06/07/2008  3min #18293

Dérives de l’antiterrorisme

vendredi 4 juillet 2008
Belgique, France

Les enjeux du procès des « filières kamikazes », qui se déroule en Belgique, comme celui dit des « filières irakiennes », qui a lieu en France, s’inscrivent dans un nouvel ordre juridique mondial.

La loi antiterroriste américaine, le Military Commissions Act (2006), donne au président des Etats-Unis le pouvoir de désigner comme ennemis ses propres citoyens – ou tout ressortissant d’un pays avec lequel les Etats-Unis ne sont pas en guerre. Cette loi, qui est un acte de portée internationale, n’a été contestée par aucun Etat. Au contraire, nous voyons que l’ordre juridique des autres nations s’adapte pour satisfaire d’éventuelles demandes américaines basées sur cette loi. Tel est l’enjeu de ces procès.

Ainsi, la France, qui a pourtant condamné l’invasion de l’Irak, poursuit des jeunes Français qui sont allés combattre les troupes américaines (1).

Le 14 mai, le tribunal correctionnel de Paris a condamné les sept membres, six Français et un Algérien, de la « filière irakienne du XIXe arrondissement », à des peines de 18 mois à 7 ans de prison ferme pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste », c’est à dire pour avoir « formé ou participé à une filière de recrutement et d’envoi de jihadistes en Irak ».

L’accusation, sans apporter de preuve ou d’élément matériel, prétend qu’ils auraient rejoint des groupes relevant d’Al-Qaida, terme générique, improprement utilisé par les Etats-Unis pour qualifier la résistance en Irak. Reprise par le tribunal, cette identification entre la résistance armée à l’occupation américaine et l’organisation terroriste permet de considérer ces combattants – réels ou intentionnels – comme des criminels.

En Belgique s’est terminé le procès en appel de cinq prévenus condamnés en première instance à des peines de 28 mois à 10 ans de prison pour appartenance à un groupe terroriste. Ils sont accusés d’avoir participé à une filière qui aurait recruté, en Belgique, des combattants en vue de faire la guerre en Irak. Dans le jugement belge, l’identification à Al-Qaida n’est même plus nécessaire, tout acte de résistance armée au gouvernement irakien est en soi posé comme illégitime.

Les deux procès présentent de grandes similitudes, non seulement en ce qui concerne leurs enjeux, mais aussi dans leur déroulement.

Bien que la guerre ait été déclenchée en violation du droit international et pour des motifs qui ont été invalidés (liens du régime irakien avec le réseau Ben Laden, et existence d’armes de destruction massive), ces jugements s’inscrivent dans le cadre de « la lutte du bien contre le mal » initiée par Washington.

Dans un conflit dans lequel la Belgique et la France ne sont pas partie prenante, ces tribunaux se donnent la compétence de déterminer, parmi les forces en lutte, celles qui sont légitimes et celles qui sont criminelles. Ces tribunaux désignent les prévenus comme des terroristes et cela pour deux raisons : d’une part, leur combat ne serait pas juste et, d’autre part, les moyens employés les désignent comme des criminels. Ils seraient des combattants illégaux étant donné l’absence de commandement centralisé et leur manque de visibilité, des critères qui permettent de criminaliser toute résistance à une armée d’occupation.

Dans les deux procès, se posent également des problèmes quant à la légalité des moyens de preuve. En France, les pièces à charge sont fondées sur des renseignements d’origine américaine, notamment obtenus sous la torture. En Belgique, des preuves recueillies en Algérie ont aussi été acceptées et ce bien que le Conseil de l’Europe considère que ce pays utilise la torture dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

Jean-Claude Paye

(1) NDLR : Aucun gouvernement membre des Nations unies, et aucun groupe irakien de résistance, hormis ceux qui se réclament d’Al-Qaida, n’a fait appel à de tels « volontaires » internationaux.

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