunir des sociétés, collectifs et associations de journalistes et de réalisateurs, confédérations syndicales, organisations de défense de droits humains, collectifs de luttes contre les violences policières, quartiers populaires et Gilets jaunes.
Dans le cortège, on pouvait voir la grande banderole de Mediapart « La démocratie meurt dans l'obscurité » à coté de celles de Paris Match, ou encore du Monde. Même la société des journalistes du Figaro avait appelé à se mobiliser. Ainsi, de nombreux professionnels de l'information étaient présents dans le cortège, comme cette journaliste d'Europe 1 portant un panneau « Quand j'entends le mot violences policières je m'étouffe ». Une citation de Gérald Darmanin datant du 28 juillet 2020, quelques jours après qu'il ait été nommé à l'Intérieur. Le ministre était l'une des cibles des favorites manifestants : de nombreuses pancartes faisaient référence aux accusations de viol et de harcèlement sexuel qui le visent, et d'autres demandaient sa démission.
Le cortège était à l'image de la diversité de la coordination : bariolé. Les ballons des syndicats, les avocats en colère, les Femen, des collectifs de sans papiers et, bien sûr, les familles victimes de violences policières. En tête de cortège, il y avait Landry, membre du comité Vérité et justice pour Gaye Camara, abattu par un policier à Epinay. « On en a marre d'avoir des gens qui parlent à notre place. Depuis les années 80, plus de 676 personnes sont mortes suite à des violences policières. Ces violences n'ont pas vu le jour pendant les Gilets jaunes ! » A coté de lui justement, un homme, Gilet jaune sur le dos, est venu participer à la conversation. « On a compris aujourd'hui ce qui vous arrive. On a ouvert les yeux », a-t-il assuré, avec émotion.
Landry, du comité vérité et justice @pour_gaye Camara#MarcheDesLibertes#StopLoiSecuriteGlobale
Assa Traoré, figure de proue de la lutte contre les violences policières, était bien entendu présente. « Il faut que la France assume qu'il y a du racisme dans la police. Les images de Michel Zecler ont choqué, mais il faut arrêter de jouer les hypocrites. Cette violence, c'est comme ça depuis des années dans nos quartiers. Et parfois nos jeunes n'ont pas le temps de sortir leurs téléphones. Il faut donc élargir le combat. Si vous êtes ici, c'est que vous êtes devenus des soldats malgré vous. »
A République, point de départ de la manifestation, des militants d'Extinction Rebellion ont réalisé des collages pour dénoncer le floutage des policiers demandé par la loi de sécurité globale. Un peu plus loin flottaient les drapeaux d'Alternatiba. « Nous luttons pour la justice climatique et la justice sociale. Et si la justice est mis en danger, notre lutte n'a plus de sens. Il faut donc la protéger. Or, cette loi la remet en question. Et par ailleurs, elle va mettre en danger nos modes d'action. On sait qu'on prendra plus de risques en tant que collectif si cette loi passe », raconte Gaia, militant du mouvement Alternatiba Paris.
Quelques échauffourées entre les forces de l'ordre et les black blocs ont éclaté à Bastille. Un feu de palette s'est déclenché sur le boulevard Beaumarchais, puis un feu de voiture. Les pompiers sont rapidement intervenus, sous les applaudissements des manifestants. La Banque de France et un kiosque à journaux ont également été dégradés.
Cela n'a pas empêché les manifestants d'arriver par milliers autour de la colonne centrale pour entonner le chant des partisans, lancé par la chanteuse Camelia Jordana. « Chantez, compagnons, dans la nuit la liberté nous écoute. »
Source : Laury-Anne Cholez pour Reporterre
Photos : © Anna Kurth/Reporterre